Pour introduire ma présentation, je tiens à reprendre une citation d'Abdelaziz Bouteflika datant de 1974 et mise en exergue de notre rapport : « les relations entre la France et l'Algérie peuvent être bonnes ou mauvaises, en aucun cas elles ne peuvent être banales ».
Nous avons voulu, de la manière la plus objective qui soit, dresser le tableau des relations franco-algériennes.
Bien sûr, la dimension historique a été abordée, ne serait-ce que pour montrer le poids de 132 ans de relations communes et passionnelles. Ce mot est particulièrement adapté en ce qui concerne l'Algérie. On ne peut comprendre la relation bilatérale actuelle sans connaître le passé.
Le pouvoir politique en Algérie s'est construit en opposition à la France. Il faut avoir cela en tête avant de s'intéresser à ce pays. Cela permet de mieux comprendre certains modes de fonctionnement. Je pense notamment à cette hantise d'un complot français aux visées néocoloniales. Une telle thèse a été ressortie par la presse algérienne mais aussi par une partie de la classe politique algérienne au moment de l'intervention au Mali.
En France aussi, l'Algérie est encore très présente sur notre scène politique. Le rapport rappelle le poids de groupes tels ceux des anciens combattants, des pieds noirs ou des harkis et l'impact de ce « fait algérien » sur notre agenda politique avec l'examen de plusieurs lois mémorielles au cours des 20 dernières années. Nous n'avons pas souhaité rouvrir les débats qui ont été menés à ce sujet. Nous avons estimé que notre mission n'avait pas cet objet-là.
Mais outre l'histoire, la relation franco-algérienne est marquée par l'existence d'un extraordinaire « espace commun » entre les deux pays. Et ce point a beaucoup attiré l'attention de la mission d'information qui a pu se rendre compte du lien dense et dynamique entre les populations : les ressortissants algériens, les double nationaux, les descendants d'Algériens mais aussi les pieds noirs, représentent largement 5 millions d'habitants, soit près du dixième de la population française.
Et puis il y a la langue française, ce « butin de guerre » très combattu par le pouvoir algérien les premières années de l'indépendance mais qui demeure un atout significatif aux yeux de bon nombre d'Algériens. On a pu s'en rendre compte en visitant l'Institut français d'Alger, qui est littéralement submergé de demandes d'inscriptions aux cours de français !
De ce poids de l'histoire, de ces liens extrêmement étroits, est née, bien évidemment, une relation compliquée. Nous revenons, sur l'histoire « sinusoïdale » des relations bilatérales depuis l'indépendance. Une constante nous a d'ailleurs frappés : au cours de la dernière décennie, à chaque fois que les relations ont eu l'air de s'améliorer (ce fut le cas avec les présidents Chirac en 2003 et Sarkozy en 2007), un événement est survenu dans la foulée pour tendre à nouveau les relations et nuire aux progrès accomplis. Cette « malédiction » va-t-elle frapper la visite de François Hollande en décembre 2012 ? Pour le moment, tout se passe bien et le rapport revient, sur les principaux aspects et résultats de cette visite.
Enfin, la fin de cette première partie consacrée aux relations franco-algériennes traite des coopérations qui, selon la mission, doivent ou peuvent être approfondies ou poursuivies.
Nous avons retenu 4 thèmes structurants.
Tout d'abord, la dimension humaine, c'est-à-dire, par exemple, les thématiques relatives à la circulation, au séjour ou à la coopération judiciaire. Il y a là beaucoup de progrès possibles. En faveur, certes, des ressortissants algériens mais aussi de nos compatriotes qui ne se voient pas appliquer les textes favorables auxquels leur nationalité française devrait leur donner droit. Notre rapport invite à des efforts des deux côtés mais ne passe pas sous silence les carences algériennes.
La langue française, l'éducation et la culture sont également un des enjeux de coopération que nous avons voulus évoquer. Parce que la relation franco-algérienne est spéciale, au même titre que peuvent l'être les relations avec l'Allemagne ou le Québec, la création d'un Office franco-algérien de la jeunesse nous semble, à terme, nécessaire. La jeunesse représente assurément un axe fort sur lequel il faut travailler. De nombreux projets sont en cours comme la création d'un réseau d'instituts d'enseignements supérieur technologique en Algérie – une vingtaine – et il faut accroître la mobilité vers les universités françaises.
Sur le plan linguistique, le rapport revient sur la présence du français en Algérie, le 2ème pays francophone au monde (avec 16 millions de locuteurs). Pour des raisons politiques, ce pays n'est pas membre de la Francophonie. Toutefois, on pourrait imaginer d'associer le parlement algérien aux travaux de l'Assemblée parlementaire de la francophonie. Nous avons suggéré cela lors de notre déplacement. Cette proposition ne semble pas avoir été mal accueillie mais l'on ne doit pas avoir d'illusion quant aux chances que cette initiative puisse rapidement se concrétiser.
Le rapport examine ensuite les relations économiques franco-algériennes. Il fait le point sur l'équilibre des échanges entre les deux pays mais aussi sur les difficultés que rencontrent nos entreprises. Nous avons auditionné Jean-Pierre Raffarin représentant spécial pour les relations économiques entre la France et l'Algérie. Nous avons également rencontré des entrepreneurs français en France et lors de notre déplacement à Alger. Nous avons essayé de recenser leurs difficultés mais de voir aussi les potentialités qu'offre le marché algérien. Assurément, la France a des atouts, notamment la langue et une proximité culturelle sur laquelle nous devons capitaliser.
Enfin, le rapport traite du thème de la sécurité. Comme en matière économique, la France et l'Algérie ont des intérêts convergents. L'opération Serval a permis un rapprochement avec des gestes algériens appréciables. Il faut espérer qu'il puisse en aller encore ainsi à l'avenir, en particulier dans le cadre du traité de coopération militaire signé en 2008 et ratifié en février dernier.
La seconde partie du rapport est plus délicate que la première puisqu'elle traite des affaires intérieures algériennes. Il ne s'agit pas évidemment de formuler des recommandations sur la marche à suivre en Algérie.
Dans un premier temps, nous avons voulu comprendre pourquoi l'Algérie était restée à l'écart du printemps arabe de 2011.
Les causes sont multiples. Nombre d'Algériens disent qu'ils ont déjà eu leur printemps en 1988. Ensuite, les autorités ont été habiles face aux manifestants en achetant la paix sociale. De manière plus structurelle, il existe, en Algérie, des « soupapes de sécurité » comme une réelle liberté de la presse, laquelle ne se prive pas de critiquer les autorités. Je pense notamment au caricaturiste Dilem. Le souvenir de la décennie noire a également beaucoup joué dans ce « rejet » du « printemps arabe » de 2011. Contrairement à la Tunisie, à la Libye, à l'Égypte ou à la Syrie, la population n'avait pas à lutter contre un dictateur.
Après cette analyse, le rapport décrit un pays sous pression. L'Algérie va mal. Corruption, conservatisme, jeunesse frustrée sont autant de maux qui s'ajoutent à un modèle économique bloqué – je dirais même sclérosé – et une diplomatie tendue qui tend encore à raisonner avec les schémas du passé. La société algérienne est en ébullition permanente. L'Algérie est d'ailleurs émaillée de manifestations au cours desquelles les gens réclament leur part des bénéficies d'une économie rentière reposant quasi-uniquement sur les hydrocarbures. Il y aurait un millier de manifestations par an en Algérie. À côté de cela, les services publics sont peu efficaces et l'hospitalisation du président Bouteflika, en France, pendant plusieurs semaines a été très critiquée en Algérie comme symbole du piteux état des hôpitaux.
Sur le plan économique, nous revenons sur les principaux blocages qui affectent l'Algérie : comme je l'ai dit, elle dépend d'une rente pétrolière et gazière qui a un effet anesthésiant sur le reste de l'économie. Le climat des affaires est, en outre, très dégradé. Au classement « Doing Busines », l'Algérie est 152ème sur 185 pays. La diversification économique est nécessaire. Le tourisme n'a pas droit de cité. Les pratiques administratives et une législation comme la fameuse règle 5149 qui plafonne à 49% les participations étrangères au capital des entreprises algériennes brident le développement.
L'année 2014, année d'élections, pourrait être l'une des occasions d'effectuer des réformes.
Nous nous sommes donc livrés à un petit exercice prospectif pour voir comment sera l'après 2014 en Algérie. A quelques mois d'une échéance électorale prévue au mois d'avril prochain, nous ne savons toujours pas qui sera candidat ni même si les élections auront lieu car le scenario d'une révision constitutionnelle expresse pour porter le mandat d'Abdelaziz Bouteflika à 7 ans est tout à fait envisageable.
L'Algérie est dans une position d'attente et, pour le moment, préfère ne pas bouger. Elle voit l'exemple des pays voisins, dans lesquels règnent une grande instabilité et la violence. Elle a été profondément marquée par la décennie noire dans les années 90 et, pour le moment, est comme figée politiquement.
On ne peut considérer notre relation avec l'Algérie comme étant une question uniquement de politique étrangère. Ce qui se passe là-bas a des répercussions directes chez nous pour les raisons que j'ai pu évoquer précédemment et que le rapport détaille.
Ignorer ce pays serait une folie. Ne pas coopérer et s'en détourner seraient une faute. Quoiqu'on en pense, les destins de l'Algérie et de la France sont liés et le resteront.