Intervention de Axel Poniatowski

Réunion du 30 octobre 2013 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAxel Poniatowski, président de la mission d'informatio :

Je voudrais maintenant insister sur deux points, deux interrogations.

Tout d'abord, pourquoi l'Algérie a-t-elle échappé au Printemps arabe ? A priori, il n'y avait pas de raison. Notre mission a conclu à la conjonction de trois facteurs.

Premier facteur, le souvenir des années noires. Les manifestations en Algérie se sont produites sur 3 jours, les 6, 7 et 8 janvier 2011 et le Printemps arabe s'est terminé à la mi-février. Ça a été rapide. Les Algériens ont vu ce qui se passait dans les pays voisins. Ils se sont dit qu'ils ne voulaient pas revivre ça. La décennie noire c'est 150.000 morts et 200.000 exilés. Ce fut une période effroyable.

Deuxième facteur, cette révolte a été bien maîtrisée par les autorités algériennes, et ce, de trois façons. D'abord, par le maintien de l'ordre où l'Algérie a une expérience plus grande que ses voisins. Le maintien de l'ordre a été efficace avec une présence massive de militaires et de policiers dans les rues d'Alger. 30.000 d'entre eux furent déployées. Il y eut un seul mort. Ensuite, il y eut une injection massive de pouvoir d'achat. 20 milliards d'euros furent dépensés en à peine 3 mois ! Ça a servi à subventionner les produits de première nécessité – en particulier l'huile et le sucre –, à mettre des crédits à disposition de la population et notamment des étudiants et augmenter les salaires avec rétroactivité : les policiers ont été augmentés de 80 %. On a acheté la paix sociale. Enfin, les autorités ont annoncé des réformes importantes sur le plan politique et la fin de l'état d'urgence. Cette dernière est bien entrée en vigueur mais aucune réforme n'a été menée.

Troisième facteur, l'état de la société elle-même. Aujourd'hui, il n'y a pas d'opposition politique en Algérie. Les Frères musulmans n'existent pas. Les représentants de la tendance islamiste sont déjà très présents, que ce soit au gouvernement, au FLN ou à l'Assemblée populaire nationale. Cette révolte n'a été relayée par aucune force politique et s'est éteinte d'elle-même. De plus, cette révolte n'était pas dirigée contre Bouteflika et il existe dans ce pays plusieurs soupapes de sécurité : il y a régulièrement des manifestations (un millier par an environ), la presse – surtout la presse écrite – est libre et dénonce les affaires de corruption, la société algérienne a accès aux médias étrangers et les Algériens peuvent circuler plus facilement que dans les pays voisins : la France accorde 200.000 visas par an aux Algériens dont 20.000 de longue durée. Les Algériens ne sont pas prisonniers chez eux.

Il nous a semblé que c'est cette conjonction de trois facteurs qui a fait que cette révolte s'est éteinte très rapidement. Pour autant, l'opinion publique souhaite des évolutions mais n'est pas prête à un changement de régime et à aller jusqu'au chaos.

Après cette question sur les raisons de l'absence de Printemps arabe, il était intéressant de voir pourquoi un pays aussi riche que l'Algérie restait aussi bloqué, en particulier sur le plan économique. C'est le problème de gouvernance algérienne. L'Algérie est un pays riche. Actuellement, elle a 200 milliards d'euros de réserves de change et un endettement quasi nul. Mais elle ne vit exclusivement que sur la rente des hydrocarbures, lesquels représentent 97 % de ses exportations, 40% du PIB, 70% des recettes fiscales mais n'emploient que 3 % de la population active du pays. Et la production est considérée comme étant à son pic.

Sur le plan économique, le pays est bloqué. Le secteur privé est quasiment inexistant. Et ce pays ne produit rien à part du gaz et du pétrole. Un chiffre est marquant : la capitalisation de la bourse d'Alger est de 1 pour mille du PIB algérien. Celle de la bourse de Casablanca représente 60 % du PIB marocain. Cela veut dire que la capitalisation boursière rapportée au PIB est 600 fois plus grande au Maroc qu'en Algérie. On a vu deux raison à ça : l'héritage soviétique d'un système où toutes les grandes sociétés sont nationales et le fait que le pays ne fonctionne qu'à travers ses plans quinquennaux. Le blocage se manifeste par une législation contraignante. Les entrepreneurs privés sont responsables civilement mais aussi pénalement. L'administration est toute puissante et tatillonne. Il y a un contrôle des changes rigoureux. Le recours au crédit et aux banques est quasiment inexistant. Et en plus, on ne veut pas des investissements étrangers comme avec la loi 5149, votée il y a à peine trois ans et qui décourage considérablement les investisseurs étrangers qui n'ont plus la maîtrise de leurs projets.

Je retiens les points suivants :

- la rente a permis au pays d'éviter de se réformer jusqu'à aujourd'hui ;

- une explosion sociale nous apparait peu probable à court terme car si l'opinion publique est hostile au régime, elle est résignée : elle ne vote plus et la participation réelle est plus faible que les chiffres officiels. Et il y a une forte volonté d'émigration vers la France, le Canada ou quelques autres pays ;

- l'armée constitue la colonne vertébrale du pays. Le « Nidham » – le système – fait tout pour gagner du temps afin que la situation perdure. Il est assez occupé aujourd'hui à la succession du Président Bouteflika.

A moyen et long termes, cette situation n'est pas viable. Soit on sera dans une situation d'explosion, comme dans les pays voisins. Soit on peut assister à une évolution du pays à petits pas. Auprès de certains ministres, notamment, nous avons constaté qu'il y avait une volonté de changements, lesquels sont impossibles pour le moment. Il pourrait y avoir une évolution mais il faudra l'arrivé au pouvoir d'un homme providentiel pour faire aboutir cette forme de perestroïka dont l'Algérie a besoin.

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