Intervention de Estelle Grelier

Réunion du 15 octobre 2013 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEstelle Grelier, rapporteure pour avis :

Nous sommes appelés à nous prononcer sur le montant du prélèvement opéré sur les recettes du budget de l'État au titre de la participation de la France au budget de l'Union européenne, prévu à l'article 41 du projet de loi de finances pour 2014. Cet examen se fait dans des délais contraints, puisque l'annexe au projet de loi de finances (« jaune ») relative aux relations avec l'Union européenne n'a été disponible en ligne que vendredi dernier. Je tiens à souligner surtout que, pour la deuxième année consécutive, nous n'avons pas de débat spécifique en séance, ce qui est regrettable au regard des montants en jeu, même si nous aurons un débat thématique, mais le 29 octobre.

Le montant du prélèvement est évalué à 20,144 milliards d'euros, soit 7,2 % du budget de l'État hors charges de la dette et pensions. Le total des ressources propres que la France devrait mettre à disposition du budget européen en 2014, qui inclut les ressources propres traditionnelles qui sont directement versées au budget de l'Union, à savoir celles perçues sur les droits de douane et le sucre, est estimé à 22,2 milliards d'euros, soit 16,4 % du total du budget européen et 7,8 % des recettes fiscales nettes françaises.

L'adoption de cet article du PLF est l'occasion, comme chaque année, de faire le point sur le projet de budget de l'Union européenne pour l'année suivante.

Cette année, les débats européens relatifs au budget 2014 se déroulent dans un contexte un peu particulier. En effet, ils ont été entamés alors que les deux branches de l'autorité budgétaire, le Conseil et le Parlement européen, étaient engagés dans un bras de fer – ou plutôt une guerre des nerfs – pour l'élaboration du prochain cadre financier pluriannuel, cadre qui fixe les plafonds des dépenses pour les 7 prochaines années, et dont l'année 2014 constitue la première année de mise en oeuvre. L'Assemblée nationale a déjà pris position dans le cadre d'un rapport présenté devant la commission des Affaires européennes.

La Commission européenne a donc présenté un projet de budget 2014 le 26 juin 2013, la veille de l'accord politique sur le CFP 2014-2020 entre le président de la Commission européenne, le président du Parlement européen et le Premier ministre irlandais, qui assurait à ce moment la présidence du Conseil. Ce calendrier démontre que les deux exercices sont étroitement liés. Vous le savez, le Parlement européen a posé trois conditions pour cet accord : un engagement sur la création d'un groupe de travail sur les ressources propres, une révision à mi-parcours du CFP et un budget pour 2013 rectifié de manière à ne pas générer de reports excessifs sur 2014, rectification acceptée hier par le COREPER, j'y reviendrai.

S'il est adopté comme prévu le 23 octobre prochain par le Parlement européen, le CFP 2014-2020 fixe les plafonds globaux 2014-2020 à 960 milliards d'euros en crédits d'engagement et 908,4 milliards d'euros en crédits de paiement, hors instruments spéciaux (9,8 milliards) et fonds européens de développement (27 milliards). Pour mémoire, la Commission européenne proposait quant à elle 1060 milliards d'euros. C'est donc un recul de 3 % en engagement et de 3,6% en paiements par rapport au cadre 2007-2013. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, ce recul est un mauvais signe pour l'Union européenne et on peut douter de ses capacités futures à répondre aux attentes et aux enjeux qu'elle sera amenée à affronter. Même si la France a obtenu des garanties importantes sur la PAC, les fonds structurels et l'emploi des jeunes, le budget de l'Union est en réalité moins important que sous la précédente période, alors que son panel de compétences a été accru par le Traité de Lisbonne, que le nombre d'États membres a augmenté et qu'elle doit répondre aux enjeux de relance de la croissance.

La comparaison des plafonds fixés pour 2013 et 2014, qui nous intéresse plus particulièrement aujourd'hui, confirme cette dramatique évolution à la baisse :

- pour 2013, le plafond des crédits d'engagement s'établissait à 152,5 milliards d'euros (soit 1,15 % de la richesse de l'Union européenne, mesurée par le revenu national brut – le RNB), et le plafond des crédits de paiement à 143,9 milliards d'euros (1,08 % du RNB).

- pour 2014, les mêmes plafonds sont fixés, dans le projet de CFP, à 142,54 milliards en engagement (soit 1,03 % du RNB) et 135,87 milliards d'euros en paiement (0,98 % du RNB).

Le projet de budget 2014 présenté par la Commission tient donc compte de ces contraintes, c'est-à-dire un cadre réduit, en soulignant qu'elle présente un budget dans un cadre en diminution et qu'elle dit qu'il sera très difficile à mettre en oeuvre au regard des politiques confiées par le Conseil et le Parlement européen. Elle propose un budget peu ambitieux, mais à mon sens optimisé au maximum par rapport aux limites fixées : 142,5 milliards d'euros en engagement et 135,9 milliards d'euros en paiement.

Pour la première fois également, la Commission européenne complète sa présentation du projet de budget pour 2014 en inscrivant d'office 456 millions d'euros en engagements et 200 millions en paiements hors du cadre financier pluriannuel, au titre des instruments spéciaux. Le projet de budget entendu au sens large s'établit donc à 142,5 milliards d'euros en engagements et à 136,1 milliards d'euros en paiements, ce qui ne laisse aucune marge sous le plafond des paiements pour 2014 –élément problématique sur lequel je reviendrai plus tard.

Concrètement, les deux seules rubriques dont les engagements progressent sont celles relatives aux politiques de croissance et de compétitivité (+ 3,3 %), du fait notamment d'une forte hausse des crédits d'engagement des grands projets (+171,4 %) et, de manière plus singulière, celle relative aux dépenses administratives (+ 2,1 %). 80 milliards d'euros, soit 57,6 % du budget, ont vocation à participer au financement de la stratégie Europe 2020. Je souligne que c'est la première fois que l'on mobilise le budget européen en l'inscrivant dans le cadre de la stratégie globale. 17,6 milliards d'euros, soit 12,7 % du budget, sont en lien avec l'action pour le climat. La Commission a donc très nettement donné des priorités à son action. Les diminutions constatées sur les crédits de la politique de cohésion (-13,5 %), de la rubrique « sécurité et citoyenneté » (-9,4 %) et de la rubrique « L'Europe dans le monde » (-12,5 %) s'expliquent en grande partie, par le démarrage d'une nouvelle programmation.

J'attire votre attention sur le fait que les paiements demandés par la Commission pour 2014 ont principalement pour objet, à 51,9 %, de couvrir les engagements passés avant 2014 ; la part des crédits destinés à couvrir de nouveaux engagements est particulièrement basse puisqu'elle représente 7,9 % seulement du total et 40,2 % correspondent à des crédits non dissociés (c'est-à-dire dont les montants de paiement doivent être égaux aux montants des engagements de l'année). Malgré la part qu'ils représentent dans les paiements prévus pour 2014, les engagements passés ne couvriront pas même un tiers du reste à liquider accumulé à la fin de 2013 (31,9 %). C'est un système qu'en qualité d'ancienne parlementaire européenne de la commission du budget je connais bien et que son président, Alain Lamassoure, n'a cessé de dénoncer. Cette situation aura été d'autant plus regrettable qu'en début de programmation les crédits afférents aux paiements non réalisés étaient restitués aux États. Ce reste à liquider a atteint des niveaux considérables. Les paiements sur reste à liquider auront encore une incidence importante en 2015 et dans les années suivantes.

Il convient de signaler enfin que, le 18 septembre 2013, la Commission européenne a présenté une lettre rectificative pour le budget 2014 tendant à tirer les conséquences du résultat des négociations sur le cadre financier pluriannuel, avec la décision de concentrer certains financements en début de période (2014 et 2015) pour mieux faire face au chômage des jeunes, à la demande du Conseil européen (engagement en intégralité des 6 milliards d'euros prévus au titre de l'Initiative pour l'emploi des jeunes), et pour renforcer la recherche, la formation et la compétitivité, à la demande du Parlement européen (200 millions d'euros supplémentaires pour « Horizon 2020 », 150 millions pour « Erasmus » et 50 millions pour « COSME »). Ces modifications sont toutefois sans incidences sur les totaux. La lettre rectificative prévoit également l'assistance supplémentaire à Chypre au titre des fonds structurels, majorant de 100 millions d'euros les engagements.

Suite à la proposition de la Commission, le Conseil, comme d'ordinaire, a vu s'opposer les tenants de la cohésion et les contributeurs nets. Le Conseil s'est finalement mis d'accord le 2 septembre, sur des coupes à hauteur de 241 millions d'euros en engagements, ce qui porte la marge sous plafond à 769 millions d'euros, et à hauteur de 1,061 milliards d'euros en paiements, constituant ainsi une marge du même montant. Au total, le budget retenu par le Conseil s'élève à 141,8 milliards d'euros en engagements (142,2 milliards en intégrant les instruments hors plafond) et 134,8 milliards d'euros en paiements (135 en intégrant les instruments hors plafond), soit plus d'un milliard de moins que dans la proposition de la Commission. Le Conseil justifie sa position, comme à son habitude, par les contraintes budgétaires et économiques générales et la maîtrise rigoureuse des crédits, mais aussi par la nécessité de restaurer des marges sous plafond pour assurer la soutenabilité du budget et permettre ainsi, en cours d'année, la mobilisation des instruments spéciaux ainsi que des redéploiements de crédits en cas de besoin.

Cette position du Conseil a été plutôt mal vécue par le Parlement européen, qui considère que le budget 2014 doit refléter les termes, mais aussi l'esprit du nouveau CFP. Dès lors, il a conditionné son vote sur le CFP à la résolution de deux problématiques, dans le cadre des budgets 2013 et 2014 :

– Tout d'abord, le Parlement a voulu que le budget 2013 soit rectifié à hauteur des besoins de crédits en paiement liés aux reports 2012. Le projet de budget rectificatif n°2 présenté le 27 mars 2013 par la Commission proposait en conséquence d'ouvrir 11,2 milliards d'euros de crédits supplémentaires (dont 9 milliards pour la politique de cohésion) pour couvrir toutes les obligations juridiques de 2012 et 2013 et éviter tout report anormal sur 2014. Le 9 juillet dernier, le Conseil Ecofin a approuvé un budget rectificatif de 7,3 milliards d'euros. Hier, le 14 octobre 2013, le COREPER a validé la deuxième tranche, soit 3,9 milliards d'euros, après réaffectation des ressources disponibles dans le budget (budget rectificatif n°8).

– La deuxième condition fixée par le Parlement européen concerne le financement des priorités annoncées. Il s'agit en premier lieu de la mobilisation de fonds dès 2014 qu'il a été acté d'anticiper, mais aussi plus largement d'avoir la garantie que la contraction des crédits ne prive pas l'Europe des moyens de sa politique. Or, pour les parlementaires européens, le Conseil ne respecte pas cette condition.

La commission des budgets a en conséquence rejeté, lors de son vote du budget 2014, les 2 et 3 octobre, la baisse proposée par le Conseil des crédits dans les domaines visant à relancer la croissance tels que la recherche et l'innovation. Elle considère qu'il y a là une forme d'ambiguïté. Elle a également rétabli les financements en matière de politique internationale, tels que l'aide humanitaire au Proche-Orient et aux réfugiés. Cette position sera mise aux voix en plénière le 23 octobre. La conciliation avec le Conseil s'engagera alors. Si elle débouche sur un accord, celui-ci sera soumis au vote de la plénière lors de la session de novembre.

De ces négociations résultera – en partie – le montant du prélèvement sur recettes demandé à la France. Vous le savez, il n'est pas agréable ni heureux d'avoir une approche trop comptable de la participation des États-membres au budget européen, car elle oblige à une « dissection » du budget communautaire mettant de côté la dimension de solidarité, alors que la plus-value européenne réside essentiellement dans les actions « extra-nationales » qu'elle met en oeuvre.

Toutefois, nous sommes en loi de finances et le prélèvement est inclus dans la norme de dépenses de l'État, c'est-à-dire que toute évolution à la hausse, en valeur, de ce prélèvement, se traduit par une diminution à due concurrence d'autres dépenses du budget de l'État. Cela exige d'être le plus transparent possible.

Concernant la dynamique du prélèvement : l'année 2013 a constitué une année particulière, car outre les variations « classiques » (solde, actualisation des recettes, financement des corrections etc.), se sont ajoutés notamment pas moins de neuf budgets rectificatifs pour 2013, dont les budgets rectificatifs n°2 et 8 qui portent sur 11,2 milliards d'euros. Pour la France, l'impact sera de près de 1,8 milliards d'euros supplémentaire, imputé sur le budget 2013. Le montant du PSR pour 2013 s'établira dès lors aux alentours de 22,213 milliards d'euros, correspondant à 8,2 % des recettes non fiscales.

Au regard de cette prévision pour 2013, le montant de la contribution pour 2014 est en repli (-2,069 milliards). Néanmoins, il convient de souligner, d'une part, que la progression par rapport à 2012 est de 5,8 %, l'exceptionnalité de la majoration du PSR en 2013 masquant la dynamique de progression ; d'autre part, le PSR 2014 tel qu'il vous est présenté est minoré par rapport au montant qui sera effectivement dû au titre de 2014.

Concernant le solde net français, comme vous le savez, la France est historiquement le deuxième contributeur au budget européen, derrière l'Allemagne et devant l'Italie et le Royaume-Uni. Sa contribution représentait 16,3 % du budget en 2011 et devrait s'élever à 16,7 % en 2013. En 2011, 11,2 % des dépenses du budget européen (117,337 milliards d'euros) ont été effectuées sur notre sol, soit 13,16 milliards d'euros. Ce pourcentage était de 16,1 % dix ans auparavant (2001) et de 13,9 % cinq ans auparavant (2006). Alors qu'elle était encore en volume le premier bénéficiaire avec l'Espagne en 2010, la France n'est donc que le troisième bénéficiaire derrière la Pologne et l'Espagne et devant l'Allemagne, et elle n'est que le 20ème bénéficiaire des dépenses par habitant. Même s'agissant de la PAC, la France est le 8ème bénéficiaire par habitant.

La dégradation du solde net de la France au cours des années 2000 est particulièrement sensible. Il représentait moins de 0,15 % de son RNB jusqu'au début des années 2000 contre plus de 0,20 % depuis 2004 et 0,36 % en 2011. La France se place au huitième rang des contributeurs nets en pourcentage du RNB.

Dans ces conditions, nous ne pouvons qu'être déçus de ce que la France n'ait pas réussi à obtenir une grande réforme des ressources propres de l'Union européenne, qui aurait permis d'autonomiser le budget européen. D'autre part, ce mode de financement est miné par des mécanismes de corrections diverses produisant un système complexe, illisible, illégitime et coûteux pour notre pays. Le Conseil européen des 7 et 8 février 2013 a même permis au Danemark d'obtenir pour la première fois le rabais qu'il demandait (130 millions d'euros par an financés par l'ensemble des États membres).

Le rapport revient en conséquence sur l'historique du chèque britannique, pour démontrer que les raisons de son instauration ne sont plus réunies, sur la complexité de son calcul (je soulignerai juste pour montrer l'absurdité de la situation que l'on devra faire un calcul théorique pour prendre en compte la part de développement rural financé par la section garantie du FEAGA) et sur la création d'autres corrections ou avantages en cascade.

Aujourd'hui, le rabais britannique représente une dépense de 5 à 6 milliards d'euros pour l'Union européenne (environ 5 % de ses recettes).

Cependant, une amorce de réforme du système, à l'initiative de la France et de l'Italie, a été introduite dans le cadre de l'accord sur le nouveau CFP. Il a en effet notamment été décidé un alignement des taux d'appel réduits de TVA pour les Pays-Bas et la Suède sur celui de l'Allemagne à 0,15 %, partiellement compensé par un relèvement des rabais forfaitaires dont bénéficiaient ces deux États. La question des rabais a donc été prise en compte, mais de manière très insuffisante. Ces brèches ouvrent toutefois la voie à une diminution de 120 millions d'euros en moyenne par an de la contribution de la France au budget de l'UE. C'est une première. Mais évidemment on ne peut s'en tenir là. Un premier rapport sera rendu fin 2014 par le groupe interinstitutionnel mis en place en application de la déclaration sur les ressources propres annexée au nouveau CFP. Nous devons rester mobilisés.

En l'état actuel des choses, je me prononce en faveur du vote de l'article 41 du projet de loi de finances fixant le montant du prélèvement à 20,144 milliards, en rappelant les limites que j'ai soulignées s'agissant des capacités d'intervention du budget européen.

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