Intervention de Nicolas Dupont-Aignan

Réunion du 9 octobre 2013 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNicolas Dupont-Aignan, co-rapporteur :

Nous sommes partis d'un sujet relevant de la commission des affaires étrangères, celui des paradis fiscaux, et en tirant les fils de la pelote, nous avons été conduits à nous intéresser à un champ plus vaste.

En premier lieu, la vision que l'on a traditionnellement de la fraude fiscale ou de l'évasion fiscale ne correspond pas à la réalité d'aujourd'hui. L'image du « sport national » lié à l'allergie fiscale et à des niveaux de prélèvement excessifs n'est plus la bonne. Ces niveaux sont certes excessifs, c'est un fait, mais il ne s'agit plus de cela. Quand des sociétés négocient des accords de ruling pour être imposées à 2%, quand des entreprises françaises à participation publique s'implantent aux Pays-Bas pour bénéficier de conventions fiscales, quand le crime organisé recycle l'argent de la drogue dans l'escroquerie à la TVA, quand il y a une telle rupture d'égalité entre les PME françaises et les grands groupes, il ne s'agit plus d'un « sport national » ou d'un transfert d'argent sur des comptes à l'étranger, avec le « folklore traditionnel», il s'agit d'un pillage organisé, d'une fuite fiscale considérable qui affaiblit durablement nos Etats démocratiques.

Pour les pays émergents, la situation est encore plus douloureuse, puisque le phénomène d'accumulation des bénéfices, qui a permis au XIXème siècle notre développement, ne peut pas se produire. Les capitaux sont immédiatement transférés ailleurs. Je pense à l'Inde et son textile avec l'île Maurice.

Les dizaines de pays et territoires concernés ont mis en place un réseau de fuite fiscale qui rompt la concurrence et détruit un libéralisme organisé.

En deuxième lieu, il faut distinguer et éviter de confondre plusieurs fraudes : d'abord, celle des riches particuliers, qui ont eu l'habitude de ne pas respecter la règle du jeu, et qui représentent un tiers des avoirs ; ensuite, l'optimisation fiscale des entreprises, légale ; enfin l'entrisme du crime organisé, qui recycle l'argent dans les paradis fiscaux et le mêle aux autres capitaux.

En deuxième lieu, il faut relever l'inadaptation des réponses françaises. Ce qui nous a le plus surpris, c'est le retard pris par notre pays par rapport à d'autres : les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l'Allemagne et même, davantage, la Belgique.

Nos propositions reprennent donc des mesures en vigueur ailleurs. Nous n'avons en France pas la capacité, quels que soient les nombreux rapports parlementaires, remarquables, qui ont été publiés, de comprendre le caractère de cette guerre fiscale véritable et d'imiter ce qui se fait ailleurs.

C'est notamment le cas sur l'absence de stratégie globale. Il y a une stratégie globale au Royaume-Uni, pour récupérer des milliards de livres, que complète d'ailleurs une baisse de l'impôt sur les sociétés. Il y en a aussi une en Belgique. Celle des Etats-Unis est très intéressante, notamment avec la loi FATCA qui vise aussi à éliminer la concurrence suisse et à rapatrier les capitaux dans leurs propres paradis fiscaux. Il y a enfin une stratégie globale en Allemagne où le ministre des finances, M. Schäuble, a indiqué que tant qu'il y aurait le secret bancaire, il achèterait des listes volées à l'étranger. La Cour de Karlsruhe a validé le procédé.

De notre côté en France, nous avons constaté la disproportion des forces : une brigade de la police financière très intéressante, mais qui compte trop peu d'agents ; des services de douanes complètement démunis ; des magistrats complètement débordés etc. J'ajouterai l'absence de réponse pénale. D'après nos informations, il y aurait une personne en prison pour fraude fiscale aggravée. Il y en a des centaines aux Etats-Unis et dans d'autres pays. En résumé, il n'y pas de dissuasion pénale et les négociations interviennent trop tardivement. Le « scandale des scandales » est l'escroquerie à la TVA : on est a priori loin des paradis fiscaux, mais ce n'est pas le cas, car l'argent y part immédiatement. Les chiffres sont largement sous-estimés par le ministère des finances. Quand des services belges ont réussi en quelques années à éradiquer l'escroquerie à la TVA et à augmenter les recettes fiscales, d'un milliard d'euros par an, quand 700 personnes ont été recrutées au Royaume-Uni pour mettre fin aux escroqueries à la TVA et que nous sommes toujours à nous interroger pour savoir comment nous allons investir dans un dispositif d'exploitation de fichier, alors que la fraude représente 10 milliards minimum par an, on peut s'interroger sur l'inertie de notre administration, sur l'absence de réponse politique, quels que soient les Gouvernements, comme si, en vérité, nous en étions restés, dans notre réponse nationale, à la fraude ancienne, c'est-à-dire une négociation fiscale et comme nous n'avions pas pris la mesure de l'investissement du crime organisé dans la financiarisation de l'économie. Il ne s'agit pas de faire des miracles, mais au moins pourrait-on prendre certaines dispositions. La loi sur la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière prévoit plusieurs mesures favorables, mais à mon sens, elle pourrait encore faire mieux.

Nous avons fait des propositions sur ces points, notamment le lien entre les marchés publics, les paradis fiscaux et la concurrence déloyale. Aujourd'hui, pour obtenir des marchés publics, une entreprise est de fait obligée, soit de faire de l'optimisation fiscale, j'allais dire légale, soit de mettre en place des structures à la limite de la criminalité. Il faut écouter le Service national de la douane judiciaire, il faut écouter les magistrats du pôle financier, il faut voir comment cette gangrène a pénétré notre système financier pour réaliser le retard qu'a pris notre pays.

Au niveau international, en troisième lieu, on observe quand même quelques motifs d'espérance. Le premier, fondamental, c'est la loi FATCA. Il a fallu que les Etats-Unis votent cette loi de rapport de force, extraterritoriale - en fait, la Suisse a été menacée d'une interdiction de ses banques – pour débloquer la situation notamment dans l'Union Européenne où l'on espère pour 2015 la transmission automatique des informations par les banques. Au-delà, il faut cependant pouvoir traiter les données. Quand l'administration fiscale française sera submergée de centaines de milliers d'informations, il faudra être capable de les exploiter.

Un deuxième point cependant n'est pas réglé au niveau international celui des trusts, notamment : Les Etats-Unis sont très déterminés pour agir sur les comptes bancaires, car c'est un moyen d'éradiquer la concurrence suisse, européenne, mais bien évidemment, ils ne veulent pas s'attaquer de la même manière aux trusts, qui permettent de dissimuler des sommes considérables dans des dispositifs de type poupée russe empêchant de connaître les bénéficiaires effectifs des capitaux.

Pour conclure, tous les pays qui réussissent dans la lutte contre la grande fraude fiscale ont associé la population à ce combat. Il faut voir au Royaume-Uni et aux Etats-Unis les photos des fraudeurs fiscaux, publiées sur Internet, il faut voir le boycott des entreprises qui fraudent le fisc comme Starbucks. Il y a un aspect culturel. Tant qu'en France, on considérera la fraude comme un « sport » légitime, on ne pourra rien faire. Il me paraît donc important que l'Etat montre l'exemple, ce qui exige de nettoyer au plus vite les écuries, mais au-delà, aussi, peut-être, faut-il, négocier un pacte de modération fiscale, affectant les sommes provenant de la lutte contre la fraude fiscale à des baisses d'impôt plutôt que de nourrir la dépense publique.

Nous avons aussi fait une proposition un peu différente dans le rapport, la proposition n° 18, qui me paraît fondamentale. Elle vise à ce que les fonds qui seront rapatriés, notamment de Suisse, sous la menace de l'échange automatique d'informations, puissent être utilisés dans le cadre d'un emprunt d'Etat, pour en faire bénéficier, notamment, la transition énergétique. Ce sont des dizaines de milliards d'euros qui peuvent revenir si l'Etat joue intelligemment la carte d'un traitement différencié, et en aucun cas une amnistie – nous y sommes hostiles –, de ces fonds, qui s'investiraient à long terme pour le bien-être de notre pays. Ils risquent sinon de repartir vers des destinations plus secrètes dans des trusts au Delaware, aux îles Caïman ou ailleurs. Il y a là une occasion historique avec l'application de loi FATCA et le changement de mentalité - du moins en Europe et peut être en Suisse-, à faire revenir des capitaux qui peuvent être utiles à notre pays.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion