Je souhaite, avant de passer la parole aux autres commissaires, souligner la qualité du travail que vous avez effectué mais faire savoir également que je ne partage pas toutes les propositions du rapport d'information.
D'abord, ce rapport traite un problème essentiel et contre lequel il est encore nécessaire d'agir avec beaucoup de résolution : les paradis fiscaux. C'est un sujet sur lequel j'ai travaillé notamment comme parlementaire, sous la précédente législature, en 2009, dans le cadre de la commission des affaires européennes, avec Daniel Garrigue. Il y a eu d'autres travaux parlementaires sur cette question depuis une quinzaine d'années.
Sur le constat général, nous sommes tous d'accord. Les paradis fiscaux et autres centres offshore sont des pays et territoires qui captent une large part de la finance mondiale et des capitaux sans que l'ensemble du reste du Monde en tire un quelconque avantage. Ce sont des trous noirs qui abritent des sommes que l'on ne connaît pas vraiment, mais dont l'ordre de grandeur est estimé de 10.000 à 20.000 milliards de dollars. Ces montants sont d'autant plus inacceptables que nous sommes en situation de crise et que nous demandons beaucoup d'efforts aux citoyens. Ces territoires sont le refuge de ceux qui veulent fuir la régulation – la plus dangereuse –, comme de la fraude fiscale et de l'évasion fiscale. Ils sont aussi les points de passage qui permettent aux entreprises multinationales, notamment celles de l'Internet, de diminuer leur impôt. Ils servent aussi - et c'est encore plus grave à mes yeux, à organiser le blanchiment de capitaux douteux et criminels. Ils ne profitent qu'à quelques-uns dans des conditions qui ne sont pas acceptables : ceux qui s'y abritent ; ceux qui organisent les circuits et montages. Au moment où nos Etats ont besoin de se rétablir financièrement, c'est non seulement inadmissible sur le plan moral, mais c'est aussi vital.
Nous serons aussi, j'en suis sûre, d'accord pour convenir que les mesures décisives en la matière pour régler le problème sont les suivantes.
Pour les particuliers, on avance dans la voie de l'échange d'informations et il convient de dépasser les limites de l'échange sur demande au cas par cas actuellement en vigueur. Le G20 et le G8 en ont décidé ainsi cette année. FATCA est un progrès en la matière. Nous sommes aussi d'accord sur le fait qu'il va falloir suivre avec attention la mise en oeuvre de ces accords FATCA de même que les différents travaux menés au niveau du G20, du G8 comme de l'Union européenne pour que cet échange automatique de données soit effectivement appliquée aux échéances annoncées de 20152016. Dans une étape ultérieure, il faudra également que les revenus non financiers soient eux aussi concernés par les échanges entre administrations fiscales.
Je crois essentiel que ces dispositifs soient complétés par la transparence effective des structures écran, au premier rang desquels les trusts, fiducies, Anstalt et sociétés offshore, qui ne servent qu'à organiser l'opacité de la propriété effective. Cette transparence ne peut être assurée que par un registre centralisé des personnes physiques qui sont leurs bénéficiaires réels, dans chaque pays ou territoire. Il faut aussi c'est vrai une évaluation rigoureuse du niveau de coopération effective des Etats, comme le fait le Forum mondial pour l'échange de données fiscales sur demande et comme doit le faire le GAFI en manière de lutte contre le blanchiment. Dans l'idéal, il faudrait obtenir la reconnaissance du fichier centralisé des comptes bancaires type FICOBA comme norme internationale applicable à tous les pays et territoires.
Pour les entreprises, c'est plus difficile, parce qu'il faudrait harmoniser les souverainetés fiscales pour éviter les dispositifs hybrides qui permettent le cumul des non impositions dans la circulation internationale des bénéfices - mais c'est un sujet qui commence à être posé - et concevoir un impôt sur les sociétés adapté au numérique.
Il y a aussi dans le rapport des idées nouvelles comme un contrôle du politique sur les instances comptables internationales, car la comptabilité n'est pas qu'une question technique, et la prise en compte de la coopération fiscale dans les négociations commerciales internationales de l'Union européenne.
Les rapporteurs ont raison d'insister sur ces points. Ce sont des éléments clef car il nous faut aller traquer les recoins dans lesquels il sera encore possible de faire des transactions illicites ou d'échapper à l'impôt.
Il convient plus que jamais que le Parlement français réaffirme son attachement à ces objectifs et mesures. Le contexte international est favorable à ces réformes. Si elles étaient pleinement réalisées, la question des paradis fiscaux serait enfin réglée.
Je tiens néanmoins à dire que je ne partage pas le point de vue des rapporteurs, d'abord lorsqu'ils laissent libre cours à leur scepticisme quant à l'action internationale et européenne.
D'abord, ce point de vue conduit à minorer l'importance des avancées intervenues depuis plus de 20 ans, qui ne sont pas toujours connues. Ce n'est pas parce que nous ne sommes pas encore au point d'arrivée souhaité qu'il faut méconnaître le rôle des étapes qui ont été franchies. Les initiatives ont été nombreuses depuis le Sommet de l'Arche, dans la lutte contre le blanchiment, contre la fraude et l'évasion fiscales internationales et pour la régulation financière. La relance des initiatives à partir de 2009, après une pause que comme vous, je déplore, au coeur des années 2000, a fait évoluer les choses : le secret bancaire n'est plus absolu.
Sur le plan européen aussi, la coopération judiciaire a avancé. Certes, la directive épargne de 2003 a des limites, mais elle a donné un point d'entrée dans un domaine sur lequel on n'avait auparavant pas de prise.
Le titre du rapport « si l'on passait des paroles aux actes » n'est donc pas exact : il y a déjà eu des actes. Disons que c'est un titre d'appel pour inciter à la lecture.
Ensuite, le rapport fait état de quelques réserves sur FATCA. Pourtant, FATCA est l'élément essentiel qui a permis de tout débloquer : les États-Unis ne sont pas un frein au G 20, sur ce sujet, mais au contraire, ils sont, de même que la France et l'Allemagne, un moteur.
Enfin, à propos de l'Union européenne, nous déplorons tous qu'elle n'aille pas suffisamment loin en matière d'harmonisation juridique et fiscale. L'idée d'un plancher, d'un niveau minimum pour l'impôt sur les sociétés, est déjà largement partagée dans cette commission et il faudrait y parvenir.
Mais je ne peux pas suivre le rapport sur la méthode proposée pour parvenir à une telle harmonisation. Nos rapporteurs proposent en effet, à l'encontre des pays qui refuseraient l'harmonisation, de taxer aux frontières leurs produits et leurs prestations de services (pages 142 et 143). Le rapport propose une « crise purificatrice » en mettant hors-jeu l'instrument et les modalités du dialogue et de la négociation entre les pays européens. Je doute que l'on puisse organiser une coopération en détruisant les seuls outils existants et je ne suis pas d'avis que ce soit très efficace.
Cette même divergence de conception sur l'Europe me conduit également à regretter que le rapport ne mentionne pas la proposition de directive sur la décision d'enquête européenne, car celle-ci simplifierait considérablement la collecte dans tout Etat membre autre que celui des poursuites, et complèterait utilement l'Espace de Liberté, de sécurité et de Justice.
J'ai aussi quelques observations sur vos nombreuses propositions concernant le niveau national.
Il faut d'abord être très attentif à ne pas empiéter sur les compétences de la commission des finances et de la commission des lois. Certaines propositions appellent donc discussion, réflexions et approfondissement avec nos collègues des commissions concernées.
Sur le fond, je regrette que les avancées récentes ne soient pas suffisamment rappelées, même si vous en avez fait mention dans vos interventions. Là encore, des actes et non seulement des paroles sont intervenus.
Par ailleurs, certains sujets ne relèvent clairement pas du cadre initial du rapport et débordent notre compétence. Tel est le cas de la mise à l'étude d'une mobilité interrégionale des magistrats, de l'élargissement des possibilités de recours aux fichiers, ou encore de la création d'une sanction en cas de manquement à l'article 40 du code de procédure pénale.
Sur ce dernier point, pourquoi est-il vraiment indispensable d'assortir d'une sanction, pouvant aller dans certains cas jusqu'à la révocation, si j'ai bien compris le texte page 172, cette obligation qu'ont les fonctionnaires de transmettre au procureur de la République les éléments d'un délit ou d'un crime? Comme le relève le rapport en plusieurs passages, les fonctionnaires français sont honnêtes et de qualité, engagés dans leur travail. Il serait beaucoup moins déstabilisant pour eux de prévoir une circulaire du garde des Sceaux rappelant les modalités de cette procédure. D'ailleurs, le rapport observe que la Chancellerie et les Finances ont déjà fait cette démarche. On peut tout à fait la rendre plus visible et plus générale.
Par ailleurs, les modalités d'organisation interne de l'administration du contrôle fiscal sont en pleine évolution. Je vous invite à lire à cet égard le supplément des Échos du week-end dernier qui comprend un dossier sur ce sujet. Il est dit notamment que la DVNI a récupéré l'an passé 4,6 milliards d'euros, soit un quasi-doublement en cinq ans. Je le souligne pour nuancer votre appréciation selon laquelle l'État baisserait les bras. Peut-être y a-t-il des améliorations à apporter en suivant l'exemple des états américain, belge, et d'autres qui ont pris conscience que ce champ d'action est majeur pour la réduction des déficits et des dettes publiques. Mais des choses sont faites.
Voilà les remarques que je voulais faire à propos de ce rapport. Nous avons des divergences, mais leur expression n'enlève rien à l'appréciation positive que je porte sur la qualité de votre travail. Vous avez mené une véritable enquête et auditionné de nombreuses personnes. Le livre que M. Dupont Aignan a publié la semaine dernière et que M. Bocquet a préfacé met en valeur ce travail. L'on peut regretter qu'il ait été publié avant notre réunion, mais, d'un autre côté, on peut espérer aussi que notre commission bénéficiera également de la publicité qui l'entoure.
Avant de passer la parole à nos collègues, je rappellerai qu'il n'appartient pas à la commission d'approuver le rapport, ni les propositions qu'il contient, mais seulement d'autoriser sa publication.