Intervention de Alain Bocquet

Réunion du 9 octobre 2013 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Bocquet, co-rapporteur :

J'ai appris d'un théoricien que je respecte, Engels, que la « patience est une vertu révolutionnaire ».

La question n'est pas de savoir si l'on a agi ou non à tel ou tel niveau. Il faut être clair : nous n'avons pas une connaissance exacte du niveau de la criminalité financière en France, en Europe, comme dans le monde. Même si l'on avance grâce à la levée du secret bancaire ou à l'échange d'informations, les banques et les structures d'aide à l'optimisation fiscale sont engagées dans une course de vitesse. Ces acteurs ne veulent pas quitter le marché et ils ont toujours plusieurs temps d'avance.

Ce que nous avons voulu mettre en évidence, c'est l'urgence de mettre la barre un peu plus haut en matière de riposte et de résistance. Il y a aussi un bal d'hypocrites. L'Autriche s'abrite ainsi derrière le Luxembourg…

Je fais mienne aussi la remarque sur le pantouflage. Ceux qui ont mis au point les systèmes sont les mieux placés pour les détourner. Il y aurait donc des règles à mettre en place. Sinon c'est trop facile !

Nicolas Dupont-Aignan. Les réserves exprimées par notre Présidente me semblent en définitive mineures, car elles portent sur le passé. Nous ne mésestimons pas ce qui a été fait. Nous constatons un retard. Les organisateurs de la fraude et l'évasion fiscales vont toujours plus vite que l'Etat.

Sur les égards dont il faut faire preuve vis-à-vis des autres commissions, je rejoins tout à fait la remarque. Nous nous sommes posés à un moment, la question de savoir de savoir où nous nous arrêtions. Nous avons voulu montrer que l'on peut aussi agir sur le plan national sans nécessairement aller chercher des solutions, impossibles, au niveau international.

Nous sommes en désaccord sur la méthode, s'agissant de l'Europe. On dit que l'Union européenne est un espace d'harmonisation. Non, ce n'est pas le cas. Nous avons intégré dans le rapport des graphiques établis par la société KPMG : on constate très clairement que le taux moyen d'imposition des sociétés a diminué dans l'Union européenne de 10 points en dix ans, passant de 34% en 1999 à 23% en 2009 –il a encore diminué depuis. Pendant ce temps, en Asie, parfois présentée comme un lieu de « débauche libérale », il n'a baissé que de trois points. C'est le logiciel de l'Union européenne tel qu'il est construit qui est un logiciel de moins disant social et fiscal permanent.

Nous ne demandons pas de mettre des taxations aux frontières dans toute l'Union Européenne, mais nous estimons que si à un moment, nous voulons sortir des voeux pieux sur l'harmonisation fiscale et sociale, on ne le fera que par une « crise salvatrice » du type politique de la « chaise vide ». C'est ainsi que l'on a créé la PAC, et que Margaret Thatcher, a récupéré son « chèque » le jour où elle a dit « stop ».

A l'échelle européenne, on peut multiplier les discussions à Vingt-huit, mais rien ne changera. Le logiciel est de favoriser les Etats qui s'affranchissent de toute règle. M. Juncker a dirigé la zone euro alors même qu'il vient d'un Etat que je qualifierai de « limite », « trichant » avec toutes les règles et disant « il y a Monaco », quand Monaco disait « il y a la Suisse ». Nous disons simplement qu'il y a un moment où il va falloir agir pour mettre fin au pillage des grands Etats.

Nous avons d'ailleurs là un formidable terrain d'entente possible avec l'Allemagne, et aussi avec le Royaume-Uni. Ce dernier nous a surpris. Il peut, il est vrai, jouer un double, voire un triple ou quadruple jeu sur la City, Jersey et les autres territoires, mais il faut reconnaître qu'il a une véritable stratégie. Il utilise la City et Jersey pour telle opération, mais, en revanche, il lutte contre l'escroquerie à la TVA pour éviter de se laisser piller. Celle-ci a pu être éradiquée en trois ans. La France, en revanche, donne l'impression de ne pas choisir ses cibles. Elle n'a pas de stratégie globale. Il y a des efforts, mais nous disons, et c'est le fond de notre rapport, qu'à législation et à mentalité constantes, l'on ne changera rien. S'il n'y a pas dans notre pays une « révolution culturelle » sur ce qu'est la grande criminalité financière et les moyens nécessaires, nous passerons notre temps à courir derrière.

Tracfin marche très bien il est vrai, mais quand Tracfin signale et transmet une situation en apparence illégale au fisc ou qu'il transmet au pénal, il n'y a aucune conséquence car il y a un « embouteillage » du côté de Bercy, avec des choix difficiles à faire et une insuffisance de moyens. Il faut aussi poser la question du monopole du ministre pour engager les poursuites en matière fiscale sur avis conforme de la commission des infractions fiscales (CIF). Nous proposons d'ailleurs, tout en ayant conscience de l'audace cette proposition, la suppression de ce dispositif, mais on peut aussi imaginer une solution intermédiaire.

A propos de l'affichage des fraudeurs, je n'ai pas dit qu'il fallait mettre des affiches « Wanted » sur tous les murs de Paris, mais nous constatons que les Anglais et les Américains ont une réelle volonté de traquer la délinquance financière. Il faut prendre en considération les aspects culturels de la lutte contre la grande criminalité financière.

Par ailleurs, il n'y a aucune coordination interministérielle sur les conventions fiscales. Quand on interroge des ambassadeurs, ils nous disent « tout va bien », mais quand on demande aux ONG, elles répondent que c'est une catastrophe. Il faut donc une vraie coordination, beaucoup plus étroite, au sujet des conventions fiscales.

Enfin, concernant les magistrats, j'ai lu le rapport Montebourg et il est quand même aberrant qu'un magistrat puisse rester en place dans la même région toute sa vie. Nous demandons simplement à ce que les magistrats, au moins une fois dans leur carrière, soient amenés à changer de région.

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