Les deux projets de loi que nous examinons visent à ratifier un accord-cadre de coopération et un accord de libre-échange signés en 2010 entre l'Union européenne et la Corée du Sud. Ces accords ont déjà été ratifiés par 23 membres de l'Union européenne et sont appliqués depuis 2011. Ils prennent la suite de l'accord-cadre de commerce et de coopération entre la Communauté européenne et la Corée du Sud qui avait été signé en 1996.
Il s'agit pourtant d'accords importants pour plusieurs raisons. D'abord compte tenu de ce qu'est devenue la Corée du Sud. Ce pays, sorti exsangue de la guerre de 1950-1953, à laquelle 3 200 Français ont pris part et où 270 ont laissé leur vie, a connu la dictature militaire, puis s'est démocratisé.
La Corée a connu depuis un demi-siècle une croissance exceptionnelle. Sur plus de trente ans, depuis 1980, le taux annuel moyen de croissance du PIB réel par habitant a été de 5,5 %, ce qui a pour conséquence que ce revenu par habitant a été multiplié par six sur la période. Aujourd'hui, si l'on raisonne en parité de pouvoir d'achat, ce qui rend mieux compte du niveau de production réelle des pays et du niveau de vie de leurs habitants, il y a un écart de moins de 10 % entre le PIB par habitant coréen et le PIB par habitant français. Cela signifie que la Corée du Sud nous a de fait rattrapés dans ce domaine. Toujours en parité de pouvoir d'achat, la Corée est maintenant la 12ème économie mondiale et le 8ème exportateur mondial.
13 de ses entreprises sont parmi les 500 premières du monde. Ses réserves de change sont les 7èmes du monde. Le budget est en équilibre et on observe certes depuis un an un ralentissement relatif de l'économie coréenne, mais avec encore une croissance supérieure à 2 % que nous pourrions envier.
Comme la Corée est, avec 49 millions d'habitants, dix fois moins peuplée que l'Union européenne, il est normal qu'elle soit pour l'Union européenne une partenaire moins important que dans l'autre sens l'Union ne l'est pour la Corée. L'Union européenne est le 3ème fournisseur et client de la Corée, représentant environ 8 % de ses flux commerciaux, tandis que la Corée n'est que le 9ème fournisseur et le 10ème client de l'Union, avec un peu plus de 2 % de ses flux commerciaux extérieurs. S'agissant de la France, la Corée est de même un partenaire commercial significatif mais pas majeur, puisque nous faisons avec elle moins de 1 % de notre commerce international, soit un peu plus de 2 % de notre seul commerce extra-communautaire.
Mais, vu le dynamisme de l'économie coréenne et vu le niveau de vie maintenant atteint par ses habitants, avec tout ce que cela signifie en termes de consommation de produits et de services, la Corée est un marché que les entreprises européennes et en particulier françaises ne peuvent pas négliger.
Ces accords sont également importants car ils sont emblématiques d'une double démarche privilégiée par la diplomatie communautaire.
L'Union européenne cherche désormais : d'une part à conclure simultanément et lier des accords politiques de portée générale, qui permettent d'affirmer des valeurs communes et des accords économiques ; d'autre part, face à l'enlisement du processus multilatéral de Doha, à passer des accords commerciaux bilatéraux. Ces accords, dits « OMC + », doivent traiter de tous les obstacles liés au commerce, y compris au-delà des frontières, et pas seulement des droits de douane et procédures douanières.
Cette nouvelle stratégie a été formalisée par la Commission européenne en 2006 et les accords avec la Corée que nous examinons en sont en quelque sorte la première concrétisation majeure. Depuis, d'autres négociations commerciales ont été lancées, comme vous le savez, avec le Canada, les États-Unis, le Japon. L'Union a aussi des accords de libre-échange ou assimilés en vigueur avec l'Afrique du Sud, les pays méditerranéens et divers pays latino-américains.
De fait, l'accord de libre-échange avec la Corée du Sud que je vous présente comporte des avancées concrètes dans de très nombreux domaines. C'est un document de plus de 1 800 pages qui comprend, outre l'accord stricto sensu, vingt-cinq annexes, trois protocoles et quatre memoranda ! Les titres des chapitres de l'accord lui-même montrent qu'il est très complet, puisque, outre les habituelles dispositions générales et dispositions finales, ils traitent, je cite, de : l'accès au marché pour les marchandises ; les mesures commerciales que peuvent prendre les parties ; les obstacles techniques au commerce ; les mesures sanitaires et phytosanitaires ; le régime douanier et la facilitation des échanges ; le commerce des services ; les mouvements de capitaux ; les marchés publics ; la propriété intellectuelle ; la concurrence ; les engagements de transparence ; la prise en compte du développement durable.
Le premier objet de l'accord est le démantèlement de pratiquement tous les droits de douane entre les deux parties, qui sera réalisé en cinq ans pour presque tous. Pour quelques lignes tarifaires, ce démantèlement durera plus longtemps, jusqu'à 21 ans, et enfin quelques produits agricoles resteront à terme soumis à des droits et des quotas : le riz, certains produits de la pêche, divers fruits et légumes… L'effort effectué sera plus important de la part de la Corée, car elle part de niveaux de droits beaucoup plus élevés, surtout dans l'agriculture : en moyenne, on part de 5 % pour l'Union et de 12 % pour la Corée ; pour les seuls produits agricoles, de 14 % pour l'Union, mais de près de 49 % en moyenne pour la Corée.
Il est cependant admis dans les études des économistes que les barrières non-tarifaires ont dans le commerce euro-coréen un impact plus fort que les tarifs douaniers. L'accord s'y attaque, avec en particulier des mesures concrètes, précises, dans quatre secteurs industriels stratégiques : les produits électroniques ; l'automobile ; les médicaments ; les produits chimiques.
Pour les automobiles par exemple, qui sont soumises à des réglementations techniques très détaillées, les deux parties devront, dans un certain nombre de domaines comme la sécurité, le bruit et les émissions de polluants, considérer comme satisfaisant à leur propre réglementation les véhicules importés de l'autre partie qui sont conformes aux prescriptions des règlements internationaux dits WP 29 : les véhicules importés n'auront donc plus à satisfaire des standards locaux parfois complexes qui recouvrent des formes de protectionnisme déguisé, en particulier en Corée du Sud. Il est en outre prévu une harmonisation dans un délai de cinq ans de nombreuses réglementations coréennes sur les règlements du WP 29. Dans la bataille mondiale qui se livre autour des normes, cet alignement sur le système normatif WP 29 renforce la position européenne, car c'est sur ce système que l'essentiel des normes européennes de l'automobile sont déjà alignées, par opposition au système de standards concurrent, édicté par les États-Unis.
Comme la question va m'être posée, je vous donne tout de suite quelques indications sur ce qui s'est passé suite à l'entrée en vigueur de l'accord pour les échanges dans le secteur de l'automobile. De 2011 à 2012, les exportations de voitures de l'Union ont augmenté de plus de 27 %, passant de 1,95 milliard d'euros à 2,5 milliards, et les importations depuis la Corée du Sud de 14 %, passant de 3,4 milliards d'euros à 3,9 milliards.
Pour les produits électroniques, il ne pourra plus être exigé de tests effectués sur le lieu d'importation, alors que la Corée du Sud imposait auparavant aux importateurs des tests et procédures de certification très onéreux.
En matière de médicaments, des garanties de transparence sont données quant au mode de fixation des prix de remboursement et des recours contre les décisions en la matière devront être mis en place.
L'accord comprend aussi des avancées concrètes en ce qui concerne les services et les marchés publics, avec là-aussi un effort plus important de la part de la Corée que de celle de l'Union, parce que le niveau d'ouverture de départ était beaucoup plus grand dans la seconde que dans la première. Il y a donc un certain nombre de mesures d'ouverture dans les transports maritimes, les services financiers, les services de réseau, les télécommunications, les marchés publics correspondant à des projets d'infrastructures et les professions juridiques.
Les dispositions sur la propriété intellectuelle sont également précises. On a notamment des engagements mutuels très précis quant à la protection des indications géographiques. La Corée s'est ainsi engagée à protéger de nombreuses appellations françaises : divers fromages – vous comprendrez que je sois attaché au Saint-Nectaire…–, vins et spiritueux bien connus, les pruneaux d'Agen, les huîtres de Marennes-Oléron, le jambon de Bayonne, etc. Cette protection sera large puisqu'elle interdira aussi les usages non directement trompeurs d'indications géographiques consistant à les faire précéder par des mots tels que « genre », « façon » ou « imitation ».
Enfin, conformément aux positions françaises, l'accord exclut de son champ certains secteurs, tels que les services audio-visuels et les armements. Les services audio-visuels sont traités dans un protocole à part dont l'entrée en vigueur a été conditionnée à la ratification par la Corée de la Convention de l'UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, ce qui a été fait.
Je serai beaucoup plus rapide sur l'accord-cadre, car c'est un document de portée très générale. Son objet est d'abord de solenniser l'attachement commun de l'Union européenne et de la Corée du Sud à des valeurs et à de grands principes du droit international. Il faut rappeler que la Corée du Sud est une démocratie, ce qui n'est pas si fréquent en Asie ; c'est aussi un des rares pays de la zone qui n'applique plus la peine de mort. Cet accord se présente ensuite comme un catalogue d'engagements de coopération, le plus souvent génériques, dans de très nombreux domaines.
Assez étrangement, l'accord commercial dont nous avons à autoriser la ratification est en fait déjà appliqué depuis le 1er juillet 2011 pour l'essentiel de ses clauses. Cela tient à sa nature d'accord dit « mixte » qui doit être ratifié par tous les États-membres de l'Union européenne, mais dont la plus grande partie, concernant les seules compétences communautaires, a pu être mise en oeuvre dès lors que les seules instances européennes l'avaient ratifié. Les matières commerciales sont en effet essentiellement communautaires et la ratification des États-membres n'est requise dans le cas présent que pour certaines dispositions dans le domaine culturel et dans celui des sanctions du non-respect de la propriété intellectuelle.
De ce fait, on dispose d'ores et déjà de retours sur l'impact économique et les éventuelles difficultés d'application de cet accord, et l'on peut d'ailleurs comparer ces premiers résultats avec les évaluations qui avaient été faites ex ante.
Une étude préalable d'impact économique avait en effet été réalisée par un organisme français, le CEPII, pour la Commission européenne. Cette étude concluait que l'accord serait bénéfique aussi bien à l'Union européenne qu'à la Corée du Sud. Compte tenu de la différence de taille entre les deux économies, cette étude estimait que les gains relatifs seraient plus perceptibles pour la Corée que pour l'Union : le gain de PIB serait de l'ordre de 0,5 % à 0,8 % pour la première, alors qu'il serait à peine perceptible pour la seconde ; les exportations coréennes augmenteraient globalement de 4 % à 5,5 %, contre seulement 1 % à 1,4 % pour celles de l'Union.
Pour ce qui est des seuls flux commerciaux bilatéraux, l'étude concluait en revanche à une augmentation bien plus importante des exportations européennes vers la Corée que des exportations coréennes vers l'Europe. Ceci s'explique par le fait que la Corée avait, avant l'accord, un niveau moyen de protection tarifaire et non-tarifaire bien plus élevé que l'Union et fait donc un effort plus important dans le cadre de l'accord. L'étude prévoyait donc un rééquilibrage de la balance commerciale au bénéfice de l'Union européenne à hauteur de 7 à 10 milliards d'euros, avec des gains très importants dans plusieurs domaines : la chimie, les machines, les produits de l'élevage notamment. Mais dans l'autre sens, l'étude anticipait une forte dégradation de la balance bilatérale euro-coréenne dans deux secteurs : le textile et surtout l'automobile, où le déficit bilatéral de l'Union, actuellement de 1,4 milliard d'euros, pourrait gonfler de 5 à 13 milliards !
Que s'est-il passé en fait depuis deux ans que l'accord est appliqué ?
La Commission européenne a publié dès juin 2012, un an après l'entrée en vigueur de l'accord, un communiqué triomphal censé démontrer les gains considérables de l'accord pour les exportateurs européens. Ces arguments sont repris dans le rapport annuel qu'a produit la même Commission en février de cette année.
Moi-même, j'ai regardé ces documents et les chiffres et je suis moins convaincu. Pour aller vite – vous trouverez le détail dans mon rapport écrit – il est vrai que l'on constate un rééquilibrage du commerce entre l'Union européenne et la Corée du Sud. On est même parvenu en 2012 à un quasi-équilibre de ce commerce, qui était traditionnellement très déficitaire pour l'Union. Mais d'une part ce rééquilibrage se poursuit depuis plusieurs années et il me paraît donc difficile de l'attribuer à un accord entré en vigueur mi-2011. D'autre part, il est probable qu'il est surtout lié à la différence de conjoncture économique entre l'Europe et la Corée. On sait en effet que le niveau des importations d'un pays est largement lié à sa situation économique. La croissance étant bien plus élevée en Corée qu'en Europe, il n'est pas étonnant que les importations coréennes depuis l'Europe soient plus dynamiques que les importations européennes depuis la Corée.
Seul élément de satisfaction, le solde commercial entre l'Europe et la Corée a peu évolué dans le secteur de l'automobile, où il y a, comme je l'ai dit, des inquiétudes.
L'analyse de l'évolution des échanges franco-coréens n'est pas beaucoup plus concluante : à court terme du moins, l'accord ne semble pas affecter la tendance de moyen terme, qui tend d'ailleurs plutôt à un rééquilibrage en faveur de notre pays dans plusieurs secteurs. Dans l'automobile, le solde continue à se dégrader en notre défaveur, mais sans atteindre en soi un niveau catastrophique. Les constructeurs français ne vendaient pas en Corée avant l'accord et n'y vendent toujours pas grand-chose.
Je conclurai en citant une note de la direction générale du Trésor qui m'a été communiquée et qui fait le constat suivant : le rééquilibrage des flux commerciaux entre l'Union européenne et la Corée au bénéfice de la première n'est sans doute qu'en partie dû à l'accord de libre-échange, mais la corrélation apparente entre l'accord et cette évolution a généré des réflexes protectionnistes en Corée du Sud. Le climat post-entrée en vigueur de l'accord y est devenu défavorable aux entreprises étrangères. Par ailleurs, selon ce document, de nombreuses difficultés d'accès au marché coréen se maintiennent, voire se renforcent. Ainsi, l'accord n'a-t-il pas permis de lever certains obstacles, par exemple l'embargo sur le boeuf européen ; des difficultés subsistent dans de nombreux domaines et de nouvelles exigences apparaissent dans des champs non traités par l'accord, avec par exemple un projet de législation surtaxant certains alcools, une obligation nouvelle d'étiquetage en coréen sur les produits cosmétiques, etc.
Cette note appelle en conséquence à une grande vigilance sur l'application de l'accord de libre-échange et à un approfondissement du dialogue entre les autorités coréennes et la Commission européenne.
Je partage cette observation. Je vous propose donc de ratifier les deux accords qui nous sont soumis parce que la Corée du Sud est un partenaire économique incontournable et un marché dynamique, parce que nos exportations restent trop dirigées vers nos voisins européens, parce que c'est aussi une démocratie et donc un partenaire politique appréciable, parce que ce pays, partant d'un niveau plus élevé de barrières tarifaires et non-tarifaires, a donc accepté des concessions plus importantes que l'Union européenne.
Mais il faut aussi que le suivi de l'accord soit vigilant et que la Commission européenne ne cède pas à une forme de triomphalisme libre-échangiste. Car cet accord présente des risques pour certains secteurs industriels européens, en premier lieu l'automobile. Et aussi car la Corée, à la différence de l'Europe telle qu'elle fonctionne, n'est pas à l'abri de la tentation de nouvelles mesures de protectionnisme plus ou moins déguisé.