L'accueil de personnes handicapées françaises dans des établissements implantés en Wallonie remonte à un siècle, au départ de certaines congrégations de l'autre côté de la frontière lors de la séparation de l'Eglise et de l'Etat.
D'autres facteurs expliquent aujourd'hui l'accueil important de personnes handicapées et notamment handicapées mentales, en Wallonie : l'insuffisance de places en France et la différence d'approche de ces handicaps, jugée dans certains cas plus satisfaisante.
Ce développement s'est longtemps fait de manière assez informelle. Les institutions françaises ne sont intervenues qu'à titre d'établissement payeur, qu'il s'agisse de l'assurance maladie ou des conseils généraux, au titre de leur compétence en matière médico-sociale. Côté wallon, les services accueillant exclusivement des Français n'étaient pas nécessairement agréés ni même inspectés. Ce n'est qu'en 1995 qu'a été créé en Wallonie, par décret, un régime dit d'autorisation de prise en charge, qui est un régime de contrôle administratif indépendant de la question du financement lequel est assuré par la France. Ce n'est qu'en 2009 qu'une nouvelle réglementation est intervenue pour encadrer les services fonctionnant sous autorisation de prise en charge, en renforçant les normes notamment d'encadrement définies en 2001-2002 et en prévoyant des inspections par l'Agence wallonne pour l'intégration des personnes handicapées (AWIPH).
La situation actuelle est donc caractérisée par trois éléments décrits tant par l'IGAS, l'inspection générale des affaires sociales, dans le rapport de 2005 intitulé « Le placement à l'étranger des personnes handicapées françaises », que dans le rapport présenté en 2008 de Mme Cécile Gallez, députée, sur « L'hébergement des personnes âgées et handicapées en Belgique ».
D'abord, notre connaissance du phénomène - combien de patients ? quels types de handicaps ? - est très approximative. Il n'y a, en effet, pas de recensement précis, sauf pour les dépenses relatives aux enfants et relevant de l'assurance maladie, car la caisse d'assurance maladie du Nord-Pas-de-Calais joue le rôle de caisse pivot. Il n'y a rien de tel pour les adultes. On ne dispose que d'estimations. On évalue ainsi à environ 6.600 le nombre des personnes handicapées aujourd'hui accueillies dans des établissements wallons, dont 1.900 enfants en établissement spécialisé et 2.900 dans l'enseignement adapté belge, ainsi que 1.800 adultes.
Bien sûr, une forte proportion des familles résident dans le Nord ou le Pas-de-Calais, mais l'ampleur de cet hébergement montre que l'on est au-delà de cette seule logique transfrontalière : un grand nombre de personnes viennent, en effet, d'autres départements, notamment de la région parisienne (14%).
On a une vision par conséquent parcellaire de l'impact financier correspondant, sauf naturellement pour les dépenses relatives aux enfants et relevant de l'assurance maladie.
Enfin, le contrôle sur ces établissements est insuffisant, voire inexistant, ce qui est particulièrement problématique non seulement sur le plan des principes, mais surtout en raison de la fragilité des populations concernées.
Même si la plupart des centres semblent offrir un accueil de qualité, les associations font remonter des dysfonctionnements et inadaptations, notamment la situation déplorable de quelques établissements appelés « usines à Français », ou encore l'absence de contrôle sur les cas de surmédication, des ruptures dans la continuité de l'accueil et aussi des financements insuffisants, les prix de journées n'étant pas toujours correctement calibrés.
Par conséquent, un accord-cadre, selon le modèle de celui en vigueur en matière de coopération sanitaire transfrontalière, a été conclu en 2011 entre la France et la Wallonie pour combler les lacunes actuelles. Il est demandé à l'Assemblée nationale d'en autoriser l'approbation.
Pour être très clair, cet accord concerne uniquement les personnes handicapées, adultes ou enfants, accueillies en établissements spécialisés, ainsi que l'hébergement d'une partie des enfants scolarisés dans l'enseignement spécialisé. Il ne concerne pas les personnes âgées dépendantes, qui relèvent d'un autre cadre. Il ne concerne pas non plus la question de la scolarisation des enfants en tant que telle.
Ce n'est pas un accord classique puisqu'il est conclu avec une région et non avec un Etat, mais il s'agit bien d'un accord international. Dans le cadre de la Fédération belge en effet, la région wallonne, entité fédérée, dispose de la capacité à signer des accords internationaux dans ses domaines de compétence exclusive.
L'autorisation parlementaire est nécessaire à son approbation, compte tenu du caractère législatif de certaines de ses dispositions, notamment celles concernant les transferts de données personnelles.
La Wallonie a déjà approuvé cet accord-cadre le 17 avril dernier.
Pour sa part, le Sénat a déjà adopté le présent projet de loi, le 25 juillet 2013, suivant l'avis favorable de sa rapporteure, Mme Michelle Demessine.
L'objectif de l'accord est d'établir la base juridique d'un dispositif permettant :
– d'assurer un meilleur accompagnement et une prise en charge de qualité ;
– d'organiser la continuité de cet accompagnement et de cette prise en charge ;
– d'optimiser les réponses, en favorisant la fluidité dans le recours aux matériels comme aux compétences ;
– de favoriser le transfert et l'échange de bonnes pratiques.
Les dispositions de l'accord sont les suivantes.
Pour connaître avec précision le nombre et la situation des personnes handicapées concernées, l'article 3 prévoit que les autorités wallonnes établiront un Relevé d'informations recensant les personnes accueillies en Belgique. La communication de ces éléments aux autorités compétentes wallonnes et françaises se fera dans le respect des règles européennes, nationales et locales en matière de transfert de données à caractère personnel.
La centralisation des données relève pour la France de l'Agence régionale de santé (ARS) du Nord-Pas-de-Calais, ce qui permettra une uniformisation du traitement des dossiers.
Concernant le contrôle des établissements d'accueil, l'article 4 prévoit des inspections communes franco-wallonnes, de manière à s'assurer de la qualité de la prise en charge. Ces inspections communes se feront selon les règles de droit applicables en Wallonie sans autre élément d'extraterritorialité que la compétence des agents français. Ces inspections sont très importantes, car il s'agit de vérifier concrètement ce qui se passe. Leur champ est large. Il couvre les modalités d'accueil et d'hébergement, les modalités de prise en charge socio-éducative, la prise en charge par un régime de sécurité sociale, la promotion de la bientraitance, la formation continue des personnels, ainsi que la transmission des données du Relevé d'informations.
Ces inspections communes répondent à des attentes exprimées de part et d'autres : l'AWIPH souhaite l'appui des autorités françaises vis-à-vis de leurs ressortissants (répartition de la charge de travail et garantie contre le « délaissement ») ; c'est aussi pour la partie française le moyen de répondre aux préoccupations exprimées par de nombreuses associations.
La principale question est de savoir dans quelles conditions précises seront décidées les inspections et quelles suites seront données aux signalements des familles et des associations.
Selon les éléments communiqués, il devrait y avoir des inspections à l'initiative de la partie wallonne, de la partie française et également sur signalement des familles. Des travaux sont en cours notamment pour ce qui concerne la circulation de l'information et la transmission par l'AWIPH, aux autorités française, des éléments dont elle dispose et de ses constats.
Enfin, le conventionnement et la coordination des établissements d'accueil sont organisés aux articles 6 et 7.
Actuellement, la situation est très diverse avec des conventions qui ne sont pas harmonisées, sauf pour le placement des enfants relevant de la caisse pivot de sécurité sociale du Nord-Pas-de-Calais et avec, dans certains cas, un empilement de conventions.
L'objectif du dispositif est de rationnaliser et de simplifier les démarches de la manière suivante :
– pour les personnes orientées vers un établissement financé par l'Assurance maladie, un dispositif unique de conventionnement et d'autorisation de paiement des prises en charge sera mis en place ;
– pour les personnes orientées vers un établissement financé par les départements, les conseils généraux qui le souhaitent pourront établir des conventions avec les établissements belges en s'appuyant sur une convention-type qui s'inspirera des bonnes pratiques.
Sur l'entrée en vigueur et la durée d'application, le texte de l'accord est des plus classiques : l'accord entrera en vigueur au 1er jour du 2eme mois suivant la dernière notification de la ratification ; sa durée est indéterminée et un délai de six mois est prévu en cas de dénonciation par l'un des signataires.
Comme il s'agit de régler des difficultés très concrètes, la mise en oeuvre de l'accord sera essentielle. Aussi l'article 9 prévoit-il une commission mixte.
En complément, est prévu en France un comité de suivi. Ce comité sera présidé par le directeur général de l'ARS Nord-Pas-de-Calais qui en assurera le secrétariat et sera notamment composé de représentants de l'État, des ARS, des associations et des conseils généraux, ainsi que du consul général de France en Belgique et du parlementaire représentant les Français établis en Belgique.
Ce comité sera essentiel pour évoquer et régler les nombreux points sensibles qui ne sont pas abordés en tant que tels et notamment la surmédication et les cas d'abus de tutelle, qui ne sont pas suivis actuellement par l'AWIPH.
Cet accord est donc tout à fait opportun parce qu'il apporte des réponses à des lacunes. Son suivi et sa mise en oeuvre seront également essentiels.
Cependant, la situation ne deviendra pas pour autant satisfaisante. Parce qu'il ne relève plus d'une seule logique transfrontalière mais répond à une nécessité plus large, l'hébergement en Wallonie des personnes handicapées implique pour elles et leurs familles de la fatigue, de l'éloignement et de l'isolement.
Il faut donc voir cet accord comme relevant d'une logique d'équilibre : il ne s'agit ni d'organiser un rapatriement massif en France, ni de se décharger sur la Wallonie d'un manque de places structurel pour éviter d'avoir à développer les capacités d'accueil correspondantes.
Il s'agit uniquement d'améliorer l'existant tout en mettant en avant, en parallèle, l'exigence pour la France de combler son retard en matière d'accueil des personnes handicapées, et plus particulièrement de celles atteintes d'autisme.
Il faut donc saluer l'effort du Gouvernement qui, malgré des conditions budgétaires difficiles, réalise un effort conséquent avec, d'une part, l'augmentation de 40 000 du nombre des hébergements prévue par le programme pluriannuel 2008-2018 de créations de places en établissement et services pour personnes handicapées et, d'autre part, leur adaptation aux besoins.
En outre, il faut mentionner 10 000 places en Etablissement et services d'aide par le travail (ESAT).
Au-delà du nombre de places, le troisième plan autisme prévoit pour sa part une rupture d'approche fondée sur le développement de nouvelles méthodes comportementales et éducatives en vigueur dans d'autres pays.
Enfin, il faut se féliciter de l'annonce au mois d'août dernier par le Premier ministre de la titularisation progressive des auxiliaires de vie scolaire assistant les élèves handicapés.
Des éléments plus détaillés figurent dans le rapport.
Dans l'ensemble, la combinaison d'un effort quantitatif et d'une amélioration qualitative de méthode devrait permettre à la France de mieux accueillir à l'avenir ses ressortissants en situation de handicap.
Sous le bénéfice de ces observations, je vous propose donc d'adopter le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord cadre.