Notre position étant quelquefois déformée, je commencerai par préciser la façon dont la CFDT conçoit le financement de la branche famille.
Nous sommes très attachés au maintien du caractère universel des politiques familiales, mais nous pensons qu'il n'est pas exclusif d'une contribution à une politique de redistribution, même si certains soutiennent que telle n'est pas leur vocation. Ce caractère universel permet de s'assurer le consentement de nos concitoyens à un financement qui se fait via les cotisations et l'impôt, dans la mesure où ils ont le sentiment que ces politiques pourront leur bénéficier un jour ou l'autre, mais la redistribution également est un enjeu à caractère universel, de même d'ailleurs que la conciliation entre la vie professionnelle et la vie familiale, le soutien à l'autonomie et l'accès des femmes au marché du travail.
Pour nous, les évolutions passées du financement des politiques familiales se caractérisent surtout par leur complexité et par l'affectation de recettes non pérennes. Ainsi l'affectation de 0,28 point de contribution sociale généralisée (CSG) à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) a été compensée par des recettes budgétaires. Autre exemple plus récent : on s'est engagé auprès des employeurs à compenser l'augmentation de 0,15 point de leurs cotisations « retraite », mais nous ne savons pas d'où viendront les recettes qui seront utilisées à cette fin, si ce n'est qu'elles seront essentiellement d'origine budgétaire et nous n'avons aucune assurance quant à leur caractère pérenne. Cette compensation, tout comme le CICE, illustre le mélange de plus en plus accentué de recettes issues de cotisations et de ressources fiscales, ce qui brouille la lisibilité du dispositif et fait peser un risque d'instabilité sur les financements.
Nous pensons qu'au-delà de la branche famille, et plus largement de la politique familiale, il convient de clarifier le financement de la protection sociale dans son ensemble. Les prestations de nature assurantielle, qui se traduisent par le versement de revenus de remplacement – vieillesse, chômage, indemnités journalières en cas de maladie – devraient relever essentiellement d'un financement issu des cotisations sur les revenus du travail, puisqu'un revenu de remplacement doit avoir un lien intime avec le revenu que percevait la personne lorsqu'elle était en activité.
En revanche, les prestations à caractère plus universel – maladie, à l'exception des indemnités journalières, famille, perte d'autonomie – doivent, de ce fait, relever d'un financement plus large. En cas de perte d'autonomie par exemple, tous les citoyens devraient avoir droit à une aide, par le biais de l'allocation personnalisé d'autonomie (APA) ou par tout autre moyen. Nous espérons que cette aide sera rapidement instaurée dans le cadre d'une réforme de la prise en charge de la perte d'autonomie, mais, en tout état de cause, il n'est pas normal que seuls les revenus du travail salarié financent ce risque.
S'agissant de la branche famille, la CFDT est favorable à ce qu'elle bénéficie d'une partie – mais d'une partie seulement – des cotisations patronales. Il est indéniable en effet que les entreprises bénéficient dans une certaine mesure des politiques familiales, notamment de celles qui visent à faciliter la conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle et à favoriser l'accès des femmes à l'emploi, qui constituent un atout pour la compétitivité de notre pays. Dès lors, rien ne justifie que les employeurs soient totalement exonérés de leur financement.
Il existe des marges de manoeuvre en matière de transfert d'un outil vers l'autre, mais nous insistons – et c'est même pour nous une condition sine qua non – pour que ces transferts se fassent dans le cadre d'un scénario global de réaménagement du financement des prestations sociales garantissant le maintien du pouvoir d'achat des salariés. Nous exprimons les plus vives réserves à l'égard des projets du patronat qui, présentés parfois de façon caricaturale, consisteraient à transférer les 5,4 points de cotisations familiales sur la fiscalité – peu importerait le support – et à laisser ainsi les salariés payer un peu plus de CSG, par exemple, tandis que l'économie réalisée permettrait d'alléger le coût du travail pour le plus grand bénéfice des employeurs. Parmi les scénarios proposés par le Haut Conseil, nous sommes donc plutôt en faveur du scénario n° 3.2 qui prévoit ce réaménagement global préservant le pouvoir d'achat des salariés.
Autre point important à nos yeux : nous souhaitons que l'affectation de l'outil fiscal utilisé pour ces transferts soit garantie à la protection sociale. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous préférons la CSG à tout autre outil, en particulier à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Nous avons cru comprendre, bien que la communication du Gouvernement ne soit pas très claire à ce sujet, que le projet de taxation de l'excédent brut d'exploitation visait aussi à faire payer aux entreprises l'exonération de 0,15 point de cotisation. Ce dispositif ne nous convient pas car il n'est pas fléché vers la protection sociale et ne garantit pas la pérennité des ressources. Nous préférons un scénario de transfert qui, même s'il est plus complexe techniquement, garantirait la pérennité du financement de la protection sociale et le pouvoir d'achat des salariés.