Intervention de Sophie Errante

Réunion du 20 novembre 2013 à 9h45
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSophie Errante, co-rapporteure :

Je me joins aux remerciements de mon collègue Martial Saddier à l'égard de tous ceux qui ont participé à ce très beau travail et notamment à ceux d'entre vous qui nous ont fait partager leur expérience en matière d'affichage environnemental.

Quelle suite donner à l'expérimentation française ? Doit-on envisager de généraliser le dispositif ? Doit-on rester dans le cadre du volontariat ?

Les défis à relever en matière environnementale nous imposent aujourd'hui de réduire l'impact de notre mode de vie sur nos écosystèmes. Orienter la consommation des ménages vers une consommation durable, en généralisant l'affichage environnemental, pourrait être une réponse à ces enjeux. D'autant plus qu'un nombre croissant de Français demande à avoir accès à une information sur l'impact environnemental des produits qu'ils achètent.

Une généralisation de l'affichage environnemental pourrait aussi permettre de démocratiser les produits vertueux en termes d'impacts environnementaux. En effet, le consommateur est aujourd'hui perdu dans la masse des labels environnementaux qu'il ne comprend pas toujours et est souvent découragé par les prix trop élevés des « produits verts ». L'affichage environnemental permettrait à tous les consommateurs d'évaluer les conséquences de leurs achats sur l'environnement et les inciterait à se tourner vers les produits les plus vertueux. Les entreprises seraient alors elles aussi inciter à proposer des produits plus respectueux de l'environnement. Ceux-ci tendraient alors à se démocratiser.

Enfin, une généralisation de l'affichage environnemental pourrait constituer un levier de développement et de compétitivité pour les entreprises françaises, notamment au vu du potentiel de croissance du marché des produits verts.

Mais, malgré ces aspects positifs, une généralisation de l'affichage environnemental se heurte à des obstacles majeurs et est inenvisageable à court terme.

En effet, la fiabilité et la crédibilité des informations délivrées au titre de l'affichage environnemental sont essentielles à la réussite de la généralisation. Les consommateurs ne doivent pas douter de la sincérité des informations. Or, les conditions ne sont pas actuellement réunies pour délivrer un affichage « sincère, objectif et complet » comme prévu dans le Grenelle I de l'environnement.

La question des méthodes de calcul de l'impact environnemental est discutée au sein de groupes de travail sectoriels de la plateforme ADEME-AFNOR. Il a été décidé d'utiliser la méthode d'analyse du cycle de vie. Cette méthode calcule, en effet, les impacts par modélisation en utilisant, pour partie, des données génériques. L'impact affiché est donc une valeur moyenne, un impact potentiel et non scientifique, contrairement à l'information énergétique ou nutritionnelle. Il faudra du temps pour affiner cet outil afin de le faire gagner en précision et en fiabilité.

Il a aussi été soulevé lors des auditions l'extrême technicité des groupes de travail dont les décisions sont censées être prises de manière consensuelle. Or, de nombreuses entreprises n'avaient pas les moyens de suivre les travaux et certaines décisions prises, à l'unanimité au sein des groupes, sont remises en cause par certains. Par exemple, pour la méthode de calcul des émissions des gaz à effet de serre, il a été décidé de ne pas tenir compte du stockage de carbone dans les prairies, un choix qui impacte considérablement la filière élevage.

Enfin, les référentiels techniques développés par la plateforme ADEME-AFNOR n'ont jamais été testés en grandeur nature. Seuls 15 % des entreprises participantes à l'expérimentation ont inscrit leurs travaux dans le cadre d'un référentiel.

Au-delà de ces questions très techniques, d'autres obstacles à la généralisation subsistent aujourd'hui, notamment la question du contrôle de la sincérité des informations. En effet, la DGCCRF n'a pas les moyens humains et techniques pour effectuer des contrôles sur tous les produits fabriqués en France et encore moins sur les produits importés. Pour ces derniers, les enquêteurs ne pourront pas aller s'enquérir des données sur place et devront effectuer leur contrôle sur des données déclaratives, peu ou pas vérifiables.

Le coût d'une généralisation, notamment pour les PME et les TPE n'est pas non plus négligeable avec le risque de le voir se répercuter sur les prix. Même si les pouvoirs publics mettaient à la disposition des entreprises des outils gratuits, de nombreux coûts induits subsisteraient : coûts internes d'appropriation du dispositif, coûts de formation aux outils, coûts informatiques, etc.

Enfin, une généralisation pourrait être source de distorsions de concurrence au niveau international et communautaire. Elle pourrait même avoir des effets pervers et pénaliser le « made in France », et ceux à divers niveaux. De plus, les circuits de proximité ne seront pas valorisés par l'affichage environnemental. L'affichage environnemental pourrait même pénaliser les produits de qualité. On ne peut pas prendre le risque de mettre en place un dispositif qui irait à l'encontre d'une amélioration de la qualité alimentaire en France. Nous faisons tout, et ce depuis des années, pour améliorer la qualité alimentaire des produits mis sur le marché. Aujourd'hui, on s'aperçoit que la réflexion menée en matière d'affichage environnemental irait à l'encontre, ou en tout cas pourrait pénaliser, toutes les démarches que nous avons mises en place.

Une généralisation de l'affichage environnemental est donc selon nous inenvisageable à court terme et ne pourrait se faire que dans un cadre communautaire.

La finalité de l'affichage environnemental reste le consommateur qui doit avoir accès à une information à la fois compréhensible et fiable. Quelle doit alors être la traduction de l'information environnementale vers le consommateur ?

Au cours de l'expérimentation, les entreprises ont été libres de choisir le format et le support d'affichage de leur choix. Mais cette diversité constitue un obstacle à une comparabilité des produits.

Si à terme, nous préconisons une norme d'affichage fixée par les pouvoirs publics et certifiée, qui soit, par catégorie de produits, aussi synthétique que possible et immédiatement compréhensible, nos auditions ont montré que la majorité des consommateurs ne sont pas encore prêts à tenir compte de la qualité environnementale des produits. La diffusion d'indicateurs précis serait donc inutile. C'est pourquoi nous proposons une démarche graduelle d'affichage au consommateur.

Les deux premières étapes concernent avant tout les entreprises, afin de les encourager à améliorer l'empreinte environnementale de leurs produits, tandis que la dernière s'adresse plus spécifiquement au consommateur.

Dans le cadre du volontariat encadré, une seconde étape consisterait à instaurer un E + – E pour environnement – de couleur verte pour les entreprises ayant fait certifier leurs données qui seraient alors disponibles sur un site déporté et un simple logo E pour les entreprises qui procèdent à l'évaluation environnementale de leurs produits sans certification.

Ce système vise à attirer les consommateurs vers les entreprises les plus transparentes en matière environnementale et monte progressivement en puissance. La certification permettrait au système de gagner en crédibilité et donc en légitimité.

Dans une troisième étape et dans un cadre communautaire harmonisé, il sera possible de communiquer directement au consommateur sur l'impact environnemental de ses achats sur un support et dans un format-type défini pour chaque référentiel.

Il est nécessaire que les pouvoirs publics accompagnent ces étapes de campagnes de sensibilisation auprès des consommateurs mais aussi auprès des plus jeunes en développant une éducation au développement durable. En effet, cela prendra du temps pour que l'affichage environnemental infléchisse les comportements de la majorité des consommateurs, il faut donc préparer les futures générations à celui-ci en leur inculquant des réflexes de consommation durable et d'éco-responsabilité.

Pour conclure et laisser place aux questions, il est important aujourd'hui que les entreprises et les pouvoirs publics se mobilisent massivement pour influencer l'expérimentation européenne et la rédaction des futurs textes européens. La poursuite des travaux français doit alimenter les travaux au niveau communautaire. Il est nécessaire dans ce cadre que la France ne défende pas sa position en ordre dispersé mais qu'un travail de coordination soit mis en oeuvre par les pouvoirs publics, afin de veiller à la cohérence des positions françaises. Les difficultés économiques actuelles ne doivent pas nous empêcher de progresser. Nous devons positiver des démarches qui vont dans le bon sens.

Je terminerai mon propos en espérant que vous accepterez nos conclusions et en remerciant mon collègue Martial Saddier pour son travail. Je vous remercie de votre attention.

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