Intervention de Jean-Luc Gaffard

Réunion du 11 octobre 2012 à 10h30
Mission d'information sur les coûts de production en france

Jean-Luc Gaffard, directeur du département de recherche sur l'innovation et la concurrence de l'Observatoire français des conjonctures économiques :

Les coûts de production ne sont pas réductibles au seul coût du travail et notamment aux charges sociales. Votre mission d'information est certainement motivée par la situation délicate de notre pays, dont le déficit commercial croissant atteste de l'existence d'un réel problème de compétitivité. Ce problème est directement lié à l'industrie, en particulier manufacturière. Le thème de la ré-industrialisation, dont on parle beaucoup en France, s'est d'ailleurs aussi invité dans la campagne électorale américaine. De fait, l'industrie manufacturière, qui représente plus de 70 % des exportations et plus de 80 % de la recherche-développement, est au coeur de la croissance. L'enjeu des coûts de production est donc essentiel, en particulier dans ce secteur, mais leur maîtrise ne dépend pas uniquement du fonctionnement de l'entreprise ni de la réglementation qui s'y applique.

Pour l'expliquer, je soulignerai cinq points. Premièrement, les coûts de production ne se limitent pas aux coûts d'utilisation d'une capacité de production. Il faut y ajouter les coûts de construction de cette capacité, autrement dit des coûts d'investissement incluant coûts de R & D et coûts de marketing. Or, quand une entreprise innove, les coûts d'investissement rapportés au produit, y compris les coûts de R & D, sont sans cesse plus élevés. C'est la condition pour que les coûts de production au sens strict soient eux décroissants ou pour que le client ait un attachement au produit qui permet de ne pas être excessivement exposé à une concurrence en prix. La maîtrise nécessaire des coûts suppose d'optimiser la chaîne de valeur, c'est-à-dire de trouver l'équilibre entre la hausse des coûts d'investissement et la baisse recherchée des coûts de fonctionnement.

Deuxièmement, la maîtrise des coûts repose sur la division du travail, qui se traduit de plus en plus par la fragmentation internationale de la production et la constitution d'entreprises en réseau ou de réseaux d'entreprises. Ainsi, la fragmentation des processus de production, consistant à externaliser dans les pays à bas coûts salariaux et fortes compétences techniques la production des biens intermédiaires (y compris des biens de moyen ou haut niveau technologique) ensuite importés en tant que composants des biens finals produits, permet de renforcer la compétitivité de ces derniers, de conserver le coeur de l'activité (notamment la R & D et le design des produits), de maintenir et de développer l'emploi industriel domestique et de stimuler les exportations. Cette fragmentation de la production, qu'elle soit nationale ou internationale, est essentielle à la compétitivité. Nous en reparlerons à propos des entreprises allemandes. Un autre exemple est fourni par l'iPhone d'Apple, entreprise dont la performance repose sur l'extraordinaire fragmentation internationale du processus de production, qui a d'ailleurs nourri plusieurs controverses outre-Atlantique.

La constitution de réseaux est primordiale. Elle répond au besoin de coopération y compris entre entreprises concurrentes. L'objectif réellement poursuivi est de sécuriser les relations entre les différents acteurs du processus d'innovation afin de rendre compatibles investissements concurrents comme complémentaires, éviter que les premiers soient trop élevés, impliquant des excédents de capacité et les seconds insuffisants, créant des goulots d'étranglement. Créer un tissu productif efficace implique de la part des grandes entreprises industrielles (ou de la grande distribution) de nouer avec les PME placées en amont de leur activité des relations stables impliquant de ne pas leur imposer de baisses de prix indues, et de partager avec elles les coûts d'investissement rendus nécessaires par l'innovation. Ces réseaux peuvent contrevenir au droit commun de la concurrence. Ils concernent aussi bien l'industrie manufacturière que la grande distribution. S'agissant de cette dernière il est intéressant de noter que les accords de prix avec les producteurs du domaine agro-alimentaire, en cours de discussion, pourraient devenir déterminants de l'avenir du tissu de petites et moyennes entreprises de ce secteur en France.

Troisièmement, la maîtrise des coûts par les entreprises requiert souvent que soient aussi réalisés des investissements publics, qu'il s'agisse d'infrastructures, de projets structurants, ou de programmes de développement de technologies génériques. Ces investissements sont complémentaires des investissements privés et, à ce titre, en favorisent la mise en oeuvre.

Quatrièmement, il existe une étroite dépendance entre des exigences de court terme et de moyen ou long terme en matière de coût. On l'aura compris l'enjeu véritable est une compétitivité à moyen et long terme exigeant des investissements dont il faut calibrer la taille pour en maîtriser le coût. Peu importe, à la limite, que cette compétitivité soit une compétitivité prix ou hors prix. Cependant, l'exigence de moyen et long terme ne saurait faire oublier les contraintes immédiates. Un manque de compétitivité courante, prix ou hors prix, se traduira par une chute des taux de marge, laquelle fera obstacle à la réalisation des investissements nécessaires pour restaurer à terme cette compétitivité prix ou hors prix.

Cinquième et dernier point : la maîtrise des coûts est indissociable de celle de la demande. Les entreprises cherchent naturellement à être compétitives en baissant leurs coûts et leurs prix pour accroître leurs parts de marché. Au niveau global, les choses sont différentes. Les mesures en faveur de la compétitivité des entreprises qui pèseraient sur le pouvoir d'achat pourraient être de peu d'effet sur leurs performances en raison d'une baisse induite de la demande des ménages. Le Nobel d'économie Paul Krugman le dit depuis longtemps, la compétitivité d'une nation n'est pas celle d'une entreprise. Le commerce international peut et doit être un jeu à somme positive : les revenus des uns servent à acheter les produits des autres. L'enjeu est pour chaque pays d'importer des biens moins chers afin d'affecter les ressources ainsi dégagées à ce qu'il sait le mieux faire. Mais il existe un risque que les déficits et les excédents commerciaux deviennent structurels, comme on le verra à propos de la France et de l'Allemagne.

Quel diagnostic peut-on formuler s'agissant de l'industrie française prise dans son ensemble ? Elle souffre d'un retard relatif tant en matière d'innovation (mesurée en l'occurrence par le ratio des dépenses privées de R & D) qu'en matière d'internationalisation, de la faiblesse relative de la coopération entre entreprises au sein d'écosystèmes de production, de la diminution des taux de marge.

Que peut-on faire pour combler ce retard et réagir à ces faiblesses ? Les objectifs découlent du diagnostic. Il faut rétablir les taux de marge, renforcer les écosystèmes locaux de production alliant entreprises, enseignement supérieur et recherche, petites et grandes entreprises, entreprises et institutions financières, renforcer la dimension internationale des activités. Les moyens sont ceux conjoints de la politique industrielle, de la politique de la concurrence, de la politique commerciale, de la politique budgétaire.

La thèse, aujourd'hui privilégiée, est que la hausse relative du coût du travail a contraint les entreprises à réduire leurs marges pour se maintenir sur les marchés au détriment des dépenses de R & D. Il deviendrait alors opportun de réduire ce coût en modifiant le mode de financement de la protection sociale. L'accent reste ainsi mis sur le poids des charges sociales au risque d'ignorer la complexité du problème de maîtrise des coûts.

Maîtriser les coûts c'est maîtriser le temps. Les entreprises doivent disposer du temps nécessaire pour construire une capacité de production compétitive et donc ne pas être dominées par des exigences de rentabilité à court terme. Le soutien des activités de coopération au sein de pôles de compétitivité, l'extension du crédit d'impôt recherche, la reconnaissance d'accords verticaux, un financement pérenne reposant sur des relations de proximité entre entreprises et institutions financières sont autant de facteurs favorables dans cette recherche de la maîtrise du temps.

Le gouvernement doit également disposer de temps dans sa gestion des contraintes budgétaires et de la dette publique. Il lui appartient d'éviter que la contrainte de demande contrevienne à l'effort de rétablissement des marges. La réforme du financement de la protection sociale doit être pensée dans le cadre d'une stratégie budgétaire globale faisant la part des contraintes d'offre et de demande. Sur ce dernier point, on peut, en effet, redouter que le transfert de la protection sociale vers de nouveaux modes de financement impliquant les ménages ne réduise encore la demande, ce qui annulerait son effet positif sur la compétitivité. Mme Laurence Parisot a d'ailleurs récemment signalé pour le Medef ce type de risque.

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