La compétitivité – à laquelle renvoie immédiatement, sans s'y réduire, l'analyse des coûts de production – engage les relations commerciales avec les autres pays, au premier rang desquels l'Allemagne, premier partenaire de la France et son concurrent sur tous les marchés où nos entreprises sont présentes. Or, on considère souvent l'Allemagne comme très compétitive hors prix alors que la France souffrirait d'un déficit de compétitivité hors prix. Quels sont donc les ressorts de la compétitivité allemande et quelles leçons pouvons-nous en tirer ? Il ne s'agit pas ici de procéder à une énième comparaison franco-allemande, mais bien d'éclairer et d'illustrer par l'exemple allemand les sources de la compétitivité et de la maîtrise des coûts.
Parmi les facteurs de la compétitivité allemande, certains sont structurels alors que d'autres ont évolué favorablement au cours des dix ou quinze dernières années. On en dénombre principalement trois. Premièrement, l'internationalisation des entreprises et de l'économie en général. Depuis la fin des années 1990, la part des exportations dans le PIB a fortement augmenté en Allemagne, beaucoup plus que dans d'autres pays dont la France, pour atteindre aujourd'hui 50 %. Mais l'ouverture de l'économie implique également le développement des importations, à commencer par les consommations intermédiaires importées : l'intégration internationale du processus de production est plus marquée, ainsi que sa fragmentation. Selon plusieurs études, cette part croissante des consommations intermédiaires importées résulte notamment de l'externalisation vers des pays à moindres coûts salariaux, ce qui contribue à la segmentation du processus de production. L'Allemagne a pu tirer un grand profit de l'élargissement de l'Union européenne vers les pays de l'Est : il lui a été ainsi ouvert un marché, cela a densifié son réseau de fournisseurs et lui a fourni une main-d'oeuvre dont les salaires sont plus faibles mais dont le niveau de qualification et la productivité restent élevés. Cette réorganisation de la production dans différents secteurs a contribué à optimiser les coûts de production. Sa situation géographique ne permettait pas à la France de bénéficier de la même évolution.
Deuxième facteur structurel de compétitivité : la mise en réseau des entreprises, utile pour capter des parts de marché, structurer les coûts et diffuser l'innovation. En Allemagne, le tissu de production est plus dense, associant de grandes entreprises et de petites et moyennes entreprises – elles-mêmes généralement plus grandes qu'en France. Cette interconnexion permet de réaliser des économies d'échelle et de maîtriser les coûts de production grâce à la proximité d'un réseau de fournisseurs. En outre, elle n'est pas sans effet sur les contraintes de financement pesant sur les entreprises, qui peuvent entraver leur développement et réduire leur capacité à exporter.
Le troisième facteur, régulièrement mis en avant, est la maîtrise des coûts salariaux, qui ont connu en Allemagne une baisse relative assez marquée à la fin des années 1990 et tout au long des années 2000. Selon une étude publiée, cette année, par l'INSEE, entre 1996 et 2008, les coûts du travail dans l'industrie manufacturière ont progressé en moyenne de 2 % en Allemagne quand ils croissaient de 3,4 % en France. Dans le secteur des services marchands, l'écart est encore plus marqué puisque la hausse moyenne au cours de la même période a été de 3,2 % en France, contre 1,2 % en Allemagne. Précisons que c'est l'Allemagne qui s'est écartée de la France plutôt que l'inverse. Comment l'expliquer ?
Le principal élément d'explication tient à la place du dialogue social en Allemagne. La maîtrise des coûts résulte pour une part d'accords passés avec les partenaires sociaux, par entreprise ou par secteur, de la fin des années 1990 à la fin des années 2000, alors que le taux de chômage était relativement élevé – y compris au milieu de ces mêmes années 2000, période au cours de laquelle il avait baissé en France.
Ensuite, la maîtrise des coûts salariaux repose sur celle des charges sociales. Les réformes Hartz ont contribué à réduire le coût du travail en Allemagne, notamment en durcissant les conditions d'accès à la protection sociale afin d'inciter les chômeurs à retrouver plus vite un emploi, fût-il moins bien rémunéré que le précédent. S'y ajoute la volonté de créer ou de développer un secteur de travail faiblement rémunéré – 400 à 800 euros mensuels –, où les cotisations sociales sont réduites.
Si l'on affine l'analyse, on constate cependant que dans les grandes entreprises du secteur industriel, le coût du travail reste plus élevé en Allemagne qu'en France, mais que ce n'est pas le cas dans les entreprises de moins de 1 000 salariés, ni dans les services.
Les réformes Hartz ont entraîné, à partir de 2003, un bouleversement du modèle social allemand, dont la maîtrise des coûts de production est elle-même indissociable. Si l'internationalisation réduit les coûts de production par le biais des consommations intermédiaires, cette réduction découle également des pressions qui s'exercent sur les petites entreprises ainsi que de l'externalisation d'une part des activités, dont les services. Au total, les prix allemands à l'exportation n'ont pas baissé mais les entreprises en ont profité pour accroître leurs marges, ce qui a bénéficié à l'investissement.
À côté de ces différents facteurs, la TVA sociale, instaurée en 2007, n'intervient qu'en fin de processus et ne joue en définitive qu'un rôle plutôt marginal.
Quelles leçons tirer de ces observations ? La première est l'importance du dialogue social : l'évolution du coût du travail dépend essentiellement de celle des salaires, qui peuvent faire l'objet d'une négociation avec les partenaires sociaux. Entre 1992 et 2010, le taux apparent de cotisation « employeurs » en France a perdu près de six points.