Intervention de Jean-Luc Gaffard

Réunion du 11 octobre 2012 à 10h30
Mission d'information sur les coûts de production en france

Jean-Luc Gaffard, directeur du département de recherche sur l'innovation et la concurrence de l'Observatoire français des conjonctures économiques :

En premier lieu, quand il est question de dialogue social, il ne faut jamais oublier l'essentiel : les salaires sont un coût mais aussi une demande. Un système qui fonctionne permet d'obtenir des gains de productivité qui sont largement distribués aux salariés : c'est ce qu'un certain Henry Ford avait compris il y a plus d'un siècle. Mais que se passe-t-il en cas de difficultés ?

S'agissant de la pratique des entreprises en Allemagne, elles ont géré la crise en recourant largement au chômage partiel, dans le cadre du dialogue social. Face à des diminutions supposément conjoncturelles des commandes, elles ont gardé leurs salariés sous contrat et ainsi maintenu le capital humain, l'État venant en suppléance combler en grande partie la baisse de salaire. Cela fait une grande différence avec des licenciements purs et simples conduisant à la perte de capital humain.

Le dialogue social ainsi conçu et utilisé permet de maîtriser le temps, celui de la demande et celui de l'investissement. S'il est utilisé systématiquement pour diminuer la part des salaires dans le revenu global, c'est la demande globale qui est atteinte avec au bout du compte le risque de dépression. La difficulté vient sans doute du fait que l'Allemagne joue sur les deux tableaux et compte sur la demande externe pour compenser l'insuffisance de demande interne. Aujourd'hui, l'Allemagne investit trop vis-à-vis de la consommation domestique alors que la France consomme trop vis-à-vis de ce qu'elle investit. C'est une situation structurelle délicate à gérer qui fait de votre sujet aujourd'hui une question sans solution simple.

Les coûts de l'investissement sont très importants et augmentent systématiquement, son temps de gestation est de plus en plus long. Mais ces coûts ne doivent pas être réduits aux seuls coûts de R & D, ils englobent les coûts de marketing et d'exploration des nouveaux marchés, qui augmentent eux-mêmes sans cesse. Une décision de fragmenter une production et d'implanter une usine en Chine ou en Slovaquie coûte extrêmement cher, non seulement en activités matérielles mais aussi en activités immatérielles.

C'est bien pourquoi la stratégie de l'entreprise, avec les réseaux qu'elle mettra en place, est déterminante. De ce point de vue, il y a une étroite complémentarité entre la proximité géographique, les relations fortes de coopération entre entreprises locales, et la capacité d'externaliser des activités et de fragmenter internationalement la production. Cela ne signifie pas qu'il existe une sorte de kit qui fonctionne à tout coup et assure une réussite systématique, mais il ne faut sûrement pas opposer le développement de réseaux locaux et l'internationalisation. Ce sont deux aspects qui vont ensemble, l'industrie allemande l'a très largement prouvé.

L'agroalimentaire est un exemple typique de secteur impliqué dont l'activité est structurée par des relations de réseaux. Dans une interview récente, le responsable d'une entreprise de la grande distribution évoquait les discussions en cours sur les accords de prix entre la grande distribution et les producteurs de l'agroalimentaire. J'ai été frappé par l'explication qu'il donnait de la réaction de la grande distribution face à la chute de ses marges due à la chute de la demande. Elle consiste à baisser les prix quasiment au niveau du prix de revente à perte pour les grandes marques, qui sont davantage attractives pour les clients, et à augmenter, en contrepartie, les marges sur les marques de distributeurs et les petits producteurs. Cette stratégie fait fi de la pérennité du tissu productif et fait courir à la petite production agroalimentaire le risque de payer les pots cassés de cette chute de la demande. C'est un cas typique de relations non coopératives qui intervient dans un contexte où l'agroalimentaire est un secteur particulièrement concerné par la baisse de compétitivité de la France vis-à-vis de l'Allemagne. Dans ce secteur, en effet, les services marchands jouent un rôle extrêmement important et les PME, qui ont vu leurs coûts du travail relativement abaissés en Allemagne, sont très importantes.

L'Allemagne a développé des stratégies industrielles extrêmement efficaces qui méritent parfois d'être imitées, mais elle a joué essentiellement sur la capacité globale d'exportation en pesant sur la demande intérieure. Tant que ce problème ne sera pas résolu, je crains qu'il n'y ait pas de vraie solution. Aussi faut-il s'inquiéter de l'écart croissant de performance entre la France et l'Allemagne, qui fait que nos intérêts économiques commencent à ne plus être les mêmes. Il n'y a pas de solution crédible à se tourner vers les pays du sud. La France est, de quelque manière, prise en étau. Il ne faut pas oublier que l'Italie conserve un excédent commercial significatif dans le domaine industriel, que l'Espagne détient un avantage dont témoigne le choix récent de PSA de conserver son unité de production à Madrid. La solution réside dans des formes renouvelées de coopération entre la France et l'Allemagne, même s'il est difficile d'expliquer aux Allemands qu'ils doivent augmenter leurs salaires et leurs prix pour rendre nos entreprises plus compétitives.

Sans doute faudra-t-il réfléchir sur la manière d'infléchir les stratégies industrielles en France. Certains aspects de la désindustrialisation ont été le résultat d'erreurs stratégiques manifestes. Il y a vingt ans, Siemens et la Compagnie générale d'électricité étaient des entreprises comparables : l'ex-CGE, rebaptisée un temps Alcatel Alstom, a choisi de s'orienter vers le secteur des télécoms ; Siemens, l'a au contraire abandonné pour se recentrer sur ses métiers de base. Aujourd'hui, le résultat est clair : conserver son coeur industriel et ne pas chercher à entrer dans des activités pour lesquelles on ne dispose pas des compétences foncières est la stratégie gagnante.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion