Merci d'être si nombreux ce matin. Le président Urvoas vient d'évoquer le classement européen établi par la CEPEJ, sans doute pour créer un peu d'ambiance !
S'agissant de la présentation de mon budget, j'ai bien conscience de ne pas m'adresser ce matin à une assemblée de comptables mais à une commission d'élus responsables, parfaitement rompus à ces questions et j'ai donc choisi de vous exposer mes priorités politiques et leur traduction budgétaire, tout en étant prête à répondre à toutes vos questions.
Le budget de la Justice est prioritaire, pluriannuel et politique. Il est prioritaire dans la mesure où il traduit l'engagement du président de la République de faire de l'Éducation nationale, de la Sécurité et de la Justice les trois priorités de son quinquennat. Cela se traduit pour la Justice par une progression des crédits de 4,3 % qui lui permet d'atteindre 7,7 milliards. Cet effort est à apprécier au regard de la stabilité du budget global de l'État.
La priorité donnée à la Justice s'exprime aussi dans l'effort en matière d'effectifs avec la création de 500 postes dès 2013. Il s'agit d'une augmentation appréciable, conforme à l'engagement du président de la République de créer un millier d'emplois par an au cours du quinquennat au profit des ministères de l'Intérieur et de la Justice. Réserver la moitié de ces postes à la Justice trace une orientation claire, particulièrement remarquable dans le contexte actuel de stabilisation des effectifs de la fonction publique – laquelle tranche déjà avec les nombreuses suppressions de postes découlant, au cours de la précédente législature, de la révision générale des politiques publiques.
En vue de renforcer nos capacités d'anticipation, le budget de la Justice se décline sur trois exercices. Cela procure une certaine souplesse, car les efforts accomplis la première année peuvent être modulés par la suite afin de satisfaire plusieurs engagements. La progression budgétaire pour les trois exercices à venir peut sembler relativement modérée – plus 4,3 % en 2013, plus 1,6 % en 2014 et plus 0,3 % en 2015 – mais elle restera toujours positive. Il est légitime que la Justice prenne sa part dans l'effort de redressement des finances publiques. S'agissant des emplois, l'effort sera par contre continu : 500 postes créés chaque année, soit 1 500 dans la période triennale de référence.
Ce budget est politique dans la mesure où il va servir des priorités clairement définies. J'ai du reste déjà eu l'occasion de les exposer en plusieurs circonstances : devant votre Commission au tout début de la législature, devant le groupe de travail sur les zones de sécurité prioritaires, lors de l'installation du comité d'organisation de la conférence de consensus – à laquelle plusieurs d'entre vous ont participé –, devant le Sénat à l'occasion d'un débat sur la carte judiciaire, devant les magistrats de la famille et devant l'Institut national d'aide aux victimes et de médiation (INAVEM).
Conformément aux engagements du président de la République, la première priorité de la mission « Justice » pour 2013, c'est la jeunesse. L'année qui vient sera celle de la jeunesse, et des efforts tout particuliers seront accomplis en faveur de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Alors que la PJJ a perdu 600 postes au cours des cinq dernières années, nous allons en créer 205, d'éducateurs et de psychologues, afin de réduire à cinq jours, à compter de 2014, le délai de prise en charge suivant une décision judiciaire et ce, conformément à la loi. En partenariat avec l'Éducation nationale, ces éducateurs et psychologues seront aussi présents dans les classes relais au titre de la prévention. La rapidité de la réponse apportée vise à permettre au jeune de bien mesurer la portée de ses actes.
Je m'attacherai aussi à diversifier les solutions offertes aux juges : familles d'accueil, foyers « classiques » et centres éducatifs fermés (CEF). Quatre centres ont été créés en 2012 par la transformation d'anciens foyers. Il était prévu de faire évoluer dix-huit foyers en CEF, mais je n'ai pas souhaité donner suite à l'ensemble du projet car je considère que la création de tels centres ne doit pas se faire au détriment des autres solutions mises à la disposition des magistrats. En 2013, quatre autres CEF verront cependant le jour, dont trois par création pure et un – à Marseille – par la transformation d'un foyer.
Le moment venu, je vous rendrai compte des conclusions de la mission d'inspection des services judiciaires que j'ai diligentée au sujet des CEF. Sur les quarante-deux centres existants, trente-trois sont gérés par des associations habilitées. Le service associatif habilité est fragilisé depuis plusieurs années par une créance de 35 millions d'euros, que je vais alléger par l'injection de 10 millions dès 2013. Cela donnera du souffle à la trésorerie des associations, qui pourront ainsi mieux assurer les missions de service public qui leur sont confiées.
Compte tenu de la priorité donnée à la jeunesse, le budget de la PJJ va donc augmenter de 2,4 % alors que les autres crédits de fonctionnement enregistrent une baisse globale de 7 %.
Une autre priorité consiste à améliorer la justice civile, laquelle représente 70 % de l'action de la justice, même si la justice pénale fait infiniment plus de bruit. Nous avons d'ores et déjà travaillé à la redéfinition des périmètres de contentieux, en vue d'optimiser l'efficacité globale du système et de raccourcir les délais de réponse. La réforme de la carte judiciaire ayant entraîné la suppression de plus d'un tiers des tribunaux d'instance, des adaptations des modes de fonctionnement locaux sont souvent nécessaires.
Les crédits consacrés à l'informatisation doublent, ce qui va permettre de redéployer des postes, de rendre plus fluides certaines procédures et d'exempter les personnels de certaines tâches par trop fastidieuses.
La loi prévoyait la suppression des juridictions de proximité à compter de 2014 mais il ne me semble pas souhaitable de maintenir cette échéance. Compte tenu notamment de la réforme de la carte judiciaire, la surcharge de travail qui en découlerait pour les tribunaux d'instance serait difficilement supportable et les délais de réponse aux demandes des justiciables en pâtiraient. La mise en extinction des juridictions de proximité sera donc différée, de manière à permettre aux tribunaux d'instance de mieux anticiper l'augmentation de leur charge de travail.
La justice civile bénéficiera du recrutement de 142 magistrats, auxquels s'ajouteront les redéploiements rendus possibles par l'informatisation.
J'en viens aux frais de justice, essentiels dans la mesure où ce sont eux qui permettent aux magistrats d'accomplir leur mission, en recourant à des experts, à des tests ADN, à des psychiatres, etc. Tout ce qui est indispensable à la manifestation de la vérité doit pouvoir être financé et c'est pourquoi les frais de justice augmenteront de 15 %. Souvent alertés sur ce point dans vos circonscriptions, vous savez que les frais de justice représentent un énorme problème. Au cours des dernières semaines, j'ai dû obtenir des compléments budgétaires et des dégels de crédits pour éviter que certaines juridictions ne se retrouvent en cessation de paiement. C'est aussi à cause des frais de justice que le ministère a acquis sa réputation de très mauvais payeur et il est donc urgent de redorer son image. L'augmentation de 15 % correspond à 62 millions d'euros, ce qui fait passer l'enveloppe de 415 à 477 millions.
Conformément à la lettre de cadrage du Premier ministre, les frais de fonctionnement vont baisser de 7 %. Cette mauvaise nouvelle doit cependant être nuancée car, au cours des dernières années, les budgets de fonctionnement avaient été ponctionnés à hauteur de 15 millions d'euros pour couvrir les besoins de frais de justice et de 6 millions au titre de la réforme de la carte judiciaire. En 2013, nous n'aurons pas à prélever ces 21 millions et la baisse de 7 % sera donc compensée, d'autant que nous allons faire des efforts en matière de commande publique et d'organisation.
L'aide juridictionnelle progresse aussi, puisqu'elle passe de 232 à 271 millions d'euros, soit une augmentation de 16 %.
Parmi mes priorités figure la réflexion sur le sens de la peine, grâce notamment à l'installation du comité d'organisation de la conférence de consensus de prévention de la récidive. Au plan budgétaire, cela se traduira par 120 recrutements, dont 70 juges de l'application des peines (JAP), une dizaine de parquetiers et une quarantaine de greffiers. 63 recrutements sont également prévus dans les services d'insertion et de probation, dont le travail en amont est indispensable à celui des JAP.
Les placements extérieurs seront étendus, sous la forme notamment du placement sous surveillance électronique (PSE). L'objectif est de doubler le nombre de PSE au cours du quinquennat, de manière à passer de 8 000 à 16 000. On constate un certain tassement des travaux d'intérêt général (TIG) mais cela reste très variable d'une région à l'autre et j'entends bien remobiliser les collectivités territoriales à ce sujet. Enfin, nous créons 220 places dans les quartiers de semi-liberté.
Telles sont nos principales orientations en matière de prévention de la récidive et d'accompagnement des personnes détenues.
S'agissant de l'aide aux victimes, je vous ai indiqué tout à l'heure que l'aide juridictionnelle augmentait. Parallèlement, le nombre de bureaux d'aide aux victimes, présents dans une cinquantaine de tribunal de grande instance, sera progressivement étendu à la totalité d'entre eux. Plusieurs parlementaires de tous les groupes, dont le président Urvoas et Mme Nieson, ont déjà travaillé sur des propositions de loi en faveur de l'aide aux victimes et je pense donc que nous aurons l'occasion d'y revenir.
Parallèlement au recrutement de nouveaux agents, des efforts sont nécessaires en matière de revalorisation salariale et d'amélioration du régime indemnitaire des personnels en place. Il convient de respecter la parole de l'État envers les magistrats puisque nous allons entrer dans la troisième et dernière année de revalorisation prévue par décret. Cet engagement sera tenu. S'agissant de l'administration pénitentiaire, les actions engagées seront poursuivies en 2013, cependant que la PJJ bénéficiera d'un effort beaucoup plus modeste.
Au-delà de 2013, j'entends remédier au fait que les personnels de catégorie C n'ont bénéficié d'aucune revalorisation depuis une dizaine d'années. Je n'ai malheureusement pas été en mesure de faire un effort dès cette année, hors le maintien du budget de l'aide sociale (à hauteur de 24 millions d'euros), dont les catégories les plus modestes sont les premières à bénéficier. En 2015, je me pencherai sur la situation des greffiers, en notant toutefois que s'ils n'ont pas bénéficié d'une forte revalorisation salariale au cours des dernières années, leurs conditions de travail ont été améliorées par des recrutements.
Le présent quinquennat sera un quinquennat de construction. S'agissant de l'immobilier judiciaire, une vingtaine de villes sera concernée : onze chantiers sont déjà plus ou moins engagés et il y aura neuf mises en construction. Trois partenariats publics-privés (PPP) étaient prévus, à Caen, Lille et Perpignan. Celui de Caen sera maintenu, car il correspond à une réelle urgence, celui de Perpignan sera reconsidéré au cours des dix-huit prochains mois – je renonce au PPP défavorable à l'État et je dispose des moyens budgétaires pour 2014-2015 – et celui de Lille – où se pose un problème de terrain – n'est pas assez mûr pour être traité en 2013.
Le budget de l'immobilier pénitentiaire augmente de 7,8 %. Les opérations de rénovation les plus emblématiques concerneront La Santé, les Baumettes et Fleury-Mérogis. Quant au budget d'entretien courant du patrimoine, il passe de 55 à 66 millions d'euros, soit une augmentation de 20 %.
La vétusté de certains établissements est criante et insupportable. Au titre d'un programme de substitution, plusieurs constructions vont permettre de remplacer des structures extrêmement vétustes par des constructions neuves. Parallèlement, seront poursuivis des programmes de restauration et de réorientation, en vue notamment de privilégier les modules à taille humaine. Les personnels ont appelé notre attention sur les difficultés particulières que pose la gestion des gros établissements, de 600 à 800 places, et je suis résolue à en tenir le plus grand compte.
Telles sont, brièvement présentées, les grandes orientations de notre politique et leur traduction budgétaire. Bien entendu, je me tiens à votre disposition pour répondre à toutes vos questions.