Le premier budget d'une législature constitue un acte politique important puisqu'il permet au Gouvernement de donner une traduction budgétaire aux priorités qu'il affiche. À cette aune, le budget de la justice pour 2013 – tout particulièrement celui de l'administration pénitentiaire – apparaît comme extrêmement décevant car il y a entre les paroles et les actes budgétaires un écart immense. En effet, l'affirmation du caractère prétendument prioritaire du budget de la justice ne trouve aucune traduction budgétaire.
Le budget de l'administration pénitentiaire est, pour 2013, en hausse de 6 % pour les crédits de paiement, mais en baisse – ou plutôt, devrais-je dire, en chute libre ! – de 38,5 % pour les autorisations d'engagement. Le plafond d'autorisation d'emplois est en hausse de 189 ETPT, soit une progression de 0,5 %.
Ces chiffres démontrent s'il en était besoin que l'ambition du nouveau Gouvernement se limite à achever l'exécution du programme immobilier « 13 200 » lancé par la précédente majorité, en abandonnant l'essentiel du programme « Nouveau programme immobilier pénitentiaire » et l'intégralité du programme inscrit dans la loi du 27 mars 2012 de programmation pour l'exécution des peines. L'objectif est de porter la capacité d'accueil du parc pénitentiaire à 63 500 places en 2018, alors que 67 300 personnes sont aujourd'hui incarcérées, soit 4 000 de plus que le nombre de places prévues par le nouveau Gouvernement. On est donc bien loin de l'ambition que s'était donnée la précédente majorité d'adapter le parc pénitentiaire aux besoins réels du pays en matière d'exécution des peines, avec une capacité portée à 80 000 places.
La hausse des crédits de paiement et la légère augmentation du nombre d'emplois ne correspondent en réalité qu'aux crédits et aux emplois nécessaires pour l'armement des nouveaux établissements dont la construction a été lancée par la précédente majorité. Comment le Gouvernement justifie-t-il ce virage ? Il affiche sa volonté de réduire les incarcérations et de développer les aménagements de peine. Mais, à y regarder de près, ni la volonté de réduire le nombre d'incarcérations ni celle de développer les aménagements de peine ne se traduisent en actes concrets.
S'agissant de la volonté de réduire le nombre d'incarcérations, si la poursuite de cet objectif à tout prix – y compris celui de la sécurité de nos concitoyens – est en lui-même très discutable, la baisse du nombre de détenus que le Gouvernement appelle de ses voeux n'est rendue crédible par aucune évolution qu'il aurait engagée.
Mme la garde des Sceaux nous dira certainement qu'elle a, par sa circulaire de politique pénale, demandé aux magistrats du parquet de tenir « le plus grand compte » de la situation individuelle de chaque prévenu. Au passage, j'observe que cette demande paraît pour le moins surprenante par le message de défiance qu'elle adresse aux magistrats du parquet : Mme la garde des Sceaux doute-t-elle du fait que les magistrats tenaient déjà « le plus grand compte » de la situation de chaque prévenu ? Au-delà, il n'est pas inutile de rappeler que les juridictions sont souveraines dans leurs décisions et qu'elles ont toujours la possibilité d'écarter le prononcé de peines plancher. Lorsqu'une décision d'incarcération est prise, c'est donc que la juridiction estime n'avoir pas pu faire autrement, et je vois mal ce qui pourrait amener demain à une autre décision en l'absence de l'abrogation ou d'une modification de la loi sur les peines plancher.
Alors, Mme la garde des Sceaux nous dira sans doute aussi qu'elle réfléchit à la création d'une nouvelle peine de « probation ». Fort bien, mais beaucoup d'inconnues entourent la création de cette nouvelle modalité : quel sera son champ d'application ? Sera-t-elle applicable aux récidivistes ? Dans la pratique judiciaire, ne risque-t-elle pas de « mordre » sur la population qui bénéficie aujourd'hui d'un sursis avec mise à l'épreuve ou d'un TIG, plutôt que sur la catégorie de celle qui est incarcérée ? Enfin, quel sera le calendrier de discussion et de mise en oeuvre ? Face à toutes ces interrogations, invoquer la possible création de nouvelles peines pour anticiper une baisse de la population carcérale à court terme semble pour le moins hasardeux.
Par ailleurs, le Gouvernement justifie la remise en cause des programmes immobiliers décidés par la précédente majorité par des critiques adressées aux modes de financement qui avaient été retenus – autorisations temporaires d'occupation-locations avec option d'achat (AOT-LOA) ou partenariats public-privé (PPP). Or il convient de rappeler que la Cour des comptes n'a pas mis en cause le principe même de ces modes de financement, pas davantage que la qualité des prestations des partenaires privés, mais qu'elle s'est contentée de formuler des observations tendant à mieux évaluer les coûts des différents modes de construction et de gestion. En effet, le soi-disant surcoût du PPP n'est absolument pas vérifié – ni du reste vérifiable – via les seules données dont dispose actuellement le ministère de la Justice, sachant que le coût des loyers inclut non seulement la construction et les services à la personne, mais aussi la maintenance des établissements pendant trente ans, maintenance que l'État a souvent eu du mal à assurer pour les établissements qu'il a construits en gestion publique, comme j'ai eu l'occasion de le vérifier au cours de mes visites de différents établissements.
Surtout, si le Gouvernement ne souhaite pas utiliser des modes de financement recourant au secteur privé, rien ne lui interdit de mener une politique immobilière de conception et de gestion publiques. Au vrai, votre critique des modes de financement est un prétexte pour justifier votre refus d'étendre la capacité d'accueil du parc pénitentiaire et ce, pour des raisons totalement dogmatiques.
Quant à la volonté du Gouvernement de développer les aménagements de peine, j'y suis naturellement favorable pour toutes les personnes pour lesquelles un tel aménagement semble possible, soit celles qui manifestent une réelle volonté de s'engager dans la voie de la réinsertion. Je rappelle qu'aucune autre majorité que celle ayant dirigé notre pays au cours des dix dernières années n'a fait autant pour développer les aménagements de peine, tant sur le plan des outils juridiques que sur celui des moyens. N'oublions pas que les effectifs des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) sont passés de 2 260 ETPT en 2002 à 4 080 ETPT en 2011, soit une augmentation de 80 %.
Dans la mesure où le Gouvernement délaisse le milieu fermé, je pensais qu'un réel effort serait fait en faveur du milieu ouvert, en cohérence avec l'objectif de développement des aménagements de peine. Las, quelles ne furent pas ma déception et mon inquiétude en découvrant que le Gouvernement ne prévoyait que 63 nouveaux ETPT pour l'insertion et la lutte contre la récidive !
Au final, le budget pour 2013 de l'administration pénitentiaire, c'est un milieu fermé abandonné et un milieu ouvert absolument pas renforcé, avec, au bout de la chaîne, la sécurité des Français, hélas sacrifiée.
J'en viens aux questions que je souhaite poser à Mme la ministre.
Madame la garde des Sceaux, dans le projet annuel de performances pour la mission « Justice », vous affirmez vouloir « centrer la politique pénitentiaire sur la réinsertion, en lançant un programme immobilier pénitentiaire de construction et de réhabilitation qui réponde aux situations de vétusté ». Pourtant, vous avez remis en cause 22 des 36 décisions de fermeture de prisons qui avaient été annoncées sous la précédente législature parallèlement à la création de nouveaux établissements. Ces 22 établissements que vous avez renoncé à fermer présentent un âge moyen de 146 ans et un taux d'occupation de 125 %. Croyez-vous répondre valablement aux situations de vétusté et de sur-occupation en maintenant en service des établissements surpeuplés datant du XIXe siècle ? Dans mon avis, figurera un tableau édifiant sur la situation de ces prisons.
Parmi les 36 établissements dont la précédente majorité avait considéré qu'ils ne pouvaient demeurer en service dans leur état actuel, tant pour des raisons de dignité des conditions de détention qu'au titre de la qualité de l'exécution des peines, figure la maison centrale de Poissy, que j'ai visitée pour préparer l'examen de ce budget. En remettant en cause la décision de fermeture, vous avez plongé les personnels dans une situation de doute extrêmement pénible à vivre. Certes, la fermeture décidée par la précédente majorité les aurait contraints à changer d'affectation, ce qui n'est pas forcément agréable mais ressortit aux contraintes inhérentes au statut d'agent public. Votre indécision est pire encore, puisqu'en maintenant ces personnels dans l'incertitude, vous les empêchez de se projeter dans l'avenir. Combien de temps comptez-vous encore repousser une décision de fermeture ou de réhabilitation, laquelle s'impose d'évidence ?
Dernière question, vous affirmez vouloir donner plus de moyens aux services d'insertion et de probation. Or, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, ce budget ne prévoit que 63 nouveaux ETPT au profit de l'insertion. Certes, il convient dans cette période de crise d'être mesuré dans la création d'emplois publics, mais cette augmentation très modérée contraste avec un autre secteur que votre Gouvernement présente également comme prioritaire, celui de l'éducation, où sont créés 11 000 postes d'enseignants. Si le nombre d'enseignants recrutés est démesurément élevé, celui des personnels d'insertion et de probation est ridiculement bas. Comment expliquez-vous un tel écart entre des missions présentées toutes deux comme prioritaires par le Gouvernement ?
Madame la ministre, j'attends de vraies réponses de votre part, pas de la démagogie ni des considérations politiciennes.