Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 18 octobre 2012 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Christiane Taubira, ministre de la Justice, garde des Sceaux :

Les procès que vous me faites, monsieur le rapporteur pour avis, manquent de crédibilité. Mais l'interpellation directe est une marque de courtoisie et de courage.

Selon vous, l'affirmation du caractère prioritaire de la justice ne trouverait pas de traduction budgétaire. Je vous renvoie à mon exposé liminaire. Vous relevez que les crédits de paiement augmentent, mais que les autorisations d'engagement diminuent. Gonfler les autorisations de paiement était une pratique de l'ancien Gouvernement ! Mon prédécesseur, M. Mercier, avait ainsi prévu 1,8 milliard d'euros d'autorisations d'engagement en 2012 sans aucun crédit de paiement correspondant. Nous avons une pratique différente : nous augmentons les crédits de paiement, c'est-à-dire la dépense effective de l'État ; nous ne nous contentons pas d'afficher des autorisations d'engagement dénuées de toute portée pratique.

Vous me reprochez d'avoir abandonné le nouveau programme immobilier (NPI). On n'abandonne pas ce qui n'a qu'une existence virtuelle ! Le NPI a été inscrit dans la loi de programmation de mars 2012 sans que le moindre euro ait été budgété pour le mettre en oeuvre.

La volonté du Gouvernement de réduire le nombre d'incarcérations et de développer les aménagements de peine ne se traduirait par aucun acte concret. Je vous renvoie, là encore, à ce que j'ai dit sur les juges de l'application des peines et les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP). Vous estimez que 63 ETPT pour les SPIP ne sont pas suffisants. Nous avons pourtant stabilisé et même augmenté ce nombre, ce qui tranche singulièrement avec la révision générale des politiques publiques (RGPP).

Vous semblez vous étonner que, dans ma circulaire de politique pénale du 19 septembre 2012, j'aie donné instruction aux parquets généraux d'aménager les peines – et votre étonnement est dans la ligne de certaines déclarations publiques de certains orateurs de l'UMP. J'ai en effet demandé que le recours à l'incarcération soit strictement limité aux cas prévus par la loi pénitentiaire de 2009. Dois-je en déduire, monsieur le rapporteur pour avis, que vous contestez le contenu de cette loi ?

Un sénateur UMP a reconnu que la majorité précédente avait fait preuve de schizophrénie en multipliant, d'un côté, les lois sécuritaires et les procédures qui aboutissent à l'incarcération et – j'ajoute – à l'engorgement des juridictions, et en adoptant, de l'autre, cette loi pénitentiaire, qui contient de bonnes dispositions. Nous allons d'ailleurs en publier les décrets d'application manquants.

Vous me donnez des leçons en rappelant que les décisions des magistrats sont souveraines. On ne peut pourtant pas me reprocher de méconnaître ce principe. J'espère que vos collègues qui m'accusent d'être laxiste, de rendre des jugements insuffisamment sévères, de vider les prisons et d'être responsable de l'acte de tel ou tel auteur d'infraction, tiendront compte de votre rappel !

S'agissant de la nouvelle peine de probation, dont la création serait, selon vous, entourée de nombreuses inconnues, je rappelle qu'un comité d'organisation a été mis en place et qu'une conférence de consensus se tiendra en février 2013.

Toujours selon vous, la Cour des comptes n'aurait pas remis en cause le principe des partenariats public privé (PPP). Elle estime pourtant qu'ils consistent à faire appel à des opérateurs privés qui empruntent à des taux beaucoup plus élevés que l'État et qu'ils reviennent donc à reporter dans le temps une dépense publique tout en la multipliant par trois. Certains contrats de PPP signés en février ou en avril 2012 vont donner lieu à des investissements que l'État va payer cinq fois trop cher. Il faudra l'expliquer aux générations futures.

Enfin, vous prétendez que nous mettons en danger la sécurité des Français. Tel est, en réalité, le résultat des politiques que vous avez menées ces dernières années. La multiplication des procédures conduisant à l'incarcération, notamment pour les courtes peines ; la surpopulation carcérale qui en découle ; l'insuffisance des effectifs – personnels d'insertion et de probation, juges d'application des peines, psychologues – chargés d'accompagner les détenus dans leur projet de réinsertion ; la proportion accrue – 80 % aujourd'hui – de sorties « sèches », sans accompagnement, sont autant de facteurs qui favorisent la récidive. Différentes études le montrent. Le procès sur la sécurité des Français, c'est nous qui sommes fondés à vous le faire.

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