Intervention de Michel Cretin

Réunion du 12 novembre 2013 à 16h30
Commission des affaires européennes

Michel Cretin, membre de la Cour des comptes européenne :

On les utilise bien sûr, mais ce n'est pas suffisant.

Pour le reste, certains stéréotypes ne sont pas faux. On relève un peu plus d'erreurs en Grèce, en Italie, en Espagne et en Roumanie qu'en Rhénanie du Nord-Westphalie ou au Danemark, ce qui ne signifie pas qu'on ne trouve aucune erreur dans les subventions versées aux pays nordiques.

Erreurs ou fraudes ? On n'opère pas cette distinction. La Cour des comptes européenne, tout comme la Cour des comptes française, programme ses audits pour détecter des erreurs, pas des fraudes, dans la gestion des fonds. Ce n'est de toute façon qu'à l'issue d'un long processus judiciaire qu'il pourrait être établi qu'une erreur était en réalité une fraude. Jamais nous ne pourrions remettre l'année n le rapport annuel sur les comptes de l'année n-1 si nous devions repérer les fraudes. En cas de soupçon, nous déférons les faits à l'Office européen de lutte anti-fraude, tout comme, dans une situation analogue, la Cour des comptes française déférerait les faits au parquet, après quoi le procureur général engagerait l'action publique.

L'OLAF, qui est une direction de la Commission, ne rend pas compte à la Cour, laquelle n'intervient pas dans la nomination de ses membres.

Pour répondre à la question qui m'a été posée sur le sujet, la Cour n'a pas été consultée sur la création du parquet européen.

Oui, la Cour formule des recommandations, hélas toujours un peu les mêmes. La première d'entre elles serait que les instances de contrôle de l'utilisation des crédits européens, mises en place sous l'égide de la Commission dans chacun des États membres, s'acquittent scrupuleusement de leur tâche. En France, la commission de certification des comptes des organismes payeurs (C3OP) et la commission interministérielle de coordination des contrôles (CICC) pour ce qui est des fonds régionaux le font de façon tout à fait satisfaisante, mais ce n'est pas le cas dans tous les pays.

La deuxième recommandation de la Cour serait de simplifier la réglementation. Pour autant, pour être pertinente, une réglementation doit être précise, ce qui la rend compliquée à appliquer car il faut prévoir tous les cas. Ainsi, pour être éligible à l'aide au titre de la PAC, une parcelle ne doit pas être boisée, mais au Portugal, on élève des chèvres sur des terrains largement boisés. Comment distinguer une forêt et un bois permettant néanmoins l'élevage des ovins et des caprins ? Il arrive que sur place, nos auditeurs doivent rechercher la présence de déjections d'animaux pour déterminer si une parcelle sert à l'élevage.

La Cour prône donc moins de contrôles, mais des contrôles de meilleure qualité. L'empilement des dispositifs de contrôle européen, national et régional est tel qu'ils finissent par être inefficaces, chaque échelon pensant que le contrôle qu'il devrait effectuer le sera par un autre. La Cour recommande également de simplifier les procédures, tout en étant consciente qu'on se heurtera vite à des limites. Comment par exemple définir, sans entrer dans le détail, « une action favorable à l'environnement », qui ouvre droit à une aide au titre du développement rural, ou évaluer la diversité biologique ?

D'une manière générale, la Commission prête attention à nos recommandations. Chaque année, la Cour consacre un chapitre de son rapport annuel au suivi de leur mise en oeuvre.

Non, les aides actuelles de la PAC ne sont pas justes. Depuis 2005, où elles ont été découplées de la production pour être attribuées à l'hectare, leur montant ne dépend que de la surface des parcelles – que celles-ci, d'ailleurs, soient ou non cultivées. Dès lors, la plus grande part de l'aide va à un petit nombre de gros exploitants, qui ne sont pas nécessairement ceux qui en ont le plus besoin. C'est ainsi que la famille royale britannique et celle de la principauté de Monaco figurent parmi les principaux bénéficiaires de la PAC ! Si l'on voulait aider les exploitations qui le nécessitent vraiment, il faudrait définir des critères précis – sans doute l'éleveur de bovins du Massif central a-t-il davantage besoin d'être soutenu que le céréalier de la Beauce qui exploite des centaines d'hectares. Mais ce serait là renverser totalement les principes actuels de la PAC. Comme je le disais tout à l'heure, l'important serait de savoir pourquoi on souhaite aider les agriculteurs et quels objectifs on assigne à la PAC. Mais cette question n'a toujours pas reçu de réponse.

J'en viens au programme Marco Polo, qui vise à ce que du fret se reporte de la route vers le rail, le transport fluvial ou le cabotage côtier, plus respectueux de l'environnement. La Cour a publié un rapport spécial sur l'utilisation des crédits du programme actuel, dit Marco Polo 2, qui couvre la période 2007-2013 et est doté de 450 millions d'euros. La Commission a proposé de poursuivre ce type de programme sur la période 2014-2020, sans que l'on sache encore quels objectifs exacts lui seront assignés ni quel sera le montant des crédits.

Il faut savoir que c'est la Commission qui gère seule, de manière centralisée, les crédits de Marco Polo, sans partage avec les États comme pour la PAC. C'est elle qui reçoit les projets, les étudie et décide du soutien financier à leur apporter. Cette responsabilité est partagée entre sa direction générale « Mobilité et transports » et l'Agence exécutive pour la compétitivité et l'innovation (EACI).

Les crédits de ce programme ne financent pas d'investissements, mais visent à compenser pour les transporteurs les coûts induits, du moins les premières années, par le transfert d'une part de volume de fret routier vers d'autres modes de transport. Quatre-vingts pour cent des dépenses du programme ont été consacrées à ces transferts modaux. À la suite de l'audit qu'elle a mené en Belgique, en Allemagne, en France, en Italie, au Luxembourg et aux Pays-Bas, la Cour a constaté que seul un quart des volumes de fret escomptés se sont reportés de la route vers d'autres modes de transport. L'objectif d'un transfert de 20 milliards de tonneskilomètres par an ne sera pas atteint, faute d'un nombre suffisant de projets.

Il est vrai aussi que le programme a été contrarié par la crise économique qui s'est accompagnée d'une diminution du volume général de trafic et a conduit les transporteurs routiers à baisser leurs prix, ce qui a au contraire encouragé un report du trafic vers le transport routier, devenu plus compétitif.

De son audit, la Cour a également conclu que l'incidence réelle des crédits de ce programme était très difficile à évaluer, faute de données fiables suffisantes, relatives notamment à la congestion routière ou aux accidents. Eurostat ne dispose pas des outils de mesure pour ce faire.

Le faible nombre de projets présentés s'explique aussi par la difficulté de les présenter dans la forme exigée par la Commission. C'est un véritable parcours du combattant, de surcroît coûteux. La Cour a calculé que le prix moyen de présentation d'un projet s'élevait à environ 100 000 euros.

Enfin, la Cour a constaté qu'environ la moitié des projets qu'elle avait audités avait eu une durée de vie limitée. Plusieurs bénéficiaires d'aides ont arrêté leur projet avant même que n'expire le contrat conclu avec la Commission. Et parmi ceux qui ont mené le leur à terme, une grande partie a supprimé les services initialement proposés, ou bien en a sensiblement modifié la teneur après l'arrêt du financement européen. Sur six des seize projets audités, le service subventionné n'était plus opérationnel au moment de l'audit, que les volumes aient été insuffisants ou que l'un des partenaires se soit retiré ou ait fait faillite. Pour deux autres, si l'activité de transfert modal avait été maintenue, sa portée avait été limitée.

Au total, l'appréciation de la Cour n'est pas très positive sur la mise en oeuvre du programme Marco Polo.

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