Intervention de Jean-Pierre Jouyet

Réunion du 19 novembre 2013 à 17h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Jean-Pierre Jouyet, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations :

Compte tenu de ce qui a déjà été dit par Henri Emmanuelli, je rappellerai brièvement que dès le début de l'année, j'ai souhaité que notre groupe engage une réflexion sur ses orientations stratégiques avec deux objectifs. Il s'agit, d'une part, de mieux définir nos axes d'intervention après la création de la BPI et, d'autre part, de tenir compte de l'accentuation des contraintes économiques, prudentielles et financières, telles que décrites par le président Emmanuelli.

Nous souhaitons donc aller vers une organisation plus transversale entre l'établissement public et ses filiales afin de mieux garantir le respect de nos priorités. Par conséquent, nous devons transformer et moderniser l'établissement public et mettre en oeuvre une vision plus intégrée du groupe Caisse des Dépôts tout en gardant la spécificité de l'établissement public. Je ne reviens pas sur les nouvelles obligations qui s'imposent à nous au niveau des fonds propres ou de la rigidité du bilan mais je veux indiquer qu'il y a un troisième facteur qui pèse sur notre activité et qui réside dans la faiblesse des taux d'intérêt. En effet, ces taux faibles pèsent sur les fonds d'épargne, sur la collecte de l'épargne ainsi que sur ce qu'on appelle la « rente des notaires », laquelle s'amenuise fortement au vu du rapport entre la rémunération des notaires depuis plus d'un siècle et les taux de replacement de la ressource qui existent aujourd'hui. Cela joue sur l'ensemble de l'équation économique et nos marges de manoeuvre sont donc actuellement plus réduites qu'elles ne l'étaient avant la crise financière.

Nous devons donc revoir nos modes d'intervention et recentrer nos responsabilités sur nos cinq grands métiers. Cela concerne d'abord notre métier d'investisseur : nous devons être plus économes sur nos fonds propres et plus sélectifs dans nos projets. Nous devons désormais être davantage co-investisseurs et développer nos outils afin d'attirer des capitaux étrangers, y compris des fonds souverains. Il s'agit donc de maximiser l'effet de levier et de jouer un rôle de catalyseur et de fédérateur de l'investissement.

En ce qui concerne notre métier de prêteur, comme l'a rappelé Henri Emmanuelli, nous sommes plus exposés qu'auparavant au financement par des prêts, que ce soit en raison de l'enveloppe de 20 milliards d'euros du fonds d'épargne, des lignes de prêt à la SFIL, à hauteur de 12,5 milliards d'euros, du partenariat avec La Banque postale, qui se concrétise là encore sous forme de prêts, ou de notre participation à hauteur de 50 % du financement de la BPI.

La Caisse se réinvestit dans des métiers bancaires et financiers sans être maîtresse de toutes les ressources allouées à la fois en termes de pilotage de groupe et de maîtrise des risques, ce qui n'est pas neutre. Nous sommes de plus en plus avec des partenaires tiers et dans des participations, notamment au sein de la BPI. Nous ne sommes pas maîtres de toutes les ressources allouées et pour la Caisse, c'est un défi important.

S'agissant de notre métier historique de mandataire, il est soumis à une pression de plus en plus forte de la part des clients. Vous souhaitez obtenir les coûts les plus bas, par exemple pour les caisses de retraite des collectivités locales ou les régimes hospitaliers. La Caisse doit donc avoir une activité qui puisse répondre aux nouvelles exigences des gestionnaires de régimes de retraite. Je rappelle qu'elle gère 47 régimes de retraite et fonds de protection sociale, qui couvrent 7 millions d'actifs et 3,5 millions de retraités, et qu'en France une retraite sur cinq est gérée par la Caisse. Nous sommes prêts à accueillir de nouveaux mandats et à accompagner le mouvement de simplification et nous nous réjouissons que la Caisse puisse siéger au sein de l'Union des institutions et services de retraites.

Sur notre métier de gestionnaire de dépôts, nous devons faire face à la conjoncture, notamment immobilière, mais nous sommes à la disposition du Parlement pour intervenir davantage dans la gestion des comptes bancaires inactifs et des contrats d'assurance-vie en déshérence, mission que vous avez suggéré de confier à la Caisse des dépôts, monsieur le Rapporteur général, et nous vous en remercions. Ces dépôts constituent un socle qui permettrait d'accroître le moteur de notre réacteur au service du financement de l'économie. Ce sont tout de même 1 à 2 milliards d'euros qui sont ici en jeu.

Sur notre métier d'opérateur, nous sommes un groupe avec des filiales intervenant dans le secteur concurrentiel – la CNP, Icade… Ces filiales sont confrontées à des défis importants. Je ne reviens pas sur ce qu'a dit le président Emmanuelli sur CNP Assurances mais je précise que de nouveaux accords partenariaux devront être conclus en 2015. Les discussions s'amorcent avec les partenaires distributeurs et nous allons les mener dans des conditions qui permettront de préserver l'intérêt des clients, des salariés et de tous les actionnaires. Je rappelle que la CNP est la première compagnie d'assurance-vie française, à majorité publique, et que nous estimons que les pouvoirs publics doivent s'intéresser de près à l'évolution de ce dossier car elle gère l'épargne de plus de 10 millions de Français. Comme l'a dit le président Emmanuelli, j'ai pris des engagements et il n'y a pas d'ambiguïté avec les fonctions antérieures que j'ai occupées à l'Autorité des marchés financiers – AMF – par rapport à CNP Assurances. À partir du moment où des enjeux fondamentaux pour le groupe Caisse des Dépôts sont en jeu, il serait incompris de la part du groupe que son directeur général ne soit pas membre du conseil d'administration de la CNP. Dans les mois et les années à venir, ce dossier sera le plus structurant pour l'avenir du groupe : cela représente 300 milliards d'interventions dans l'économie. Si nous nous trouvons dans un cadre différent ou si les ressources sont moindres, c'est par exemple l'ensemble de l'intervention de la puissance publique dans la stabilisation de la propriété en capital des entreprises de notre pays qui pourrait se trouver mis en cause.

Sur Transdev et la SNCM, je n'ai rien à ajouter par rapport à ce qu'a déjà dit le président Emmanuelli.

Concernant les rapports entre la Caisse et ses parties prenantes, la principale modification tient à l'évolution de nos modes d'intervention dans les territoires, avec une meilleure intégration des expertises de l'ensemble du groupe et l'amélioration de la qualité de son offre. La Caisse doit devenir un pivot de l'ingénierie publique, technique et financière au niveau territorial. Cela suppose que nous soyons mieux intégrés. En recevant un certain nombre d'élus et de parlementaires, j'ai vu les différences d'approche sur des projets précis entre certaines filiales de la Caisse, et l'établissement public au niveau local et territorial. Nous devons avoir davantage de synergies et être plus clairs en termes de stratégie territoriale. Notre intervention en prêts grâce à l'enveloppe de 20 milliards d'euros devenant plus importante, nous devons être particulièrement cohérents. Depuis le printemps dernier, près de 300 dossiers sont en cours d'instruction, représentant plus de 1,5 milliard d'euros de financement. D'une part, les critères d'éligibilité vont être élargis et, d'autre part, la Caisse pourra financer 100 % du besoin d'emprunt pour les projets inférieurs à 1 million d'euros et, si le Premier ministre le confirme, 75 % pour les projets compris entre 1 et 2 millions d'euros, ce qui constitue une mesure de simplification pour les collectivités territoriales, notamment les plus petites.

Cette évolution au profit des territoires sera conjuguée à un accord de coopération entre la Caisse et la Banque Européenne d'Investissement – BEI –, qui augmentera ses interventions en France de 4 à 7 milliards d'euros par an, y compris pour le secteur public local entre 2013 et 2015. Les directions régionales de la Caisse seront sur le terrain les interlocutrices privilégiées pour instruire ces dossiers.

Sur les relations avec l'État, je pense qu'il faut privilégier le moyen terme compte tenu de la situation des uns et des autres, mais on ne peut pas demander à la Caisse tout et son contraire : de davantage intervenir, d'être dans un contexte prudentiel et financier plus difficile qu'auparavant et de conserver les mêmes règles opératoires qui peuvent limiter ses interventions.

En ce qui concerne les priorités sectorielles, nous souhaitons être en adéquation avec les orientations de la puissance publique.

Ces secteurs concernent en premier lieu le développement et le financement des entreprises à travers Bpifrance, notre première filiale. Son bilan d'activité au 1er septembre 2013 montre une progression, pour une banque mise en place au mois de juillet dernier et dont le principe a été voté à la fin de l'année dernière. C'est créer une grande banque, mettre en synergie différentes activités, et même si tout n'est pas parfait, je tiens à saluer le travail réalisé par les équipes. Les différentes directions régionales sont aujourd'hui opérationnelles. Bpifrance a présenté le 5 novembre dernier un plan pour l'innovation, dont un fonds doté de 500 millions d'euros pour les entreprises innovantes. Nous allons également innover puisque les fonds d'épargne pourront ainsi augmenter leurs investissements dans le capital des PME de croissance. Nous pouvons également intervenir avec des fonds nouveaux, notamment sur le financement obligataire des PME.

En deuxième lieu, pour ce qui concerne l'accélération de la transition écologique et énergétique, nous proposons de mettre en place un mécanisme de garantie pour améliorer la rénovation thermique des logements privés. Nous souhaitons accompagner le développement des énergies renouvelables et la modernisation des réseaux de distribution. C'est un domaine dans lequel l'intégration doit être plus forte au sein de la Caisse. C'est une priorité majeure pour le développement économique, un des premiers leviers de croissance au vu des effets assez limités des politiques monétaires ou de liquidités injectées dans l'économie. L'organisation entre les filiales et l'établissement public doit donc être plus resserrée, avec un référent en charge d'assurer la coordination.

Le logement est la troisième priorité. Le financement du logement social reste le coeur de cible de la Caisse à travers les prêts des fonds d'épargne. Mais nous avons aussi pour ambition, à travers notre filiale la Société nationale immobilière – SNI –, de mettre sur pied avec les investisseurs institutionnels, un fonds consacré à la relance du logement intermédiaire, et je sais que votre Commission en a discuté lors de l'examen de l'article 55 du projet de loi de finances pour 2014, qui prévoit les mesures fiscales d'accompagnement de ce dispositif. Nous souhaitons également développer le « viager intermédié ».

Quatrième priorité, la Caisse doit être plus offensive sur le numérique, en particulier à travers la gestion des programmes d'investissement d'avenir, dont va s'occuper Mme Renaud-Basso. Elle doit également l'être s'agissant de l'équipement numérique des territoires, du développement des quartiers numériques et de son positionnement sur les politiques portant sur la consignation des données numériques. Il faut pour cela que les procédures de gestion soient davantage unifiées au sein de la Caisse et que les relations avec le Commissariat général à l'investissement soient clarifiées, de même qu'avec la BPI – c'est d'ailleurs un des axes essentiels du plan stratégique.

Enfin, cinquième priorité, le développement des infrastructures durables, pour lesquelles nous nous trouvons dans un contexte de raréfaction des financements longs. Sont concernés les infrastructures de transport et d'énergie, les réseaux de chaleur et les infrastructures de tourisme. La Caisse est un opérateur important en termes de tourisme et souhaite le rester. Elle a des ambitions internationales et entend promouvoir une politique touristique plus cohérente, dans ce secteur important en termes d'activité et d'emploi.

Concernant le développement international, le président Emmanuelli vous a donné les chiffres relatifs à Transdev mais il faut savoir que 45 % de l'activité du groupe Caisse des Dépôts se fait aujourd'hui à l'international. De national, le groupe est devenu international : nous devons développer notre coopération avec nos partenaires allemands de la Kreditanstalt für Wiederaufbau – KfW –, avec la Cassa Depositi e Prestiti en Italie nous développons des projets avec la BEI et des fonds souverains internationaux et nous avons créé une filiale ad hoc CDC International afin de disposer d'un outil plus performant.

En conclusion, c'est une nouvelle donne pour la Caisse, compte tenu des contraintes financières et économiques, une nouvelle ambition pour faire du groupe un ensemble plus intégré nous permettant, à l'échéance de notre bicentenaire en 2016, d'en faire un groupe modernisé, performant et toujours investisseur à long terme et patient au service de l'intérêt général.

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