Certains diplomates, qui étaient plutôt favorables au retour de la France dans le commandement intégré, reconnaissent que la méfiance s'est dissipée, mais qu'on ne peut pas plus qu'avant parler du « pilier européen », car, craignant que les États-Unis n'abandonnent l'Europe au profit du Pacifique, la plupart des alliés européens pensent que toute initiative européenne leur en offrirait le prétexte ! Aussi, la disparition de la méfiance à l'égard de la France n'entraîne rien de constructif. Il va être, on le voit, difficile de développer une politique d'influence mais c'est indispensable.
Les équipes de M. Obama tiennent à ce propos un langage aussi nouveau et nous disposons désormais peut être d'une petite marge d'européanisation au sein de l'OTAN. Cependant cela ne sera possible que dans le cadre d'une entente pragmatique avec les États-Unis, sans qui les autres européens n'oseront pas aller dans ce sens. Cette plus grande européanisation de l'Alliance ne s'opposerait pas aux autres volets de notre action. Il ne s'agit pas de choisir une enceinte plutôt qu'une autre, mais de poursuivre une même politique de défense à travers différentes enceintes.
Il est vrai que toute la machinerie otanienne, les normes américaines et le complexe militaro-industriel relayé par l'OTAN, tendent à faire acheter du matériel américain. C'est d'ailleurs le choix que font sans états d'âme la plupart des Européens. Que la France soit en dehors ou à l'intérieur des organes intégrés ne change pas grand-chose à cette réalité. La légère contraction du budget américain de la défense va même conduire les entreprises américaines à se montrer encore plus agressives envers les capacités industrielles qui subsistent en Europe. Il faudra non seulement que nous soyons vigilants et offensifs, mais que nous ayons des partenaires résolus.
Quant aux singularités de la France, elles sont indéniables. Elles expliquent d'ailleurs les différentes attitudes de nos partenaires européens, la plupart se réjouissant que la France se soit « normalisée » - selon eux - mais considérant qu'elle est un pays comme les autres et que nous sommes désormais, comme on disait autrefois à l'appel à l'armée, « présents couchés », quelques uns estimant que cela peut permettre une nouvelle politique d'influence de la France.
Les questions africaines de l'heure au Sahel sont militairement assez simples, mais politiquement complexes. Comment faire en sorte qu'une action éventuelle soit perçue comme vraiment légitime, et que les Africains soient en première ligne ? Ont-ils la capacité et la volonté de tenir ce rôle ? Il semble qu'ils ne soient pas encore tout à fait d'accord entre eux, et que l'Algérie freine le mouvement. Imaginons que les conditions soient réunies et qu'une opération militaire ait lieu au Sahel, il faudra, ensuite, restaurer l'intégrité de pays qui, depuis longtemps, est incapable de contrôler les milliers de kilomètres de ses frontières ? Certes, il s'agirait d'une action légitime, avec l'aval du Conseil de sécurité, de l'Union africaine, et de la CEDEAO. Elle devrait être complétée et suivie par un plan durable permettant la reconstruction d'États capables d'exercer leurs fonctions normales sur leur territoire.
Les États-Unis sont une puissance mondiale, globale, et même si le président M. Obama sait très bien que le leadership américain est encore réel mais relatif, contesté et concurrencé, ils n'abandonneront jamais complètement aucune partie du monde. M. Obama a d'ailleurs clairement arbitré en faveur du maintien de flottes américaines sur tous les océans. Il ne faut donc pas imaginer que les Américains vont se transporter avec armes et bagages dans le Pacifique. Certes, on peut imaginer un basculement jusqu'à un certain point, et c'est d'ailleurs logique : nous en ferions autant à leur place, nous nous occuperions en priorité du Pacifique et de l'Asie. Cette situation crée-t-elle pour les européens un espace, une disponibilité ? Peut-être, même si l'on ne prend pas au pied de la lettre les déclarations les plus ouvertes de l'administration Obama, avons-nous une occasion qui ne s'était jamais présentée eux Européens, ni au début de l'Alliance, ni lorsque de Gaulle du se retirer du commandement intégré, ni depuis le retour de la France. Il serait triste et paradoxal que, dans ce moment historique, alors même que les États-Unis sont enfin ouverts à une certaine évolution, où une politique plus ambitieuse devient possible, les Européens se trouvent dans l'incapacité de saisir cette occasion.