Intervention de Jean-Paul Bailly

Réunion du 17 octobre 2012 à 10h00
Commission des affaires économiques

Jean-Paul Bailly, président-directeur général du groupe la Poste :

La Poste est aujourd'hui un très grand service public, celui que les Français jugent le plus utile, le plus proche, celui dans lequel ils ont le plus confiance.

Quatre missions de service public lui ont été confiées : la distribution du courrier six jours sur sept, partout sur le territoire, avec une bonne qualité de service et des prix abordables ; la présence territoriale, la loi lui faisant obligation de maintenir 17 000 points de présence ; l'accessibilité bancaire, depuis 2009, avec un Livret A postal spécifique sur lequel, comme sur un compte chèque, peuvent être versées les prestations sociales des personnes les plus modestes ; la distribution de la presse, mission entièrement régulée par un accord signé en 2008 et qui court jusqu'en 2015.

Grâce aux symboles que constituent ses facteurs, ses points de présence et ses 25 millions de Livrets A, La Poste est un acteur de la cohésion sociale, de l'ancrage et du développement territorial. Mais c'est aussi une très grande entreprise. Son chiffre d'affaires – 21 milliards d'euros – en fait la vingtième entreprise française, mais, en termes de valeur ajoutée, elle occupe la première place. Elle est d'ailleurs le premier employeur de France.

Elle exerce trois grandes activités : le courrier, qui représente à peu près la moitié de son chiffre d'affaires, le colis et l'express – un quart –, et la banque – un autre quart. À La Poste, tout euro est en concurrence. C'était vrai en 2009, au moment de la banalisation du Livret A, et ça l'est plus encore depuis 2011, avec l'ouverture définitive des marchés du courrier. Il s'agit d'une concurrence acharnée dans tous les domaines, sauf pour le courrier traditionnel domestique où la société numérique est en train de changer la donne. La décroissance structurelle se mesure de la manière suivante : au début des années 2000, les volumes de courrier variaient comme le PIB + 1 ; aujourd'hui, ils varient comme le PIB − 6. Cela se vérifie dans tous les pays d'Europe. L'évolution est même parfois très rapide, comme au Danemark et dans les pays d'Europe du Nord qui sont souvent des précurseurs.

La Poste ne vit pas du contribuable. Elle ne vit que de la vente de ses produits et de ses services. Certes, ses missions de service public sont en partie compensées, mais, entre les taxes et les dividendes qu'elle verse et les compensations qu'elle perçoit de l'État, le solde est positif pour l'État d'environ 500 millions d'euros par an.

Son activité est essentiellement tournée vers le monde économique. Qu'il s'agisse des colis ou de l'express, plus de 85 % des échanges proviennent du monde économique et des entreprises. La part des ménages est à peine de 15 %, ce qui est très modeste par rapport à ce qu'elle est pour d'autres entreprises, comme EDF où elle se monte à 50 %.

C'est une entreprise qui a une véritable dimension internationale. Aujourd'hui, près de 20 % de son chiffre d'affaires provient de l'étranger, avec près de 20 000 salariés. Son activité s'exerce alors principalement dans le domaine du colis et de l'express, mais nous venons de créer la première entreprise européenne publique dans le domaine postal, que nous détenons à parts égales avec La Poste suisse.

La Poste emploie 268 000 salariés, dont 220 000 à la maison-mère. Dans la mesure où il n'existe pas de statut du postier, ce sont soit des salariés de droit privé, soit des fonctionnaires.

Enfin, je rappelle qu'elle est un acteur-clef pour l'économie nationale et locale, pour tout ce qui concerne la logistique légère, pour le développement du e-commerce, pour l'emploi local et la vie des entreprises. Mais elle est également un acteur de poids par ses investissements qui représentent plus de 1 milliard d'euros par an et font travailler nombre de TPE et d'entreprises locales. Enfin, elle est en train de devenir un acteur particulièrement important pour le financement des PME-TPE ou des collectivités territoriales.

Tout cela s'est fait dans un environnement économique porteur jusqu'en 2007, quand La Poste a opéré un redressement spectaculaire au plan économique. Malgré les cinq années de crise qui ont suivi, elle a réussi à maintenir ses résultats à un niveau correct. Toutefois, les perspectives sont préoccupantes, en particulier pour 2013, où vont se combiner à la fois une croissance extrêmement ralentie, une accélération probable de la diminution du volume du courrier, le maintien de taux bas très défavorables à la performance économique de La Banque Postale et un certain ralentissement de la productivité lié aux décisions que j'ai prises à la suite du rapport Kaspar.

Nous sommes désormais dans une société numérique. Il y a quelques années, on aurait pu dire qu'internet était notre concurrent. C'est fini. Un concurrent, c'est quelqu'un contre qui on se bat. On ne se bat pas contre internet. Comme tout monde en rupture, celui dans lequel nous vivons est porteur de menaces et d'opportunités.

Les menaces, c'est tout d'abord le déclin de nos activités traditionnelles. J'ai parlé du courrier, mais on pourrait également évoquer l'activité de guichet, qui décroît naturellement dès lors que les gens peuvent effectuer certaines opérations chez eux, sur leur ordinateur.

Les opportunités concernent le e-commerce, la e-logistique, le développement du multicanal, la téléphonie mobile et l'innovation dans le domaine du courrier, avec l'internet de la confiance, le développement du courrier comme un média multicanal, les services aux entreprises ou la diversification du rôle du facteur.

Dans ce contexte, nous avons grandement amélioré la qualité dans le respect de nos missions de service public. En 2011 et 2012, dans tous les domaines, nous battons des records du point de vue de la qualité. En 2001, 73 % du courrier était distribué à J+1. Aujourd'hui, c'est plus de 87 %. En 2002, 82 % des colis parvenaient chez leur destinataire à J+2. Aujourd'hui, c'est plus de 93 %.

Chacun a pu constater que la transformation des bureaux de poste urbains ou d'une certaine taille permet à la fois un meilleur accueil, une meilleure prise en charge, la quasi-disparition des files d'attente et un bond spectaculaire dans la satisfaction du public : celle-ci, qui plafonnait en dessous de 50 %, est montée à 79 %.

Enfin, depuis sept ou huit ans, toutes les enquêtes montrent que, après quelques réticences initiales, les élus, les commerçants ou les clients sont satisfaits à plus de 90 % du développement des points de contact mutualisés, qu'il s'agisse des agences postales communales ou des relais postes commerçants.

Cependant, nous suivons un programme considérable d'adaptation, de modernisation, d'innovation et de développement. Face à de telles décroissances d'activité, nous avons besoin d'adapter en permanence nos organisations. Le rapport Kaspar considère d'ailleurs qu'il faut s'adapter pour ne pas mettre l'entreprise et la pérennité du service public en péril. Pour La Poste, l'adaptation sera un processus quasiment continu.

Pour se moderniser, il faut un bon niveau d'investissement. Malgré la crise, nous avons systématiquement maintenu le niveau d'investissement au-dessus du milliard d'euros. Cela nous a permis d'avoir l'outil logistique du courrier le plus moderne d'Europe, de moderniser plus de 1 000 bureaux de poste par an, de rénover complètement notre système d'information, qui est au coeur de la qualité de service et qui est l'un des plus importants d'Europe, puisqu'il doit gérer 70 millions d'objets chaque nuit, 1 million de colis, 17 000 points de présence, 25 millions de Livrets A et 11 millions de comptes de dépôt à La Banque Postale, 270 000 salariés.

Nous devons enfin innover et développer. Innover, c'est rendre un meilleur service aux entreprises, développer la e-logistique, faire en sorte que le média – courrier adressé ou média non adressé – ne soit plus simplement du papier mais un média multicanal, développer l'internet de la confiance et l'activité du facteur. Ce dernier point est très important à nos yeux : la diminution rapide du volume de courrier ne peut que nous préoccuper et nous devons trouver des relais d'activité pour les facteurs.

Nous sommes toujours leader européen pour le colis et l'express. Nous développons notre activité et certaines antennes à vocation plus internationale.

Enfin, nous poursuivons la modernisation de l'enseigne. Ainsi, nous avons développé la téléphonie mobile, qui est maintenant présente dans les 10 000 bureaux de poste.

Tout cela, nous avons pu le faire grâce à des résultats économiques robustes. Malgré la crise, nous avons réussi, depuis 2008, à maintenir une marge de 3,5 %, c'est-à-dire d'environ 700 millions d'euros. C'est la somme strictement nécessaire pour poursuivre la politique de modernisation et d'innovation, à condition, pour les opérations un peu plus importantes, de la combiner avec l'augmentation de capital qui nous a particulièrement servis pour la modernisation des bureaux de poste et des systèmes d'information, pour quelques acquisitions en France et pour un nombre modeste d'acquisitions à l'étranger dans le domaine du colis et de l'express.

Aujourd'hui, nous bénéficions d'une réelle solidité financière, grâce aux augmentations de capital effectuées ou prévues : 1,05 milliard en 2011, 1,05 milliard en 2012, 600 millions en 2013. Dans le même temps, nous avons pu investir et nous désendetter. Notre situation financière nous permettra de trouver de nouveaux relais de croissance si cela est rendu nécessaire par la très forte décroissance de l'activité du courrier.

Tout cela, comme le confirme le rapport Kaspar, nous l'avons fait avec un modèle social de qualité, c'est-à-dire avec la garantie de l'emploi, avec une véritable qualité contractuelle des emplois – je rappelle que le nombre de CDD a fortement baissé, pour ne plus représenter aujourd'hui que 4,5 %, que le nombre de temps partiels imposés a fortement diminué et que nous privilégions aujourd'hui les temps pleins CDI, passant, dans ce domaine, de 62 % à 88 %. L'ascenseur social a fonctionné comme jamais, puisque nous avons constaté jusqu'à 25 000 promotions par année. Tous nos indicateurs, y compris les indicateurs de confiance ou de satisfaction, sont positifs. Les indicateurs sociaux montrent notamment qu'il n'y a pas de problème majeur dans l'entreprise, et que la conflictualité y est faible.

Il n'empêche que nous avons identifié un certain nombre de points d'alerte. Ainsi, d'après ces enquêtes, les postiers trouvent que le rythme du changement est trop élevé, qu'il y a, ici ou là, des pressions sur les effectifs, que le management de proximité doit être mieux formé et mieux préparé à des tâches de plus en plus complexes, qu'il faudrait davantage d'écoute. En outre, cette évolution et le non-remplacement de tous les départs en retraite entraînent un vieillissement de la population et une augmentation de l'absentéisme.

C'est dans ce contexte, pressentant les limites du modèle social pour les dix ans qui viennent et à la suite d'un drame qu'a évoqué le président Brottes et qui nous a tous bouleversés, que j'ai décidé d'une triple démarche, rapide et innovante.

J'ai d'abord nommé une médiatrice au travail, qui ne s'occupe que des cas personnels. Tous ceux – agents, collègues, encadrement, organisations syndicales, assistantes sociales – qui ont connaissance d'une situation personnelle difficile font remonter l'information et nous essayons de la traiter au mieux.

Par sa taille, La Poste est un échantillon représentatif de la société française. Elle concentre en effet 1 % du salariat de notre pays. Cette population offre les mêmes caractéristiques que la population française, la même proportion de femmes – 51 % –, la même répartition sur le territoire, la même répartition sociologique. Tout problème qui traverse la société française traverse donc La Poste, et on ne peut pas analyser les problèmes de La Poste sans comprendre ceux de la société française. Il m'a donc semblé qu'il fallait se doter d'une analyse tournée vers l'extérieur. C'est pourquoi j'ai demandé à Jean Kaspar de présider une commission composée de représentants des organisations syndicales, de dirigeants de l'entreprise et, surtout, de plusieurs experts extérieurs, des médecins, des économistes, des sociologues, des dirigeants comme Henri Lachmann, des spécialistes des ressources humaines. Pendant cinq mois, en toute liberté et indépendance, ils ont mené toutes les auditions qu'ils ont voulues, sont allés sur le terrain, ont rencontré 400 postiers, les organisations syndicales centrales et locales.

Enfin, nous avons adopté une démarche d'écoute interne, donnant à tous les postiers la possibilité de participer, par groupe de dix ou quinze, à des rencontres où ils pouvaient librement s'exprimer. En trois mois, nous avons tenu 12 000 réunions, auxquelles ont pris part 130 000 postiers. Les sujets les plus souvent abordés sont ceux que j'ai déjà évoqués : demande d'une plus grande écoute, pression sur les effectifs, difficultés de certains à vivre le changement.

Le rapport de la commission Kaspar est très équilibré. Il considère que la transformation qui a été conduite était nécessaire, qu'elle a été plutôt bien menée, qu'il est indispensable de la poursuivre et de l'améliorer.

Il estime ensuite qu'il faut continuer à s'adapter et à innover. Ainsi ai-je décidé de faire évoluer la structure de notre direction générale, en nommant une femme directrice générale adjointe chargée du développement du numérique. La Poste est ainsi l'une des premières grandes entreprises dont un membre du comité exécutif sera chargé non seulement de la mutation numérique de l'entreprise, mais aussi de la construction de nouvelles offres numériques.

Le rapport Kaspar propose un nouveau défi, une nouvelle ambition à La Poste, en lui demandant de devenir pionnière en matière de bien-être au travail. Nous avons fait nôtre cet objectif et avons accepté le rapport Kaspar dans sa globalité. Vous pouvez lire ce document : tout ce qui est dedans sera fait. Ainsi, nous appliquerons ses recommandations en matière de cohésion du groupe : nous avons nommé deux dirigeants auprès du délégué général chargé des politiques transversales, l'un chargé du pilotage des enjeux concernant le bien-être au travail, l'autre chargé de la formation des managers de demain.

Le rapport préconisait également une détente sur les effectifs, afin de développer la formation, de mieux répondre aux demandes dans le domaine du dialogue social et de l'activité syndicale, et de faciliter la conduite du changement. Au bout du compte, et toutes choses égales par ailleurs, nous nous sommes engagés à pratiquer 5 000 embauches de plus – 1 000 en 2012, 2 000 en 2013, 2 000 en 2014 – par rapport à ce qu'aurait été la trajectoire de La Poste si cette décision n'avait pas été prise.

Enfin, le rapport proposait l'ouverture de huit chantiers de négociations. Les discussions sont d'ores et déjà engagées. Jusqu'à présent, c'est un délégué général qui était directeur des ressources humaines. J'ai nommé une deuxième femme, Mme Sylvie François, directrice générale adjointe chargée des ressources humaines et, donc, de la conduite de ces négociations.

Les embauches supplémentaires se feront en accompagnement de la politique de l'emploi du Gouvernement. D'ici à la fin de l'année, nous aurons signé un accord concernant les emplois d'avenir. Cela prendra un peu plus de temps pour les contrats de génération, le processus étant moins avancé. Enfin, nous maintiendrons et développerons notre politique d'embauche par l'alternance, puisque plus de 50 % de nos recrutements, des niveaux les plus modestes jusqu'à bac plus 4, se font par l'alternance.

Tout mon souci, désormais, est de bien préparer l'avenir. Ce que nous avons à faire demain n'est pas plus facile que ce que nous avons déjà réalisé. La modification des volumes de courrier a des implications en termes d'adaptation, de formation, de compétences, de reconversion, de mobilité, et tout cela ne sera pas facile à gérer. Le plan stratégique auquel nous allons travailler devra tenir compte de trois priorités : la qualité de service dans le respect de nos missions de service public ; la qualité de vie et le bien-être au travail ; la bonne santé économique. Si, en 2012, La Poste avait la structure des coûts de 2002, au lieu d'avoir une marge de 3,5 % et de dégager les 700 millions de résultats nécessaires à sa modernisation, elle aurait un déficit de 1,5 milliard. On imagine ce qu'elle deviendrait dans ces conditions, ce que seraient son modèle social et sa capacité à exécuter ses missions de service public.

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