Intervention de Jacqueline Fraysse

Séance en hémicycle du 25 novembre 2013 à 16h00
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacqueline Fraysse :

… une convergence pourtant formellement supprimée l’an dernier – ce dont je me suis félicitée – et qui n’ose plus dire son nom mais qui réapparaît bel et bien dans les baisses différenciées des tarifs hospitaliers, toujours au détriment des hôpitaux publics. Plus généralement, c’est dans une situation de sous-financement chronique que vous maintenez les hôpitaux, puisque vous prévoyez cette année encore un objectif de dépenses largement inférieur à leur évolution obligatoire car liée au coût de la vie.

Une étude de l’INSEE montre pourtant que les services publics de santé, d’éducation et de logement contribuent deux fois plus que l’impôt sur le revenu à la réduction des inégalités. Concernant le service public de santé, cet effet redistributif est principalement dû au fait que les personnes aux revenus modestes fréquentent davantage les hôpitaux, dont les actes sont mieux remboursés. Fragiliser les hôpitaux publics, c’est donc entraver l’accès aux soins en général, et plus encore l’accès aux soins des personnes à faibles revenus, qui n’ont pas les moyens de se tourner vers les cliniques privées.

J’ai participé aux auditions de la mission sur la santé mentale et l’avenir de la psychiatrie, dirigée par notre collègue Denys Robiliard. J’y ai appris que, dans certaines régions, il faut jusqu’à dix-huit mois pour obtenir un rendez-vous avec un pédopsychiatre public. Pensez-vous réellement qu’un enfant ou un adolescent en souffrance psychique puisse attendre un an et demi avant de consulter un spécialiste ?

Or le Gouvernement a annoncé sa volonté de poursuivre sa politique d’austérité et de la faire essentiellement reposer, l’année prochaine, sur la réduction des dépenses. Il y a donc tout lieu de craindre que les restrictions se poursuivent dans les établissements publics de soins.

Seconde source d’inquiétude, ce PLFSS entérine une nette modification du mode de financement de la protection sociale, qui repose de moins en moins sur les entreprises et de plus en plus sur l’impôt, donc sur les ménages. Une mission sur ce sujet a été confiée au Haut conseil du financement de la protection sociale. Or, à ce jour, aucune de ses conclusions ne nous a été transmise, alors que certaines semblent être mises en oeuvre dans ce PLFSS. Nous souhaiterions que le Gouvernement tienne la représentation nationale informée du résultat des travaux sur cet important sujet.

Nous considérons en effet qu’une réforme du financement de la protection sociale est nécessaire, et nous ne manquons pas une occasion de faire des propositions en ce sens, mais nous pensons qu’une telle réforme, touchant à un véritable choix de société, ne peut se faire en catimini, par la méthode du salami, c’est-à-dire petite tranche par petite tranche. Une telle réforme nécessite au contraire un vaste débat public que, malheureusement, pas plus que vos prédécesseurs, vous ne semblez prêts à initier, ce qui est préoccupant. En lieu et place d’un tel débat, vous imposez, sans discussion aucune, ce dogme selon lequel il est urgent de baisser le niveau des prélèvements sociaux sur les entreprises.

Et peu importe que ce niveau ne cesse de baisser depuis vingt ans, à coup de très onéreuses exonérations de cotisations sociales sans aucune contrepartie ni aucun contrôle, de surcroît sans aucun résultat sur l’augmentation dramatique du nombre de chômeurs. Si les entreprises ont un problème, c’est d’abord avec le coût du capital, comme le montrent les nombreux exemples d’entreprises qui licencient bien qu’elles fassent des profits, et non pas avec le coût du travail, que vous mettez en avant pour masquer le vrai débat et que vous utilisez même pour justifier les 20 milliards de nouveaux cadeaux aux entreprises, avec le crédit d’impôt compétitivité emploi, ou pour les exonérer de tout effort supplémentaire de financement des retraites en compensant intégralement la hausse de la part patronale des cotisations vieillesse par une fiscalisation de la branche famille.

Autre signe de ce transfert du financement de la protection sociale des entreprises vers les ménages : le désengagement progressif de l’assurance maladie obligatoire, financée par les ménages et les employeurs, au profit des organismes d’assurance maladie complémentaire, financés par les seuls ménages. En première lecture, nous avons proposé que les projets de loi de financement de la Sécurité sociale mesurent plus finement ce désengagement pour les personnes qui ne sont pas en ALD, ce que vous avez malheureusement refusé, montrant par là que vous n’êtes pas très à l’aise sur cette question.

Ce n’est pas étonnant, puisque, loin de combattre ce phénomène, vous l’accompagnez en entérinant, avec la loi dite de sécurisation de l’emploi, ce rôle accru des complémentaires santé. Revenant sur une disposition de cette loi censurée par le Conseil constitutionnel, ce PLFSS propose de réintroduire une clause de désignation, requalifiée en « clause de recommandation ». Cette expression renvoie à la possibilité, dans un accord collectif de branche, de désigner, ou de recommander fortement, le choix d’un ou plusieurs organismes d’assurance maladie complémentaire, ce choix s’imposant aux entreprises et donc aux salariés de la branche.

Les défenseurs de cette clause mettent en avant la lutte contre la sélection des risques tirée vers le bas et le fait que ces clauses, négociées au niveau des branches, permettraient d’offrir aux salariés une assurance complémentaire moins onéreuse. Les opposants critiquent une protection sociale d’entreprise subventionnée par l’État qui va étouffer les mutuelles, et particulièrement les plus petites d’entre elles. C’est un débat particulièrement pervers, puisque nous avons à choisir entre deux solutions discutables, pour ne pas dire pire, en évacuant le vrai sujet, celui de la protection sociale de base.

Pour notre part, notre position est sans ambiguïté : nous défendons le principe d’une prise en charge maximale par l’assurance maladie obligatoire, universelle, équitable, et mieux gérée puisque ses frais de fonctionnement sont très inférieurs à ceux des assurances privées et même des mutuelles. Devant votre refus d’une telle prise en charge maximale, nous avons souhaité qu’à tout le moins l’assurance maladie obligatoire puisse également proposer une assurance maladie complémentaire, ce que le Gouvernement a également refusé.

Quant aux mutuelles, elles risquent effectivement de pâtir de cette clause de recommandation, tout comme elles pâtissent déjà de leur participation à l’UNOCAM, une participation dangereuse, qui les place sur le même plan que les assureurs privés.

Vous l’aurez compris, ce PLFSS ne trouve décidément guère grâce à nos yeux. Il faut dire que vous n’avez pas fait le moindre effort pour nous le rendre plus acceptable, puisque vous avez systématiquement rejeté tous nos amendements en première lecture, sans même remarquer que vous aviez déposé les mêmes, pour certains d’entre eux, lorsque vous étiez dans l’opposition.

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