Intervention de Fleur Pellerin

Réunion du 17 octobre 2012 à 16h15
Commission des affaires économiques

Fleur Pellerin, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique :

Le secteur des télécoms a ce côté paradoxal de tirer derrière lui tout l'écosystème numérique, secteur en croissance et doté de potentiels de développement considérables, tout en étant destructeur d'emplois. Nous avons conduit une réflexion globale sur la manière de relancer à la fois l'investissement et la création d'emplois dans les télécoms, sachant que l'arrivée du quatrième opérateur modifie les conditions et l'équilibre économiques du secteur. Il apparaît aujourd'hui que l'entrée sur le marché du quatrième opérateur n'a pas été très bien anticipée par le précédent gouvernement et qu'elle a un fort impact sur la filière : plans de départs volontaires annoncés ou en passe de l'être chez les opérateurs qui ont le plus souffert de l'arrivée du quatrième opérateur ; difficultés chez les équipementiers ; risques sur les investissements chez les opérateurs télécoms dans le cadre du déploiement de la fibre ou du très haut débit mobile, de la 4G.

Nous avons établi cinq priorités, la première étant l'investissement. Nous avons souhaité nous assurer que l'ensemble des opérateurs était bien dans une logique d'investissement, d'où la mise en place d'un observatoire en collaboration avec l'Agence nationale des fréquences pour la partie déploiement des infrastructures et l'ARCEP pour la partie déploiement des investissements. Cet observatoire, en cours de constitution, nous permettra de suivre mensuellement le rythme des déploiements et des investissements.

Deuxième priorité, encadrer et maîtriser le recours à l'itinérance et à la mutualisation pour trouver un juste équilibre entre les investissements et la couverture du territoire. Le recours à l'itinérance, en ce qu'il représente un frein à l'investissement tant au niveau du BTP que de l'investissement direct des opérateurs, doit être limité dans le temps. Toutefois, une logique de mutualisation doit être envisagée dans les zones les moins denses, où les coûts rendraient une concurrence par les infrastructures absurde économiquement.

Accélérer le développement de la 4G, c'est la troisième priorité, car c'est dans ce domaine que les perspectives d'emplois nous apparaissent les plus importantes. À cette fin, nous avons fait en sorte de libérer plus rapidement que prévu les bandes permettant le déploiement de la 4G. D'abord, en demandant à la direction générale de l'aviation civile, qui utilise la bande 2,6 GHz, de procéder à des nettoyages de fréquences et à les libérer avec six mois d'avance. Ensuite, en expérimentant, à Saint-Étienne, sur la bande des fréquences en or – celles qui ont fait l'objet d'une vente très lucrative pour le budget de l'État il y a deux ans - un lancement de la 4G alors que se pose un problème de brouillage avec les fréquences de la TNT. Pour la première fois, les quatre opérateurs se sont mis d'accord sur une expérimentation en réel pour traiter le problème. Enfin, en libérant les fréquences de la bande des 1 800 MHz, qui ont fait l'objet d'une consultation publique par l'ARCEP et dont l'instruction est en cours. De son côté, puisqu'il est de la responsabilité de l'État de fixer les redevances relatives à la libération de ces fréquences, le Gouvernement réfléchit avec l'ARCEP à un calendrier pour permettre un déploiement plus rapide de la 4G.

La quatrième priorité consiste à mobiliser l'ensemble des leviers disponibles pour le maintien et la création d'emplois dans la relation client en France. Les centres d'appel font partie aussi des effets secondaires de la réorganisation du marché des télécoms. Tout comme les boutiques de distribution, ils sont touchés par l'arrivée du quatrième opérateur sur le plan de l'emploi. Nous avons soumis plusieurs pistes au conseil supérieur de filière ainsi qu'au Conseil national de la consommation : faire appel à la responsabilité sociale des entreprises en renforçant les labels correspondants propres aux centres d'appel ; encourager l'accroissement de la qualité de service dans la relation client en donnant la possibilité aux opérateurs d'offrir des services premium sans pour autant que le service de base gratuit soit dégradé ou surtaxé ; inciter à la création d'emplois en intégrant le critère de l'emploi dans l'attribution des fréquences ou dans le calcul des redevances d'occupation du domaine public hertzien. À cet égard, un accord pourrait être trouvé avec l'ensemble des opérateurs pour que leurs efforts de localisation ou de maintien en France des emplois liés à la relation client soient pris en compte dans le calcul des redevances.

La cinquième priorité, c'est d'accompagner la réflexion sur le modèle économique du secteur en matière de fourniture des terminaux mobiles. Aujourd'hui, les offres SIM only, c'est-à-dire l'achat de la carte SIM indépendamment du terminal, introduites par Free, connaissent un fort développement. Le consommateur doit maintenant avoir le choix entre ces modèles de SIM only avec acquisition du terminal et des modèles de subventionnement, qu'il reste à sécuriser juridiquement. Les contentieux n'étant pas la meilleure façon de régler les problèmes, mieux vaut lancer, en lien avec les services de Benoît Hamon puisqu'il s'agit d'un sujet de consommation, une réflexion avec l'ensemble des acteurs de la filière pour sécuriser le modèle subventionné.

S'agissant de La Poste, le contrat de service public est en cours de renégociation avec le groupe – vous en avez certainement amplement parlé ce matin. Le Gouvernement souhaite renforcer ses missions de service public, bien sûr, mais aussi le convaincre de se placer dans une logique moins défensive face à la baisse de l'activité courrier en l'incitant à innover, à inventer les services publics de demain. L'instruction est lancée avec l'ensemble des parties prenantes, associant étroitement les organisations représentatives du personnel. D'ici à la fin de l'année, un nouveau contrat de service public avec La Poste verra le jour. Les discussions spécifiques, notamment financières, interviendront dans le cadre de la négociation des trois volets selon un échéancier échelonné : la présence territoriale à la fin 2013, l'accessibilité bancaire à la fin 2014, les aides à la presse à la fin 2015.

J'en viens au numérique. En préambule, je précise que si les infrastructures sont un sujet important, je me suis attachée, dans la communication du Gouvernement, à insister sur le développement des usages, la manière dont le numérique pouvait être appréhendé par l'État comme un levier de modernisation de son action, un progrès en matière d'éducation et de santé, deux chantiers très importants pour l'action de l'État. Du point de vue de la méthode, tout le Gouvernement est mobilisé. Un séminaire gouvernemental sur les sujets numériques se tiendra au début de l'année prochaine. Tous les ministères y présenteront, en les hiérarchisant par ordre de priorité, leurs chantiers numériques afin d'avoir une action coordonnée au sein du Gouvernement.

La nomination à la direction générale de la modernisation de l'État de Jérôme Filippini, précédemment à la tête de la direction interministérielle des systèmes d'information et de communication de l'État, la DISIC, est un bon relais pour nous. Très sensible aux questions numériques, il veillera à ce que celles-ci soient bien prises en compte dans la modernisation de l'État.

S'agissant du très haut débit, l'objectif fixé par le Président de la République est la couverture de l'ensemble du territoire en dix ans, en donnant priorité à la fibre dans le mix technologique. Je l'ai dit la dernière fois, je vois les choses en trois volets. Le premier, c'est de conforter et sécuriser les zones d'intervention de chacun. Aujourd'hui, les opérateurs privés dans les zones AMII et les zones très denses et les collectivités dans les zones moins denses et non rentables doivent être sécurisés dans leurs investissements. Il est donc important de pouvoir très rapidement faire en sorte que les engagements des opérateurs en matière d'investissements et de rythme des investissements soient respectés. C'est tout le sens de l'observatoire, qui doit permettre à l'État de suivre ce rythme et de veiller au respect des engagements. Il faut aussi que les collectivités, lorsqu'elles déploient elles-mêmes leurs réseaux, puissent être accompagnées par une structure d'assistance à maîtrise d'ouvrage pour que leurs choix technologiques et de financement permettent aux opérateurs de déployer leurs offres dans ces réseaux.

Le rôle de chacun doit être clairement délimité, néanmoins il doit se conformer au pilotage assuré par le Gouvernement en matière de déploiement et de définition du mix technologique. C'est le deuxième volet. Rappelons que, conformément à l'engagement FTTH pour tous, la fibre doit être la technologie privilégiée. Dans les zones où le rapport coût-rendement ou coût-efficacité de la fibre est très élevé, les collectivités pourront, évidemment, proposer des solutions alternatives qui doivent vraiment rester l'exception par rapport à cette règle. La fonction de pilotage de l'État doit s'exercer sur l'industrialisation et la normalisation technologique, ce qui permet de sécuriser les investissements ou le déploiement de services des opérateurs privés, ainsi que sur le suivi du respect des engagements des opérateurs.

Le troisième volet concerne le financement. L'État accompagne déjà financièrement les projets des collectivités via les guichets A et B de la Caisse des dépôts et consignations. Si ces deux guichets sont maintenus, nous sommes en train d'examiner les modalités de conversion du guichet A, dédié aux prêts aux opérateurs, vers le prêt aux collectivités ou aux opérateurs déployant des réseaux de fibre optique. Parce qu'il ne correspondait pas à leurs besoins, ce guichet n'a pas du tout été sollicité par les opérateurs privés qui peuvent, par ailleurs, se tourner vers la Banque européenne d'investissement. Nous examinons, avec Jean-Pierre Jouyet, comment dégager ces financements sous forme de prêts à long terme à des taux attractifs pour les collectivités locales.

Toujours dans le volet du financement, l'État a pour rôle d'assurer la péréquation, puisque le coût du raccordement final n'est pas le même en centre-ville qu'en zone rurale ou de montagne. Il pourra aussi intervenir pour mobiliser les investisseurs privés, BEI ou CDC, cette dernière pouvant engager ses fonds propres dans des projets liés à la fibre en dehors des guichets A et B du fonds pour la société numérique.

Une mission de réflexion a été confiée à M. Pierre Collin et M. Nicolas Colin sur la fiscalité du numérique, qui devient un enjeu important de souveraineté. Aujourd'hui, notre système fiscal n'est pas adapté à l'économie numérique dématérialisée et déterritorialisée. Sur la base des conclusions de leur rapport, attendu pour le mois de décembre, nous ferons en sorte d'appréhender fiscalement les revenus que se procurent certains acteurs, nord-américains en particulier, sur le territoire français auprès du public français sans acquitter ni impôt sur les sociétés ni contribution au financement de la création, sans respecter non plus les obligations en matière de représentation de la diversité culturelle.

La taxation des télécoms, dite taxe Copé, destinée à financer l'arrêt de la publicité sur France télévisions, fait l'objet d'un contentieux devant la Cour de justice européenne qui devrait rendre sa décision au cours du premier semestre 2013, sans plus de précision. Dans cette attente, le Gouvernement a provisionné, dans le PLF pour 2013, 1,3 milliard d'euros, soit vraisemblablement la somme que nous devrons rembourser aux opérateurs pour cette taxe contraire au droit communautaire. La directive télécom interdit, en effet, de taxer les opérateurs à d'autres fins que la régulation du secteur. J'ajoute que la taxe sur les services de télévision, la TST, qui s'applique aux distributeurs et aussi aux opérateurs de télécoms, pourrait également être visée par ce type de contentieux. Le secteur des télécoms nous procure donc, en matière de fiscalité, des sujets de préoccupation qui pourraient avoir de lourdes implications dans le budget de l'État si les contentieux devaient se terminer comme nous pensons qu'ils se termineront.

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