Intervention de Fleur Pellerin

Réunion du 17 octobre 2012 à 16h15
Commission des affaires économiques

Fleur Pellerin, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique :

Monsieur Abad, votre proposition concernant la propriété des réseaux et le droit de passage est tout à fait judicieuse. Je demanderai au ministère de l'économie et des finances et à la DGCIS d'en conduire l'instruction juridique et d'examiner de quelle manière il serait possible de réintégrer dans le patrimoine des collectivités locales les fourreaux de France télécom. Il n'y a pas lieu, en effet, de réaliser des investissements redondants : dès lors que les fourreaux existent, il paraît logique de les utiliser pour tirer la fibre. À l'issue de la réflexion, je vous adresserai une réponse écrite.

Nous suivons la situation de Thomson Angers depuis plusieurs mois. Le problème de cette usine, c'est qu'elle avait été filialisée par Technicolor, qui était son unique client, pour fabriquer des décodeurs. Or il n'y a plus aucun site de fabrication de décodeurs en Europe puisque l'Union européenne ayant diminué les droits sur les importations de décodeurs, il est très difficile aujourd'hui de lutter contre la concurrence des pays à faibles coûts de main-d'oeuvre.

La direction de Technicolor a une très grande responsabilité dans la situation : d'une part, elle n'a pas anticipé cette évolution du secteur ; d'autre part, elle a rompu un contrat de fourniture de boxes liant l'entreprise à France télécom, estimant ne pas pouvoir tenir les délais, compte tenu de la complexité de cette nouvelle box à forte valeur ajoutée. Lorsque nous avons fait le tour des opérateurs susceptibles d'assurer un plan de charge transitoire afin de laisser le temps à d'éventuels repreneurs de se manifester auprès du tribunal de commerce, Orange a été le seul à faire une proposition de reconditionnement de boxes pour des marchés étrangers. Les repreneurs et le tribunal de commerce ont jugé cette offre insuffisante pour rendre les offres de reprise viables.

La filialisation rend les relations entre Technicolor et Thomson Angers assez peu claires du point de vue juridique, et la direction joue sur cette complication pour ne pas assumer ses responsabilités vis-à-vis des salariés. Avec le cabinet de Michel Sapin, nous pressons la direction de Technicolor, qui est peu coopérative, de prendre ses responsabilités et de financer le plan social. Nous mettrons la pression qu'il faudra, car ces gens ont eu une attitude inadmissible dans la gestion de cette liquidation.

Un Small Business Act à la française fait effectivement partie de nos réflexions dans le cadre de l'accompagnement des PME que le Gouvernement a érigé en priorité : il est normal de soutenir la croissance et l'expansion de 97 % des entreprises françaises. Aujourd'hui, les PME ne bénéficient pas des marchés publics à la hauteur de ce qu'elles représentent dans le tissu économique, et le Président de la République a répété, à plusieurs reprises, son souhait de voir ces marchés s'ouvrir davantage à ces entreprises. Nous réfléchissons à la possibilité de réserver certains marchés publics à des PME innovantes, mais nous devons travailler sur la faisabilité juridique de ce projet et sur son eurocompatibilité. Nous pensons qu'il y a là un levier important pour aider les PME à croître et à gagner des marchés.

Les pôles de compétitivité sont un des éléments de discussion que nous avons avec les régions, qui jouent un rôle majeur dans le soutien à l'innovation. Récemment, un audit a mis en évidence que certains de ces pôles étaient très performants en termes de création d'emplois et de chiffre d'affaires cependant que d'autres avaient plus de mal à décoller. La définition de notre vision industrielle doit donc intégrer une réflexion sur les synergies à mettre en place dans le cadre de rapprochements de certains de ces pôles. C'est ce dont nous discutons avec l'Association des régions de France, et bientôt avec l'Association des départements de France, dans le cadre d'un travail interministériel sur la compétitivité.

Monsieur Tetart, oui, il faut élaborer un modèle de subventionnement par l'État du déploiement du très haut débit dans les zones rurales non rentables. L'outil de péréquation qui sera abondé sera donc constitué d'une partie subventions. En réalité, peu de choix s'offrent à nous ; il ne peut s'agir que d'une participation du budget de l'État, des contribuables ou des opérateurs. Nous inclinons vers le co-investissement par les opérateurs et nous sommes en train d'affiner le chiffrage pour soumettre à l'arbitrage du Premier ministre les modalités de financement de la péréquation.

Si l'idée est bien de faire de la fibre le droit commun dans le déploiement du très haut débit, elle peut s'avérer trop coûteuse dans certaines zones, notamment de montagne. Les mix technologiques que nous envisageons feront appel à la fois aux technologies satellitaires, radio, 4G de très haut débit mobile et éventuellement, mais le moins possible, au cuivre. La structure de pilotage national sera aux côtés des collectivités qui ont beaucoup de zones rurales et de montagne ou qui rencontrent des problèmes de déploiement de la fibre jusqu'à l'habitant. Elle les accompagnera pour définir le mix technologique le plus approprié.

Dans le cadre de la renégociation du contrat de service public, nous serons très attentifs à ce que le réseau des points de contact de La Poste contribue à l'aménagement du territoire et que l'obligation d'accessibilité nationale et départementale inscrite dans la loi soit respectée. Aujourd'hui, le réseau postal français est le troisième en Europe, après ceux de l'Irlande et du Portugal. Nous veillerons à ce que ce réseau dense et diversifié continue à satisfaire ses obligations légales. Dans la mesure où il est financé par des abattements de taxes locales, c'est une exigence qui paraît logique. En tout cas, le contrat de service public donnera bien lieu à une discussion avec l'AMF, les élus concernés et la direction de La Poste.

L'idée, avec le quartier numérique, est de développer en France une logique de clusters. Aujourd'hui, notre économie numérique est très dynamique mais trop éclatée, et les exemples d'Israël et de la Silicon Valley montrent bien que la concentration physique est un facteur majeur de succès. Il ne s'agit pas de jouer Paris contre la province mais de mettre en oeuvre une stratégie d'attractivité de la région capitale, ainsi que partout dans les territoires où les écosystèmes sont en place mais peinent à se constituer dans une zone géographique délimitée. Une réflexion vient d'être engagée avec François Lamy et le ministère de l'économie et des finances sur la délimitation de zonages où pourraient s'appliquer des dispositifs dérogatoires en matière de fiscalité et de cotisations sociales de nature à favoriser le développement de clusters physiques. Ce qui compte pour nous, c'est de faire des vitrines de l'économie numérique en rassemblant tous les acteurs existants – recherche, universités, grandes entreprises et PME – en un seul endroit qui ferait office d'incubateur. Cette logique, nous souhaitons la mettre en oeuvre dans la région capitale, mais aussi dans tous les territoires capables de la soutenir.

La cybersécurité est un sujet crucial, j'en ai d'ailleurs fait un des éléments de ma communication sur la stratégie du Gouvernement pour le numérique au conseil des ministres. La souveraineté se décline dans plusieurs domaines : technologique pour la sécurité des systèmes et des réseaux informatiques, traitement des données, économie, fiscalité, Europe. Le caractère sensible de la souveraineté technologique rend difficile toute initiative publique sur cette question, aussi le traitons-nous dans un cadre interministériel. D'autres pays, comme les États-Unis ou l'Australie s'en sont saisis mais, n'étant pas contraints, comme nous, par le droit européen, il leur est plus facile d'exclure certains acteurs de leurs marchés publics. Ce sujet fait l'objet de notre part d'une réflexion très poussée que nous pourrions évoquer, lors d'une discussion très spécifique, avec les parlementaires intéressés. Une mission publique a été, un temps, envisagée pour traiter cette question, mais cela n'est pas apparu comme le moyen le plus adéquat.

Je n'ai pas d'élément particulier à communiquer sur l'entreprise Surcouf qui me semble être victime, comme d'autres sociétés, telle la FNAC, qui ont sans doute mieux résisté parce qu'elles étaient plus puissantes ou appartenaient à de grands groupes, de l'e-commerce. Face à des concurrents soumis à des régimes de TVA ou fiscaux différents, il est, en effet, difficile de maintenir une offre attractive. Je saisirai mes services, ainsi qu'Arnaud Montebourg et Sylvia Pinel de ce dossier.

Monsieur Tardy, la gratuité des données n'est pas une question nouvelle, mais elle n'a pas connu d'avancée, notamment en ce qui concerne les données de l'IGN, des musées ou de la recherche. Avec le séminaire de réflexion que Marylise Lebranchu a lancé sur la réforme de l'État et la nomination au poste de directeur général de la modernisation de l'État de M. Filippini, qui connaît très bien ces questions, j'ai bon espoir que nous puissions avancer rapidement sur l'ouverture des données publiques. C'est un chantier qui, par ses deux aspects de développement économique et création de valeur ainsi que de transparence de la vie démocratique, me semble important à relancer. Beaucoup de villes ont déjà pris des initiatives et il importe qu'à son échelon, l'État avance et fasse preuve de modernité.

La protection des données doit effectivement faire l'objet d'un gros travail. Nous souhaitons redynamiser les espaces publics numériques parce que nous nous sommes rendu compte qu'ils n'étaient pas du tout des cybercafés mais des lieux où les gens viennent s'informer et s'acculturer aux réseaux sociaux et à internet. Avec l'appui de contrats d'avenir, ces endroits peuvent tout à fait être propices à la diffusion d'une pédagogie sur la question des données personnelles. L'affaire récente sur Facebook montre bien combien il est compliqué, y compris pour des gens très connectés et très avertis, de protéger ses données personnelles et de savoir quelles options cocher pour être sûr de ne pas diffuser ce que l'on ne souhaite pas. Tout ce travail de pédagogie peut être fait, et même depuis le plus jeune âge. Vincent Peillon a indiqué qu'une réflexion pourrait être menée avec l'éducation nationale, des jeux sérieux pourraient servir de support pour apprendre aux enfants les dangers qu'il y a à exposer ses données personnelles sur les réseaux sociaux.

Enfin, le programme Investissements d'avenir finance deux projets complémentaires de cloud : Numergy et Cloudwatt. Ceux-ci nous paraissent intéressants parce qu'ils ont une masse critique plus élevée que les offres proposées jusqu'à présent par le privé et qu'ils permettent de développer des services de type IAAS, infrastructure as a service, de gérer les demandes des entreprises qui sont très fluctuantes dans le temps, bref des projets à forte valeur industrielle. L'appel à projet est toujours ouvert et des financements sont encore disponibles pour d'autres projets de clouds qui ne répondent pas forcément aux mêmes besoins. Cette matière de localisation et de maîtrise des données, sanitaires ou administratives par exemple, nous paraît d'ailleurs un enjeu de souveraineté numérique crucial.

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