Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le vote d’une loi de programmation militaire est de première importance pour nos armées et pour notre nation, puisqu’elle définit le cadre de référence pour construire un modèle d’armée cohérent dans la durée et adapté aux problématiques du monde contemporain. À la suite du Sénat, qui a adopté le texte le 21 octobre dernier, notre assemblée va se prononcer sur la programmation militaire pour les six prochaines années. Bien que seules les lois de finances votées dans un cadre annuel aient vocation à déterminer les ressources et les dépenses qui seront effectivement engagées, la loi de programmation constitue une référence de première importance au moment du vote des budgets successifs. En effet, la LPM détermine une trajectoire financière dont le respect permettra à nos armées de mener à bien les opérations d’investissement et de modernisation essentielles pour atteindre les objectifs stratégiques définis par le Livre blanc. Je résumerai en trois points ces objectifs.
En premier lieu, il fallait définir une trajectoire qui concilie souveraineté budgétaire et souveraineté stratégique. Les objectifs fixés par la précédente LPM, établie avant la crise, n’étaient plus tenables et n’étaient d’ailleurs pas tenus. Pour les années 2009 à 2013, elle prévoyait une ressource de 161,9 milliards d’euros, mais le ministère de la défense n’a bénéficié que de 157,1 milliards, en retrait de 4,8 milliards par rapport à la programmation initiale, soit le prix de quarante-huit avions de chasse de type Rafale… Il fallait donc revenir à une trajectoire plus réaliste.
En deuxième lieu, il était nécessaire de moderniser notre outil de défense en tenant compte de l’évolution du contexte international et des menaces qui pèsent sur notre pays. Trois grands principes ont été retenus : autonomie stratégique, différenciation des forces, mutualisation des forces. Ils guident les investissements nécessaires prévus par la LPM sans oublier – mais vous l’avez vous-même souligné, monsieur le ministre – l’effort en matière de recherche et de technologie.
Enfin, le troisième axe stratégique retenu par le Livre blanc est la priorité accordée au maintien de l’activité opérationnelle. Ce concept recouvre essentiellement l’entraînement des forces, mais aussi la disponibilité des matériels que nos soldats sont amenés à utiliser. Or cette disponibilité des équipements n’a pas cessé de décliner au cours des dernières années, notamment en raison du coût de la sophistication croissante des matériels. C’est pourquoi, sur la période 2014-2019, l’augmentation annuelle moyenne des crédits consacrés à l’entretien programmé des matériels sera de 4,3 %, s’établissant ainsi, sur l’ensemble de la période, à un niveau annuel moyen de 3,4 milliards d’euros courants. Cette hausse des crédits permettra donc d’accompagner la hausse des coûts de maintenance liée à l’arrivée de matériels de nouvelle génération du type Tigre, NH90 ou Rafale. Elle permettra aussi de faire face à la nécessité de prolonger la vie de certains matériels – les Atlantique 2 par exemple.
J’en viens maintenant, monsieur le ministre, au coeur de mon propos, c’est-à-dire à l’analyse de la trajectoire financière telle qu’elle est prévue par la loi de programmation militaire.
Selon l’article 3, les ressources programmées au profit de la mission « Défense » s’élèveront à 190 milliards d’euros courants, soit 179,2 milliards d’euros constants sur l’ensemble de la période 2014-2019. Durant les trois premières années, le montant total des ressources de la mission « Défense » sera ainsi préservé en valeur au niveau de la loi de finances initiale pour 2013. À partir de 2017, il est prévu un renforcement progressif des crédits budgétaires de la mission, qui atteindront 32,51 milliards d’euros en 2019. Au total, entre 2014 et 2019, les crédits de la mission « Défense » progresseront donc de 3,6 %. Le maintien, puis l’augmentation, des crédits de la défense correspondent à la double volonté du Président de la République et du Gouvernement de maintenir l’ensemble du spectre des missions actuellement confiées à nos armées et de préserver notre base industrielle et technologique de défense, qui représente près de 165 000 emplois directs et indirects. À ce titre, il est important de souligner qu’aucun des grands programmes d’armement n’est remis en cause ou abandonné, même si le ministère de la défense a entrepris de renégocier certains contrats afin d’étaler dans le temps les livraisons – c’est notamment le cas des sous-marins type Barracuda et des hélicoptères NH90.
Les dépenses d’équipement seront en moyenne de 17,2 milliards d’euros par an, avec une accélération progressive sur la période de programmation, puisque 16,5 milliards d’euros d’investissement sont prévus en 2014, mais 18,2 milliards en 2019. Au total, 102 milliards d’euros seront consacrés à l’équipement de 2014 à 2019.
Un tel effort d’investissement donne du sens au principe de mutualisation au niveau européen, et la programmation confirme la poursuite des grands programmes conduits en coopération. C’est un sujet sur lequel j’ai travaillé l’an dernier, dans le cadre de la mission d’évaluation et de contrôle, avec mes collègues François Cornut-Gentille et Jean-Jacques Bridey.
Enfin, pour préparer l’avenir et les équipements du futur, le secteur des études amont sera renforcé et bénéficiera annuellement d’une dotation moyenne de 730 millions d’euros, soit une hausse de 10 % par rapport à la période couverte par la précédente LPM.
Cette programmation est donc ambitieuse, mais elle me semble à la fois réaliste et nécessaire. Le « budgétaire » que je suis partage avec vous, monsieur le ministre, le souci de la voir respectée dans la durée. Certains points méritent à ce titre une attention particulière : la perception des ressources exceptionnelles, le financement des opérations extérieures, la maîtrise de la masse salariale et le respect des hypothèses d’exportations.
S’agissant des recettes exceptionnelles, 6,1 milliards d’euros sont programmés. Cela représente une somme importante, notamment pour les premières années de la programmation puisque 1,77 milliard d’euros sont prévus en 2014 et en 2015, puis 1,25 milliard en 2016. Ces ressources déclinent ensuite entre 2017 et 2019 pour n’atteindre cette année-là que 150 millions d’euros. Ces ressources exceptionnelles seront notamment constituées – je vous sais gré d’avoir rappelé votre souci de la transparence à ce sujet – de l’intégralité du produit de cession d’emprises immobilières utilisées par le ministère de la défense pour au moins 660 millions sur la période 2014-2016, des redevances versées par les opérateurs privés – au titre des cessions de fréquences déjà réalisées lors de la précédente LPM – pour 200 millions et d’un nouveau programme d’investissements d’avenir – le PIA – au bénéfice de l’excellence technologique des industries de défense pour 1,5 milliard – les crédits étant déjà prévus dans le projet de loi de finances pour 2014. Ces ressources que je viens de présenter seront perçues de manière certaine par le ministère pour un montant total de 2,38 milliards. Il reste donc à trouver 3,72 milliards pour atteindre les 6,1 milliards d’euros.
Des ressources exceptionnelles supplémentaires seront en majeure partie issues du produit de la mise aux enchères des fréquences comprises 694 mégahertz et 790 mégahertz, que l’on appelle communément « la bande des 700 ». Il s’agit du premier point de vigilance que je voudrais souligner, car si le montant anticipé n’apparaît pas exagéré du fait que les fréquences basses sont très demandées par les opérateurs, le calendrier est plus incertain puisqu’il doit y avoir une négociation européenne à la fin de l’année 2015, connue sous le nom de « deuxième dividende numérique », sur l’harmonisation des fréquences en Europe. Or les opérateurs ne se mobiliseront certainement pas avant cette date pour acheter les fréquences. En raison du système des vases communicants qui prévoit le remplacement progressif des ressources exceptionnelles par des crédits budgétaires, cela peut poser un problème, non quant au montant des ressources, mais quant à leur calendrier de perception.
Pour parer à toute éventualité, deux clauses de sauvegarde ont donc été introduites par rapport à la rédaction initiale de l’article 3 de la LPM : en premier lieu, d’autres ressources exceptionnelles issues de cessions éventuelles de participations au sein d’entreprises publiques pourront être mobilisées en cas de décalage ou d’insuffisance des recettes effectivement perçues ; et puis si ces autres recettes exceptionnelles n’étaient pas au rendez-vous, des crédits interministériels seraient mobilisés.
Je constate, et je m’en réjouis, qu’un amendement gouvernemental précisera que le montant des recettes exceptionnelles pourra être augmenté de 500 millions d’euros en 2014 afin de sécuriser la programmation des opérations d’armement jusqu’à la première actualisation de la programmation en 2015 si la soutenabilité financière de la trajectoire des opérations d’investissements programmée par la présente loi apparaissait compromise.
La nouvelle version du texte paraît donc de nature à garantir que les équilibres financiers sur lesquels repose la LPM ne seront pas remis en cause. C’est pourquoi je suis favorable à l’article 3 modifié par l’amendement du Gouvernement.
Cela étant, je présenterai pour ma part un amendement visant à ce que l’utilisation des recettes exceptionnelles soit détaillée au niveau des actions et des sous-actions des programmes concernés dans le rapport annuel d’exécution transmis par le Gouvernement au Parlement. Nous saurons ainsi de manière précise à quoi ces recettes ont pu servir au ministère de la défense, et nous aurons ainsi l’assurance qu’il ne s’agit pas de « monnaie de singe » comme certains l’ont craint.
Le deuxième point de vigilance concerne les opérations extérieures. L’article 3 bis de la LPM prévoit en effet une diminution de l’enveloppe annuelle, qui passe de 630 millions d’euros à 450 millions à partir de 2014. Cette réduction des crédits consacrés aux OPEX peut, a priori, apparaître problématique, étant donné que l’enveloppe est systématiquement dépassée. Mais, à y regarder de plus près, cette rédaction est favorable au ministère de la défense, car l’article prévoit que les surcoûts nets « non couverts par cette dotation qui viendraient à être constatés sur le périmètre des opérations extérieures font l’objet d’un financement interministériel ». On me dira que c’était déjà une pratique ; ce sera désormais une obligation, puisque la pratique va être transcrite dans la loi.
Le dispositif financier des OPEX repose sur la distinction entre les missions extérieures traditionnellement confiées au ministère de la défense – présence au Liban ou en Côte d’Ivoire par exemple –, dont le coût devra être couvert par la dotation de 450 millions d’euros, et les missions exceptionnelles décidées par le pouvoir politique – intervention en Mali ou en Libye –, dont le surcoût relèvera de la mobilisation de crédits interministériels pour ne pas affecter les crédits propres du ministère de la défense. Alors que le Gouvernement vient d’annoncer le déploiement de 1 000 hommes supplémentaires en RCA, je suis convaincu que cette clause s’appliquera et que cela permettra d’éviter de grever le budget du ministère. Je suis donc favorable à la rédaction actuelle de l’article 3 bis, mais il faudra bien sûr, là aussi, être vigilant pour que cette clause de sauvegarde soit bien appliquée.
La troisième condition nécessaire à une réalisation de la trajectoire financière conforme aux prévisions réside dans la maîtrise de la masse salariale, et c’est l’objet de l’article 4. Sous la précédente loi de programmation, on a constaté, mes collègues l’ont rappelé, que le coût de la masse salariale n’a cessé de progresser malgré les réductions d’effectifs. C’est pourquoi le projet de loi prévoit 23 500 réductions de postes supplémentaires par rapport à la précédente programmation, mais accorde aussi une attention accrue à la problématique du repyramidage afin de contenir l’évolution des effectifs d’officiers. Ainsi, dès 2015, on devrait assister à une réduction des dépenses de titre 2 après des décennies d’augmentation constante : d’un montant annuel moyen de 11 milliards d’euros en 2013 et en 2014, celles-ci devraient approcher les 10,2 milliards en 2019. Vous avez à juste titre souligné, monsieur le ministre, que ces réductions d’effectifs cibleront en priorité les fonctions soutien par rapport aux unités opérationnelles, selon un rapport de deux tiers pour un tiers. Je crois nécessaire de rappeler que l’armée française, avec un effectif de 242 279 personnes en 2019, restera la plus grande armée d’Europe.
Le quatrième et dernier point de vigilance concerne les exportations. On a constaté, sous la précédente LPM, que l’absence d’exportation de certains matériels, je pense notamment aux avions Rafale, avait engendré des mouvements de crédits très importants au détriment d’autres programmes d’équipement en raison des contrats de livraison liant l’État aux industriels concernés. Dans la présente LPM, l’hypothèse est faite que les exportations prendront le relais des commandes d’État. À titre d’exemple, à partir de 2017, l’État n’achèterait plus de Rafale. Ce scénario est plausible compte tenu des informations que vous donnez régulièrement, monsieur le ministre. La France est ainsi engagée avec l’Inde dans des négociations exclusives portant sur la vente de 126 avions Rafale, dont dix-huit seront construits en France ainsi que les kits de livraison des autres appareils, ce qui est de nature à changer la donne s’agissant des contrats liant l’État à Dassault.
C’est pourquoi l’un des objets de la clause de rendez-vous de 2015, inscrite au troisième alinéa de l’article 4 bis de la LPM, est de faire un point d’avancement sur les hypothèses d’exportation, ce qui permettra de renégocier des contrats, le cas échéant.
Je suis favorable à cet article mais je vous présenterai un autre amendement visant à mieux informer le Parlement dans ce domaine de la connaissance des exportations d’armement de la France.
Afin de mieux anticiper les résultats en la matière, je proposerai donc que le rapport sur les exportations soit fourni en même temps que les documents annexés à la loi de règlement, c’est-à-dire au plus tard à la date du 1er juin. Nous veillerons également au bien-fondé des contrats liant l’État aux industriels.
Enfin, je voudrais mentionner un dernier élément qui ne relève pas directement de la LPM mais dont l’enjeu est fondamental : le report de charges cumulé qui atteint près de 3 milliards d’euros, dont 2 milliards pour le seul programme 146 consacré à l’équipement des forces.
Il me semble essentiel que les gels et surgels, qui ont bloqué une partie importante des crédits du ministère de la défense – jusqu’à 20 % des crédits de l’armée de terre par exemple – soient enfin levés pour ne pas aggraver cette problématique.
À cet égard, je vous avoue mon inquiétude lorsque j’ai appris que le ministère allait devoir trouver 500 millions d’euros supplémentaires d’économies sur les crédits mis en réserve, afin de contribuer à l’économie générale de 3 milliards d’euros prévus par la loi de finances rectificative.
Les amendements déposés par le Gouvernement, que j’ai mentionnés, nous rassurent : ils prévoient 500 millions d’euros supplémentaires au titre des recettes exceptionnelles. Il nous faudra bien sûr être vigilants, comme pour l’ensemble des recettes exceptionnelles, et nous assurer que la mobilisation et l’inscription de ces crédits seront exécutées en temps et en heure.
Ce dernier point mis à part, je voudrais souligner que cette loi repose sur un mécanisme simple : si le ministère de la défense parvient à mener à bien les réformes qu’il doit conduire, alors il disposera de crédits suffisants ; inversement, si des dérapages sont constatés, il se trouvera en situation d’autoassurance.
Par contre, s’il doit faire face à des aléas qui ne dépendent pas de sa volonté, comme les interventions extérieures ou la non-perception des ressources exceptionnelles au moment voulu, des clauses de sauvegarde prévoient la mise en oeuvre d’un financement interministériel, afin que le budget propre de la défense ne soit pas excessivement mis à contribution.
Ce mécanisme d’équilibre ainsi que le caractère réaliste des prévisions inscrites dans le texte me permettent donc de donner un avis favorable sur ce projet de loi de programmation, tout en recommandant une vigilance particulière sur les quatre points que j’ai mentionnés.
Les efforts consentis pour le budget de la défense sont donc importants alors même que le contexte budgétaire est contraint et que nous pouvons observer des coupes chez tous nos voisins, y compris outre-Atlantique.
Je considère donc que cette LPM, si elle est respectée – et nous ferons tout avec vous, monsieur le ministre, pour qu’elle le soit – permettra de préserver notre capacité globale d’action et de conserver le consensus politique observé depuis des années pour le maintien d’un outil de défense moderne et puissant, loin de l’idée insidieuse de déclassement que certains voudraient voir prospérer.