Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je m’exprime ici au nom de la commission des lois, saisie pour avis des articles 4 ter à 22 du projet de loi de programmation militaire.
Je souligne donc que mon propos vise à rendre compte des travaux, consensuels, de la commission des lois sur ces articles, puisque les amendements ont été adoptés à l’unanimité de la commission ; il en a été de même pour l’avis positif sur ces vingt-quatre articles, lui aussi unanime. Mais je précise qu’à titre personnel j’approuve les positions de mon groupe sur les articles 1er à 4, à propos desquels je nourris de vives inquiétudes.
Les vingt-quatre articles dont la commission des lois s’est saisie pour avis correspondent à l’ensemble des dispositions relatives au renseignement, au contrôle parlementaire et au cadre juridique dans lequel nos services agissent, auxquelles s’ajoute l’article 22 portant sur la protection fonctionnelle des ayants droit des militaires décédés en opérations et de certains personnels civils.
Depuis la création, en 2007, de la délégation parlementaire au renseignement, les pouvoirs publics ont mené une réflexion sur le rôle et les moyens de nos services de renseignement.
Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008 avait érigé la problématique « connaissance et anticipation » en fonction stratégique, ce qui traduisait la reconnaissance de l’importance du renseignement pour notre sécurité nationale. Ce même Livre blanc constatait : « Les activités de renseignement ne disposent pas aujourd’hui d’un cadre juridique clair et suffisant. Cette lacune doit être comblée. »
Je suis convaincu que le législateur, avec ce projet de loi de programmation militaire, a une chance historique de consolider la légitimité de nos services de renseignement, notamment en renforçant le contrôle parlementaire, ainsi que les moyens juridiques dont ils disposent.
La commission des lois a largement pris sa part de la réflexion sur le cadre juridique de nos services de renseignement. Dans le cadre de l’examen de la présente loi de programmation, elle a entendu le coordonnateur national du renseignement et le directeur central du renseignement intérieur. J’ai également entendu les responsables de tous les services de la communauté du renseignement ainsi que le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale.
Par ailleurs, la commission des lois a créé, dès le début de la législature, une mission d’information sur l’évaluation du cadre juridique applicable aux services de renseignement, dont les travaux ont duré neuf mois, sous l’égide du président Jean-Jacques Urvoas.
En tant que vice-président et co-rapporteur de cette mission d’information, je me réjouis que plusieurs des préconisations avancées dans le rapport d’information trouvent une traduction législative dans le présent projet de loi.
Il en est ainsi du renforcement des prérogatives de la délégation parlementaire au renseignement, du rapprochement de cette dernière avec la commission de vérification des fonds spéciaux et des différents outils juridiques qu’il entend mettre à la disposition des agents des services de renseignement, tant pour faciliter leurs missions – avec, par exemple, un accès élargi aux fichiers – que pour les protéger juridiquement, notamment par le renforcement de la préservation de leur anonymat dans le cadre des procédures judiciaires.
Les amendements adoptés par la commission des lois, lors de sa réunion du 6 novembre dernier, ont pour finalité de consolider et d’adapter le contrôle parlementaire et de renforcer le rôle du Premier ministre comme interlocuteur naturel de la délégation parlementaire au renseignement.
Ils ont été, pour la plupart, adoptés par la commission de la défense, où j’ai eu l’honneur de les défendre, et figurent donc dans le texte dont nous discutons ce soir.
J’en viens précisément aux vingt-quatre articles que la commission des lois a examinés.
Les articles 4 ter à 4 sexies contiennent des dispositions relatives au contrôle parlementaire de l’exécution de la loi de programmation. Ils ont été introduits dans le texte à l’initiative de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.
Dans mon rapport écrit, je me suis interrogé sur l’article 4 ter, qui confie aux membres des commissions parlementaires compétentes des pouvoirs de contrôle sur pièces et sur place dans l’application des lois de finances mettant en oeuvre la programmation militaire.
Si je comprends parfaitement les intentions des deux commissions de la défense, il m’a semblé que ce dispositif mentionnant les rapporteurs budgétaires créait une ambiguïté quant à la nature du contrôle ainsi créé.
S’agit-il de doter les commissions de la défense de pouvoirs en matière d’application de la loi de programmation, ce qui est tout à fait légitime, ou bien de pouvoirs en matière d’exécution des lois de finances, et plus précisément des crédits de la mission « Défense » ?
Dans sa décision du 25 juin 2009 portant sur une résolution tendant à modifier le règlement de l’Assemblée nationale, le Conseil constitutionnel a précisé que l’article 57 de la LOLF avait entendu exclure du champ de compétence d’autres organes que la commission des finances, en ce qui concerne « le suivi et le contrôle de l’exécution des lois de finances » ainsi que « l’évaluation de toute question relative aux finances publiques ».
J’appelle donc l’attention de nos collègues de la commission de la défense sur ce point. Il convient que la rédaction retenue soit la plus adaptée possible.
À l’article 4 quinquies, le Sénat propose que les communications que la Cour des comptes remet aux ministres soient transmises non seulement à la commission des finances, mais également, dans son champ de compétences, à la commission de la défense.
Comme il n’existe aucune raison de réserver un sort particulier à cette commission, la commission des lois a proposé d’étendre le dispositif pour que les communications de la Cour des comptes soient transmises à toutes les commissions permanentes, dans leurs champs de compétences respectifs.
La commission de la défense ayant adopté cet amendement, ce dispositif figure à l’alinéa 2 de l’article 4 quinquies.
L’article 5 vise à renforcer les prérogatives de la délégation parlementaire au renseignement. Celle-ci se verrait reconnaître la mission générale de « contrôle parlementaire de l’action du Gouvernement en matière de renseignement » et d’évaluation de la politique publique en ce domaine.
La commission des lois a adopté plusieurs amendements ayant pour objectif de créer une cohérence et, donc, de lever toute ambiguïté quant à la présentation des missions de la délégation parlementaire au renseignement et à la nature des informations dont elle dispose.
Par un amendement qu’a également adopté la commission de la défense, elle a réécrit intégralement le I de l’article 6 nonies de l’ordonnance du 17 décembre 1958. Il s’agit, dans le texte dont nous discutons aujourd’hui, des alinéas 3 à 10 de l’article 5.
Il vous est ainsi proposé que la délégation se voie communiquer « des éléments d’information » issus du plan national d’orientation du renseignement plutôt que le plan lui-même, afin d’éviter qu’un autre document ne soit élaboré dans le seul but que certaines informations ne soient pas communiquées aux parlementaires.
Par ailleurs, il vous est proposé que la délégation puisse solliciter la communication de tout ou partie des rapports de l’inspection des services de renseignement, ainsi que des rapports des services d’inspection générale des ministères portant sur les services de renseignement qui relèvent de leur compétence.
Cette rédaction me paraît plus opportune que celle retenue par le Sénat, qui prévoit la transmission systématique des rapports d’inspection. En effet, une telle transmission pourrait être interprétée comme constituant une injonction au Gouvernement, ce que la Constitution ne permet pas.
En outre, il ne semble pas opportun que la délégation se voie communiquer des rapports portant sur le détail de l’organisation des services, même si le contenu de certains de ces rapports peut lui être précieux.
Dans l’amendement de la commission des lois, nous avions prévu que ces documents seraient transmis par le Premier ministre. Par un sous-amendement auquel je me suis finalement rallié, la commission de la défense a supprimé cette mention, afin de permettre au coordonnateur national du renseignement d’assurer cette transmission. Au passage, je rappelle que, dans notre rapport d’information, nous préconisons que ce dernier soit un collaborateur, non seulement du Président de la République, mais aussi du Premier ministre.
S’agissant de la composition de la délégation, la commission des lois avait souhaité que les présidents des commissions chargées de la sécurité intérieure – c’est-à-dire les commissions des lois – et de la défense ne soient plus membres de droit. Ils auraient pu naturellement être désignés par le président de l’assemblée concernée, si ce dernier le souhaitait. L’objectif poursuivi était d’ouvrir la délégation aux parlementaires intéressés par cette thématique.
La commission de la défense n’a pas retenu cet amendement, ce que je regrette. C’est d’ailleurs l’un des deux seuls points de divergence réelle entre nos deux commissions sur ces vingt-quatre articles.
Bien que je puisse comprendre la position de la commission de la défense, je pense que celle de la commission des lois est également défendable. C’est pourquoi, j’ai déposé, avec Jean-Jacques Urvoas, l’amendement no 133 tendant à réintroduire dans le II de l’article 6 nonies de l’ordonnance la composition de la délégation.
Je suis un peu surpris que Mmes les rapporteures de la commission de la défense aient déposé un amendement semblable portant sur le I de ce même article, alors que toute la logique de la réflexion conduite par la commission des lois est bien de regrouper les dispositions de cette nature dans le II.
Par ailleurs, nous avons également redéposé un amendement reprenant une autre partie de celui qui a été rejeté par la commission de la défense. Cet amendement no 134 , que je défendrai avec Jean-Jacques Urvoas, prévoit que les membres de la délégation parlementaire désignent chaque année leur président.
Actuellement, le président est alternativement le président de la commission de la défense ou le président de la commission des lois de chacune des deux assemblées.
Si les présidents de ces commissions devaient, comme le prévoit le texte adopté par la commission de la défense, demeurer membres de droit de la délégation parlementaire au renseignement, il importe alors de prévoir qu’ils n’occuperont pas nécessairement la présidence de la délégation. Il s’agit, notamment, de tenir compte de la charge que représentent leurs fonctions.
Bien évidemment, un président de commission, membre de droit de la délégation, pourra être désigné président s’il le souhaite et si les membres de la délégation l’approuvent.
S’agissant des prérogatives de la délégation parlementaire, le Sénat avait prévu qu’elle puisse entendre les agents des services de renseignement. Ce point a d’ailleurs suscité un long débat au Sénat.
La commission des lois a proposé, d’ailleurs à l’instar d’un sous-amendement du Gouvernement rejeté par le Sénat, que les directeurs puissent se faire accompagner, pour ces auditions, de collaborateurs de leur choix, mais en précisant que ce choix est guidé par l’ordre du jour de la délégation.
Cette rédaction, retenue par la commission de la défense à l’alinéa 12, permettra à la délégation de disposer de l’information la plus complète possible, le responsable du service demeurant son interlocuteur naturel. Avec la rédaction ainsi proposée, la responsabilité du chef de service est consacrée ainsi que le pouvoir d’évocation de la délégation, par le biais de la communication de son ordre du jour.
La commission des lois proposait enfin que les observations et recommandations de la délégation adressées au Président de la République et au Premier ministre soient également « adressées » au président de chaque assemblée. En effet, le texte en vigueur, sur lequel la commission de la défense ne souhaite pas revenir, ne prévoit qu’une simple « transmission » à leur égard. Il me semble pourtant paradoxal que la vocation d’un organe parlementaire soit d’informer, par priorité, l’exécutif.
À l’article 6, il est prévu de faire de la commission de vérification des fonds spéciaux une formation spécialisée de la délégation parlementaire au renseignement. Ses quatre membres seront donc, par ailleurs, membres de la délégation. La commission des lois a proposé de préciser que le choix des membres de la commission de vérification doit respecter le pluralisme. Cette formule nous a paru plus adaptée que celle retenue par le Sénat qui reposait sur une parité entre majorité et opposition ; en effet, si la notion d’opposition est définie juridiquement, tel n’est pas le cas de la majorité qui peut, au cours d’une législature, être assez fluctuante. La commission de la défense a retenu la rédaction proposée par la commission des lois, qui figure à l’alinéa 3 de l’article 6. Par ailleurs, pour souligner que la commission de vérification conservera ses spécificités et son identité, la commission des lois a tenu à préciser que le poste de président de cette commission sera maintenu et que son titulaire sera choisi chaque année.
La commission des lois a également précisé que le rapport de la commission de vérification sera remis au Premier ministre, et non pas à chacun des ministres concernés. Dans la même logique, ce dispositif conforte la place du Premier ministre comme interlocuteur naturel des instances parlementaires en charge du renseignement. Il prévoit également, comme c’est le cas aujourd’hui, l’information des présidents et rapporteurs généraux des commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances. Dans la rédaction de la commission des lois, le Président de la République et le Premier ministre sont mentionnés ensuite, car il pouvait, de nouveau, paraître paradoxal que la vocation d’un organe parlementaire soit d’informer en priorité l’exécutif.
L’ensemble de ces modifications a été adopté et figure dans le texte qui nous est soumis.
L’article 7 permet l’audition d’agents des services de renseignement en dehors des tribunaux et des locaux des services enquêteurs afin de préserver leur anonymat.
Les articles 8 et 9 étendent les possibilités, pour les agents de renseignement, de consulter des fichiers administratifs.
Avec l’article 10, il est proposé de créer un PNR – passenger name record – français, dans l’attente de la publication d’une directive européenne. Ce fichier serait placé sous la responsabilité des ministres chargés de l’intérieur, de la défense, des transports et des douanes. Il serait mis en oeuvre, comme le prévoirait la directive, par une unité d’information composée de membres des services de la douane, de la police et de la gendarmerie. La commission des lois vous propose, par un amendement que la commission de la défense a intégré au texte en discussion, de garantir que les données sensibles soient exclues des données transmises. Il s’agit des données à caractère personnel susceptibles de révéler l’origine ethnique d’une personne, ses convictions religieuses ou philosophiques, ses opinions politiques, son appartenance à un syndicat ou les données qui concernent la santé ou la vie sexuelle de l’intéressé.
Les articles 11 et 12 permettent l’accès des services du ministère de la défense aux fichiers de police judiciaire dans le cadre des enquêtes administratives ou d’interventions.
L’article 13 est un article extrêmement important. Il clarifie le cadre juridique relatif à la géolocalisation en temps réel. La commission des lois du Sénat a, en effet, estimé que la géolocalisation en temps réel d’une personne semblait plus proche, en termes d’atteinte aux libertés, de l’interception d’une communication que du simple recueil de données de connexion. Elle a également observé que le fait que la géolocalisation soit insérée dans l’article L. 34-1-1 du code des postes et des communications électroniques la cantonnait à un usage antiterroriste, alors même que les services de renseignement pourraient en avoir besoin pour les finalités beaucoup plus larges prévues par le dispositif issu de la loi du 10 juillet 1991. Elle a donc opéré la fusion des dispositifs de recueil des données de connexion, sur le modèle applicable aux interceptions de sécurité.
Avec le président Urvoas, j’ai proposé à la commission des lois d’aller jusqu’au bout de cette logique. En effet, le texte issu des travaux du Sénat prévoit que la géolocalisation soit une mesure d’une durée de dix jours renouvelable. La commission des lois a adopté un amendement qui aligne cette durée sur celle des interceptions de sécurité, soit quatre mois. Cet amendement n’a malheureusement pas été retenu par la commission de la défense – c’est là notre deuxième et dernière divergence réelle –, qui a préféré retenir une durée de trente jours.
J’ai bien compris la volonté de la commission de la défense, mais j’observe que, dans un arrêt « Uzun contre Allemagne » de 2010, la Cour européenne des droits de l’homme estime, dans son considérant 52, que la géolocalisation se distingue des autres moyens « visuels ou acoustiques » de surveillance qui sont, eux, « davantage susceptibles de porter atteinte au droit d’une personne au respect de sa vie privée ». Autrement dit, du point de vue de la Cour européenne, la géolocalisation est moins intrusive dans la vie privée que l’enregistrement sonore d’une conversation ! C’est ce constat qui avait conduit la commission des lois à aligner la durée applicable à la géolocalisation sur celle applicable aux interceptions de sécurité.
Les articles 14, 15, 16, 16 bis et 16 ter comportent des dispositions relatives à la protection des infrastructures vitales contre la cybermenace. Ils n’appellent pas de remarques particulières de la part de la commission des lois.
Les articles 17 à 21 comportent des dispositions relatives au traitement pénal des affaires militaires. L’article 17, soulignons-le, instaure une présomption simple, selon laquelle la mort violente d’un militaire au cours d’une action de combat lors d’une opération militaire est présumée ne pas avoir une cause inconnue ou suspecte. L’officier de police judiciaire des forces armées ne pourra donc ouvrir d’enquête sur les recherches de cause de la mort que s’il apporte des éléments selon lesquels les circonstances de la mort sont inconnues ou suspectes.
Enfin, l’article 22 propose une extension de la protection fonctionnelle aux ayants droit des militaires décédés en opérations et à certains personnels civils.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des lois a décidé, à l’unanimité de donner un avis favorable à l’adoption des articles 4 ter à 22 du projet de loi de programmation militaire. Je forme donc le voeu que ces articles soient adoptés consensuellement, et cela même si les autres articles du texte posent question quant à la future capacité militaire de notre pays dans un monde de plus en plus dangereux et incertain.