Intervention de Élisabeth Guigou

Séance en hémicycle du 26 novembre 2013 à 15h00
Loi de programmation militaire 2014-2019 — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉlisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi de programmation militaire que nous examinons aujourd’hui était attendu, dans la foulée du nouveau livre blanc qui dote notre pays d’une vision à long terme adaptée aux évolutions récentes du contexte stratégique et économique, ainsi qu’à des objectifs de défense et de sécurité nationale renouvelés. On ne peut que se réjouir que la France entende maintenir dans le temps, en dépit des contraintes budgétaires, l’effort qu’elle consacre à sa défense. Notre pays conservera un modèle d’armée efficient, qui permet de protéger la France et les Français. Ainsi, nous maintiendrons une force de dissuasion crédible et nous demeurerons capables d’intervenir sur un théâtre extérieur, comme nous l’avons remarquablement fait au Mali.

Comme l’a rappelé Gwenegan Bui, notre pays n’entend abandonner aucune des compétences qu’il détient aujourd’hui. D’ailleurs, monsieur le ministre, vous avez déclaré récemment, lors du débat qui s’est tenu en commission élargie sur les crédits de la défense, que « nous aurons, en 2019, la première armée européenne ». Cet effort doit être salué. Il démarque la France de nombre de ses alliés qui, eux, ont choisi de perdre certaines de leurs capacités. Je pense au Royaume-Uni, dont la Strategic Defence and Security Review de 2010, l’équivalent du Livre blanc, a entériné une diminution de 7,7 % du budget militaire. Celle-ci a été obtenue au prix de réductions drastiques d’effectifs et de coupes capacitaires importantes, qui contribuent à éloigner le Royaume-Uni du modèle expéditionnaire pur pour favoriser une approche centrée sur la prévention, la stabilisation et le développement.

Cette évocation de notre partenaire britannique me conduit tout naturellement à évoquer un sujet qui m’est cher, et qui fera l’objet d’un rapport d’information que je présenterai demain devant mes collègues de la commission des affaires étrangères : l’Europe de la défense. Je tiens en effet à saluer l’engagement européen du Gouvernement, en particulier du ministre de la défense Jean-Yves Le Drian, qui se traduit par des initiatives concrètes nouvelles et indispensables. Prenons, par exemple, le cas du ravitaillement en vol. Au moment même où a enfin été prise la décision de lancer le programme MRTT – multi-role transport tanker –, avion multirôles de ravitaillement en vol et de transport. Au début du mois d’octobre, la France a proposé quatre volets de coopération dans ce domaine, dont, notamment, l’emploi mutualisé des aéronefs, sur le modèle de l’EATC, le commandement européen du transport aérien. La base d’Istres pourrait être mise à la disposition de cette plateforme multinationale.

Jusqu’à maintenant, la France avait transféré le contrôle opérationnel d’une grande partie de sa flotte d’avions de transport, mais elle avait conservé le contrôle de sa flotte d’avions ravitailleurs en raison d’une mission bien connue, spécifiquement nationale, liée à la dissuasion. En proposant une mutualisation pour ce type d’appareils, la France a fait preuve, à votre initiative, monsieur le ministre, d’une réelle volonté de faire progresser l’Europe de la défense, et je vous en remercie.

On pense aussi, outre le ravitaillement, aux drones. Le Gouvernement a décidé l’achat de drones américains pour combler en urgence une lacune capacitaire que ses prédécesseurs avaient laissé s’aggraver. Parallèlement, le Gouvernement a décidé de capitaliser sur cette décision au niveau européen, en lançant, le 19 novembre dernier, avec six autres États, une initiative en faveur de drones MALE – ce qui signifie : moyenne altitude, longue endurance.

L’objectif de ce club sera d’échanger des informations ainsi que d’identifier et de faciliter la coopération entre les États membres qui utilisent actuellement ce type de drones ou envisagent de le faire, notamment dans les domaines de l’entraînement, de la maintenance, de la certification et de la logistique. Cette initiative pose également les bases du développement d’un drone MALE européen de nouvelle génération à l’horizon 2020, sous l’égide de l’Agence européenne de la défense. C’est, je crois, une avancée qui mérite d’être soulignée.

Il est vrai que notre pays a une responsabilité particulière s’agissant de l’avenir de l’Europe de la défense ; elle doit l’assumer en étant une force de proposition, mais aussi en étant à l’écoute de ses partenaires. Les initiatives qui ont été prises jusqu’à ce jour vont dans ce sens et doivent être saluées.

En tout état de cause, cet effort en faveur de l’Europe de défense doit être poursuivi et nous savons tous que le Conseil européen des 19 et 20 décembre prochains, vous l’avez dit tout à l’heure, monsieur le ministre, constituera un moment de vérité. Nous savons que ce Conseil traitera des trois volets que vous avez mentionnés : la visibilité et l’impact de la politique de sécurité et de défense commune, le développement des capacités et le renforcement de l’industrie de défense européenne, volet évidemment extrêmement important. Pour chacun de ces domaines, la France, seule ou avec ses partenaires, notamment l’Allemagne, a fait des propositions appréciées. Il faut maintenant émettre le voeu que ce Conseil élève le niveau d’ambition et de volonté politique pour que l’Union européenne avance dans ce domaine. Sans projets, l’Europe de la défense n’aura pas le souffle nécessaire pour progresser et les déclarations, toutes ambitieuses qu’elles soient, ne seront pas suivies d’effets. Nous retomberons alors dans des logiques nationales mortifères pour l’Union dans son ensemble.

Pour ma part, il me semble que le Conseil européen de décembre ne sera un succès que s’il prend des décisions concrètes sur les priorités que nous avons évoquées et s’il propose en outre une vision politique à moyen et à long terme, avec une feuille de route suffisamment ambitieuse pour les années à venir. Ce Conseil européen devrait, me semble-t-il, marquer un nouveau départ, après l’élan qui avait été insufflé à la fin des années 1990 et qui, malheureusement, était retombé, pour toutes sortes de raisons, dans le courant des années 200. L’important, je crois, sera de ne pas laisser retomber la dynamique après le mois de décembre.

Il me semble qu’un élément, notamment, devrait constituer un pan important de cette feuille de route que j’appelle de mes voeux : l’élaboration d’une nouvelle stratégie européenne de sécurité. Autant je comprends qu’il ne faille pas mettre ce sujet à l’ordre du jour du Conseil européen, autant je crois nécessaire et indispensable, vraiment, de se fixer cet objectif pour les années qui viennent. Élaborée en 2003 sous l’autorité de Javier Solana et actualisée en 2008, l’actuelle stratégie européenne de sécurité est, à ce jour, le seul texte de référence sur le rôle de l’Union européenne dans le monde et sur une conception commune des menaces, mais le monde a changé, profondément, depuis une dizaine d’années. Identifier les menaces qui concernent l’Europe et les intérêts que l’Union européenne entend défendre, par elle-même ou en coordination avec l’Alliance atlantique, et définir des intérêts communs de sécurité et des priorités stratégiques serait un exercice utile.

L’opération Serval illustre parfaitement cette problématique. Pour de nombreux États européens, il n’allait pas de soi d’intervenir dans la zone sahélienne, alors même que la menace terroriste concernait toute l’Europe et pas seulement la France ; c’est mieux compris maintenant, mais je crois que nous aurions intérêt à essayer d’amener nos partenaires à anticiper avec nous ce type de menaces. Il est évident, dès lors, que l’Europe ne pourra se faire tant que les nations qui la composent n’auront pas une vision partagée des menaces et qu’elles partiront du principe que chacune doit se dédier à telle ou telle zone géographique ou que chacune peut conduire une politique radicalement distincte. Je crois donc que la définition d’une stratégie européenne est un impératif.

Bien sûr, dans le cadre actuel, il est peu réaliste d’espérer aboutir à un consensus à vingt-huit sur ces questions, mais cela devrait rester une ambition à terme. D’ici à 2015, il devrait être possible, avec la nouvelle Commission européenne, qui sera mise en place l’année prochaine, de définir une stratégie européenne, et il serait utile que le Conseil européen demande une nouvelle stratégie de sécurité adaptée au monde de 2014-2015, comprenant, entre autres, une analyse du contexte stratégique et des intérêts européens, mais aussi une réflexion sur les priorités stratégiques.

C’est cela que je voulais mettre en avant, même si d’autres éléments de cette feuille de route mériteraient d’être explicités. Je terminerai mon intervention en disant que rien ne se fera si la France n’est pas à l’initiative avec une ambition politique de haut niveau, tout en étant, bien sûr, à l’écoute de nos partenaires.

Monsieur le ministre, vous avez donné l’exemple : les initiatives que j’ai évoquées le montrent, mais aussi le fait que vous ayez souhaité inscrire la réflexion européenne dans le cadre du « Triangle de Weimar ». Je crois que c’est extrêmement important. Nous avons des partenaires dans toutes les aires géographiques de l’Union européenne. Ils ont la volonté d’avancer, bien qu’ils n’aient pas les mêmes ambitions ni les mêmes intérêts que nous. Nous devons encourager tous ceux qui veulent avancer dans ce domaine, aussi bien les Britanniques que les Allemands ou les Polonais.

Je vous remercie encore une fois, monsieur le ministre, d’être très allant sur cet important sujet.

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