Intervention de Yves Fromion

Séance en hémicycle du 26 novembre 2013 à 21h30
Loi de programmation militaire 2014-2019 — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYves Fromion :

Ni la différenciation, ni la mutualisation ne peuvent pallier l’écart grandissant, au point d’être parfois béant, entre nos ambitions et les moyens dont nous nous dotons pour y répondre.

Cela me conduit incidemment à évoquer notre dissuasion nucléaire, d’abord pour me féliciter qu’après bien des errements, la gauche ait fait sienne cette initiative, héritée du général de Gaulle, qu’elle a tant critiquée. Ce comportement nous renvoie d’ailleurs à votre position virevoltante sur l’OTAN. La gauche a souvent été en retard d’une guerre.

Je reviens à la dissuasion nucléaire pour souligner l’impasse vers laquelle vous vous dirigez.

Dans votre LPM, la part des crédits dédiés à la dissuasion atteint pratiquement 50 % de celle destinée à l’équipement conventionnel ; 23,3 milliards d’euros, d’une part, 49,2 milliards d’euros, d’autre part. Les abattements que vous avez décidés sur l’équipement conventionnel introduisent un risque de découplage entre dissuasion, protection et projection. Beaucoup de spécialistes des questions de défense pointent cette dérive et en soulignent les dangers.

Nous aurions souhaité qu’une telle question ne soit pas occultée et que vous fassiez part à notre commission de votre analyse et des orientations qui sont données pour l’avenir aux acteurs de notre dissuasion nucléaire, notamment dans l’emploi des crédits de recherche.

Venons-en maintenant à la question de la soutenabilité des contrats opérationnels.

Aux interrogations surgies des auditions en commission, nous n’avons guère eu de réponses. La LPM est pourtant révélatrice de l’inquiétude que j’exprime puisqu’elle expose que le nouveau modèle d’armée – je cite – « implique cependant une prolongation, et donc, un vieillissement accru de certains équipements, ainsi que des limitations temporaires de capacités qui pourront être partiellement atténuées par des mutualisations ou un soutien européens ». Et l’on nous cite le renseignement, les communications satellitaires, les drones, le transport stratégique, le ravitaillement en vol, etc.

En commission, j’ai demandé au délégué général pour l’armement que nous soit fourni un état des obsolescences prévisibles de nos matériels sur la durée de la LPM. Je n’ai obtenu aucune réponse. Comment le Parlement peut-il juger et intervenir dans les choix capacitaires qui sont proposés sans disposer de l’information nécessaire ?

En fait, nous votons une enveloppe de 102 milliards de crédits, dont on nous affirme qu’elle sera respectée, sans connaître avec une précision suffisante ce que sera son utilisation, sans même connaître le coût des équipements commandés. À cet égard, les dispositions introduites par le Sénat sont intéressantes, mais elles devront être complétées.

Il apparaît également indispensable de mieux connaître les caractéristiques précises des équipements dont la commande figure en LPM. Il en va ainsi du programme CERES dont le coût estimé à l’origine est la vraie cause du retard de son lancement. Votre choix s’est-il porté sur le projet initial ou sur une version low cost aux capacités moindres, comme cela avait été envisagé pour surmonter le handicap budgétaire ? Il en va ainsi également des drones Reaper commandés aux Américains : on ignore à peu près tout de leurs caractéristiques – en tout cas celles qui seront mises à notre disposition – et des modalités de leur utilisation. Vous conviendrez que cette situation n’est guère satisfaisante.

Une autre anomalie grave tient aux nombreuses incertitudes qui entourent les livraisons des équipements commandés. Les tableaux figurant dans la LPM sont affectés d’un flou qui pousse à douter de la fiabilité du calendrier d’équipement des armées. S’agissant des matériels anciens et de leur maintien en état de fonctionnement normal, vous nous avez indiqué, monsieur le ministre, qu’un effort particulier serait fait dans la LPM en faveur du maintien en condition opérationnelle. On ne peut que s’en féliciter.

Mais on sait également que le matériel retour d’Irak, comme du Mali, est en très mauvais état, ce qui nécessitera de gros efforts de remise en condition. Les crédits du MCO, que vous avez réorganisés, s’avéreront-ils dès lors suffisants pour parer à la fois aux dépenses consécutives aux OPEX et au service courant, faute de quoi l’état de disponibilité de nos équipements ne s’améliorera en rien ?

La professionnalisation de nos armées, décision dont plus personne ne songe à contester la pertinence, a radicalement modifié le rapport du soldat avec son équipement. Le soldat professionnel a une obligation de résultat, comme tout professionnel, dans quelque métier que ce soit, mais en contrepartie, ceux qui l’emploient ont une obligation de moyens.

Pour contraindre son adversaire, le soldat professionnel doit disposer des équipements adéquats, faute de quoi il est fondé à considérer que le désintérêt dont il fait l’objet l’exonère d’avoir à s’engager jusqu’à l’extrême limite de son obligation de servir.

Une nation qui ne donne pas à ses soldats professionnels les moyens les plus adaptés, les plus indispensables pour surclasser l’adversaire, prend le risque de voir se briser le ressort de la motivation et se développer le sentiment d’un déclassement qui entamera nécessairement les forces morales des unités combattantes.

Je n’insisterai pas sur les inquiétudes légitimes qui découlent de la forte réduction de nos moyens humains, qui rend très problématique l’engagement dans la durée de nos forces armées.

Comme on le voit, l’information, qui est pourtant due au Parlement, est lacunaire et parcellaire, pour tout dire, cruellement insuffisante. Cela nourrit nos inquiétudes, que nous partageons évidemment avec nos soldats, dont la plupart n’ont, pas plus que nous, de visibilité sur les perspectives qui les attendent.

Dans un tel contexte, se pose évidemment la question de la soutenabilité des contrats opérationnels issus du Livre blanc. Sur un tel sujet, évidemment majeur, nous n’avons entendu que la voix du ministre, la plus autorisée, certes, puisqu’elle engage sa responsabilité devant la nation, et celles des chefs d’état-major relayant, bon gré mal gré, la parole officielle. Notre commission en est restée là. Or des voix nombreuses, autorisées, se sont élevées pour tirer le signal d’alarme, voire sonner le tocsin, face à une évolution de notre défense perçue comme très inquiétante.

Nous aurions pu, nous aurions dû, madame la présidente, ne pas négliger ces lanceurs d’alerte. Parmi eux, certains sont des experts reconnus. Il aurait donc été fort utile d’écouter ces voix indépendantes exprimer leur analyse sur l’état de nos forces et leur évolution sur le court et le moyen terme. Au lieu de quoi, notre commission a dû se satisfaire du prêt-à-penser politiquement correct, qui ne nous exonérera pas, d’ailleurs, de nos responsabilités de législateurs. Voilà donc un argument supplémentaire qui milite pour un retour du projet de loi de programmation militaire devant notre commission.

Je vais enfin en venir aux ressources humaines, c’est-à-dire aux hommes et aux femmes qui, sous votre autorité, monsieur le ministre, servent notre pays dans des conditions parfois extrêmement difficiles, sans bénéficier autant qu’il le faudrait de la considération qu’ils méritent.

C’est une litote de dire qu’ils sont d’une qualité exceptionnelle pour avoir été capables, dans le même temps – et, je vous le concède, depuis des années – de mener des réformes incessantes, difficiles, traumatisantes, et de remplir, dans une exécution digne de tous les éloges, des missions de guerre hautement complexes. C’est la raison pour laquelle la nouvelle déflation des effectifs est particulièrement mal venue, d’autant plus d’ailleurs qu’elle rendra beaucoup plus difficile, éprouvant, pénible, le métier des hommes et des femmes de la défense.

Il est d’ailleurs singulier et illustratif de constater que, dans le même temps où le Gouvernement n’hésite pas à solliciter rudement la communauté militaire en lui imposant des sacrifices répétés et en l’impliquant dans des opérations à hauts risques dans la défense des intérêts de notre pays, il recule devant la contestation du monde enseignant sur les rythmes scolaires. Chacun jugera de l’intérêt qui s’attache, dans ces conditions, à échanger 24 000 personnels de la défense contre 60 000 enseignants.

La déflation des effectifs est évidemment évoquée dans la LPM. Des dispositions d’accompagnement ou d’incitation au départ déjà en vigueur sont prorogées, d’autres sont mises en place. La manoeuvre des ressources humaines, pour reprendre l’expression consacrée, est confiée au secrétaire général pour l’administration, et plus précisément au directeur des ressources humaines du ministère de la défense, placé sous son autorité. En effet, il est fait grief aux états-majors d’avoir été incapables de maîtriser la déflation prévue par la LPM 2009-2014.

Diverses insinuations venues du sein même de notre commission, sans véritables arguments convaincants, ont mis en cause le corps des officiers, et particulièrement des officiers généraux, accusés de s’être multipliés sans raison et d’avoir mis en péril le budget de la défense. Relisez les comptes rendus ! Il aurait été souhaitable qu’une information précise soit apportée à notre commission pour lui permettre une juste appréciation de ce dossier et éviter les procès d’intention et les élans démagogiques toujours mal venus et mal vécus par ceux qui en sont les victimes.

Personne ne doute, monsieur le ministre, de l’attention que vous portez à la qualité des relations humaines au sein de votre ministère et l’on ne peut que vous en donner acte. Cette attention est évidemment légitime tant il est demandé d’efforts individuels et collectifs à la communauté de défense.

Pour autant, nous ne pouvons pas nous satisfaire du refus que vous avez opposé aux demandes qui vous ont été présentées à de multiples reprises par notre groupe parlementaire en commission, pour que soit connu le détail des suppressions d’unités militaires consécutives à la déflation que vous avez programmée. Votre attitude est totalement contradictoire avec vos engagements figurant dans la LPM, que je vous rappelle : « Les réductions d’effectifs obéiront à un triple principe de prévisibilité, d’équité et de transparence ».

Là encore, nous courons après un mirage. Où est la prévisibilité puisque vous refusez toute information aux militaires, aux personnels civils et aux élus locaux ? Il est vrai qu’il y a des élections municipales et que les fermetures de casernes, ça n’est pas très électoral. La ficelle est grosse et c’est sans doute pour cela que vous avez choisi de supprimer un régiment à Villingen, en Allemagne. Je vois que vous me comprenez, monsieur le ministre…

Prévisibilité et transparence, c’est comme une pub pour les paris hippiques. Malheureusement, comme pour les courses de chevaux, on est loin des promesses, et votre attitude contribue encore un peu plus à renforcer la conviction que votre loi de programmation militaire est un exercice de prestidigitation !

Pour clore ce propos sur la gestion des ressources humaines, il m’apparaît opportun de mettre l’accent sur la proposition, qui vous a été faite lors de l’examen de la LPM en commission, de communiquer au Parlement une synthèse du rapport sur le moral, établi annuellement à votre intention par la hiérarchie de nos forces armées.

Vous avez cru devoir rejeter cette proposition au motif que ce rapport est un acte administratif interne au ministère de la défense. Formellement, on peut entendre votre argumentation. Mais sur le fond, monsieur le ministre, pensez-vous que votre réponse soit opportune ?

Les personnels civils et militaires vivent, depuis la professionnalisation de nos forces, dans une ambiance de réformes permanentes. Les contraintes budgétaires, les déflations d’effectifs, les changements de garnisons, le taux élevé de participation aux OPEX, les conditions de vie parfois difficiles pour les militaires et leurs familles, affectent inévitablement le moral de la communauté militaire.

Le Parlement ressent évidemment tout cela, mais de façon trop lointaine, trop impalpable pour remplir sa mission de contrôle, quelles que soient par ailleurs les initiatives de tel ou tel parlementaire pour se tenir informé. Or cet état de fait n’est pas satisfaisant, car, de surcroît, il prive le Parlement de sa capacité à être l’élément fort, je dirais même l’âme du lien armée-nation.

On ne peut donc en rester au refus que vous avez opposé à l’initiative qui vous était suggérée. Un débat en commission, permettrait, j’en suis sûr, de rapprocher les points de vue et de répondre, dans le respect des prérogatives de chacun, à l’exigence formulée par le Parlement, d’être éclairé sur l’état moral de nos forces armées. Quoi de plus légitime, d’ailleurs, puisque c’est le Parlement qui vote le budget et qui se trouve donc en responsabilité d’assumer les conséquences de ses engagements ?

Je viens de m’efforcer, sur la base d’exemples précis et, je l’espère, convaincants, de montrer combien le projet de loi qui nous est soumis contient d’imprécisions, de lacunes, de contradictions, d’insuffisances.

Le travail parlementaire, tel qu’il s’est déroulé, n’a pas encore permis d’atteindre le niveau de qualité qui doit nécessairement s’attacher à un document de l’importance d’une loi de programmation militaire. Un retour en commission s’impose donc. Cela représente quelques jours de travail, c’est-à-dire rien vraiment qui remette en cause le fonctionnement de notre outil de défense ou l’activité de nos industries.

Pour conforter cette demande, je crois devoir rappeler que nous sommes à quelques semaines du Conseil européen prévu en décembre prochain. Votre gouvernement, monsieur le ministre, aurait dû surseoir à l’examen de ce projet de loi de programmation militaire pour donner l’impression, à défaut de mieux, qu’il était attentif à la construction d’une défense européenne dont les insuffisances de votre propre loi démontrent qu’elle devient une exigence incontournable.

Les décisions qui émergeront du Conseil européen, principalement dans le domaine des programmes d’armement, ne vont-elles pas impacter celles qui figurent dans votre LPM ? Nos industriels attendent beaucoup d’une relance de la coopération européenne en matière d’équipement ; le caractère figé de la LPM est-il compatible avec cette attente ?

Comme lors de l’élaboration du Livre blanc, on voit bien que votre gouvernement, à l’instar du Président de la République, ne marque qu’une considération très médiocre à l’endroit des acteurs de la PSDC – la politique de sécurité et de défense commune. Peut-on croire que cela soit de nature à relancer la dynamique d’une défense européenne, comme le Président de la République s’est targué de vouloir le faire ?

Si le renvoi en commission du projet de loi était voté, cela permettrait de mettre à l’unisson notre politique de défense et celle que l’Union européenne s’attache à élaborer.

Les députés UMP qui se sont exprimés par ma voix ont confiance, monsieur le ministre, dans la qualité de votre jugement. Ils se tiennent à votre disposition pour contribuer, par leurs propositions, dans un esprit de responsabilité, à donner à votre projet de loi de programmation militaire la dimension qui correspond aux ambitions de notre nation et à donner à votre texte une dimension conforme à l’hommage et à la reconnaissance que nous devons à nos soldats engagés sur tous les fronts pour la défense des intérêts de notre pays.

C’est la raison pour laquelle le groupe UMP demande le renvoi en commission du projet de loi de programmation militaire qui nous est présenté.

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