Intervention de Jean-Jacques Candelier

Séance en hémicycle du 26 novembre 2013 à 21h30
Loi de programmation militaire 2014-2019 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Candelier :

Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, à la suite du Livre blanc, nous sommes appelés à nous prononcer sur le projet de loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019.

Nous avons contesté tant le fond de ce Livre blanc que son processus de rédaction à la va-vite : pour la première fois, les partis n’avaient pas été auditionnés. Nous en sommes convaincus, l’organisation de notre défense ne peut rester l’apanage du seul chef de l’État, assisté d’une batterie d’experts. Il faut démocratiser et ouvrir en grand les bouches, les portes et les fenêtres de l’institution militaire ; j’y reviendrai lors de l’examen des amendements.

Ce projet de loi comporte certes quelques avancées – notamment le renforcement du contrôle parlementaire, qui est désormais possible sur pièces et sur place, et des promesses quant à l’amélioration du dialogue social – mais ces dernières demeurent insuffisantes. Nous verrons d’ailleurs si l’extension du rôle de la délégation parlementaire au renseignement ira jusqu’à la présence, en son sein, de tous les groupes.

J’en viens à présent au fond de ce projet de loi. Si ce Livre blanc était celui de la continuité avec celui de Nicolas Sarkozy, c’est aussi le cas de ce projet de loi de programmation militaire. Nous ne pensons pas que l’armée doive être concernée par le maintien de l’ordre. C’est un problème sérieux, nous l’avons déjà dit. En cas de crise majeure, nos forces de sécurité intérieure seraient renforcées par 10 000 soldats, ainsi que par des moyens navals et aériens. Voyez ce que cela donne en Syrie ! Il faut faire une claire distinction entre sécurité intérieure et sécurité extérieure.

Le Gouvernement affirme que notre stratégie de défense et de sécurité nationale ne se conçoit pas en dehors du cadre de l’Alliance atlantique et de notre engagement dans l’Union européenne. S’agissant de la défense européenne, rechercher le partage et la mutualisation ne revient-il pas à mettre la charrue avant les boeufs, alors que la défense européenne est inexistante ? Quant à l’OTAN, nous continuons de penser qu’il s’agit d’une organisation du passé, qui nous coûte cher, ne connaît que la logique de force et n’est pas réformable. Il y a une contradiction majeure entre la volonté affichée d’autonomie et de réactivité de nos forces et l’inscription de notre stratégie au sein de l’Alliance atlantique et de l’Union européenne.

S’agissant de notre industrie de défense, nous n’acceptons pas que notre base industrielle soit jetée en pâture sur l’autel de la concurrence libre et non faussée et le choix du tout export. Nous rejetons toute cession de participations dans les industries de défense, qu’il s’agisse d’Airbus, d’EADS, de Nexter, de DCNS ou de Safran : de telles cessions constitueraient, au nom de l’austérité, de nouveaux abandons de la maîtrise publique dans un secteur aussi déterminant pour la souveraineté nationale. Il faut faire le contraire, en nationalisant toutes les industries de défense et en créant un pôle public.

Par ailleurs, ce projet de loi de programmation militaire met particulièrement l’accent sur les cyberattaques. Si le renforcement des moyens humains et matériels de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information est absolument nécessaire, la réforme juridique proposée pose question. En effet, le projet de loi prévoit d’autoriser l’accès à certains fichiers administratifs du ministère de l’intérieur à l’intégralité des services de renseignement. De plus, la consultation de ces bases de données ne sera plus limitée aux seuls cas de lutte contre le terrorisme, mais étendue aux cas d’atteintes potentielles aux intérêts fondamentaux de la nation, notion vague qui étend les possibilités de surveillance des citoyens et réduit les libertés publiques. Pire, le régime d’exception, qui s’applique actuellement aux seuls cas de terrorisme et ne donne lieu au contrôle d’aucun juge, sera étendu à pratiquement toutes les infractions. Je me permets une mise en garde : les lois de programmation militaire ne sauraient être des véhicules destinés à enfanter des monstres juridiques.

L’on se souvient du débat sur le précédent projet de loi de programmation militaire et de sa réforme contestée du secret défense. Une partie de la réforme avait été finalement censurée par le Conseil constitutionnel. Aussi, dans le contexte de défiance généralisée manifestée par les citoyens, évitons de jouer aux apprentis sorciers ! Nous appelons à un moratoire sur tout nouveau texte destiné à créer un régime d’exception en matière d’accès aux données des utilisateurs d’internet.

Bien entendu, il est nécessaire de rendre notre pays moins vulnérable aux risques cybernétiques. Aussi saluons-nous l’augmentation des moyens en hommes et en crédits affectés aux services de renseignement et à la cyberdéfense.

Pour les services de renseignement, la protection de l’anonymat des agents des services ne pose pas de problème particulier. Si nous comprenons les efforts consentis pour les drones, le ravitaillement en vol ou le transport logistique, il faut tout mettre en oeuvre pour assurer notre indépendance et inciter à la fabrication nationale, voire européenne, des matériels dont nous avons besoin. Nous ne pouvons dépendre des Américains, avec lesquels la confiance est – ou devrait être – rompue depuis le scandale de leur espionnage massif.

S’il est opportun de prévoir une réduction des crédits consacrés à nos interventions à l’étranger, nous redoutons que cela ne soit qu’un simple affichage, dans la mesure où il est prévu un financement interministériel du dépassement. Le projet d’augmentation de 1 000 hommes à la disposition du commandement des opérations spéciales de personnels fait craindre un renforcement de l’opacité entourant les activités des forces armées françaises, notamment en Afrique.

Ce projet de loi de programmation militaire avalise la création des bases de défense, ce qui est non seulement une aberration stratégique qui rend notre armée plus vulnérable, mais constitue aussi un gouffre financier. Le ministre de la défense a admis que la réforme des bases de défense n’a pas donné de résultats. Pourtant, loin de les remettre en cause, il les conforte, avec un plan d’urgence de 30 millions d’euros.

La politique d’externalisations massives se poursuit. Symbole spectaculaire de la montée en puissance du recours au privé, le partenariat public-privé Balard-Bouygues accumule retards et surcoûts.

Jusqu’à présent, les externalisations ne touchaient que des services périphériques. Désormais, elles frappent des missions de sécurité – logistique d’une troupe en campagne ou acheminement du matériel –, remettant en cause leur permanence opérationnelle et leur nécessaire souplesse. Le maintien en condition opérationnelle, ou MCO, représente 70 % du coût total de possession d’un matériel. Notre outil de défense devient un gisement de profits pour le secteur privé.

Corollairement, les effectifs des personnels civils sont passés de 145 000 il y a une quinzaine d’années à 64 000 aujourd’hui. La LPM prévoit en outre 3 700 suppressions d’emplois d’ouvriers de l’État. C’est la capacité des services industriels à répondre à la demande qui est remise en cause.

L’armée de terre va perdre 46 % de ses effectifs d’ouvriers de l’État d’ici à 2022, ce qui mettra inévitablement en péril le service de la maintenance industrielle terrestre. On s’apprête à placer ce service, ainsi que le service industriel de l’aéronautique, dans la situation de devoir recourir à l’externalisation. Le ministre a simplement rassuré les fédérations syndicales sur l’avenir et l’organisation du maintien en condition opérationnelle des aéronefs. Le MCO aéronautique, assuré notamment par les ateliers industriels de l’aéronautique, demeurera étatique.

Présentées de manière partiale et répondant toujours à la logique du moins-disant, les coupes dans les dépenses de fonctionnement entravent de fait la bonne marche de l’opérationnel, affectant ses capacités et parfois même sa sécurité. Nombre d’exemples étayent cette assertion, à l’image de la récente délocalisation au Portugal du MCO des avions de transport tactique C 130 Hercules ou, plus récemment, des hélicoptères Puma.

La modernisation de l’action publique a remplacé la révision générale des politiques publiques, mais les conséquences sont exactement les mêmes : 34 000 postes seront supprimés durant la période 2014-2019. Au total, 23 500 suppressions d’emplois sont programmées, une baisse des effectifs qui s’ajoute à celle de la précédente LPM de 2008-2013 qui avait déjà supprimé 54 000 postes, ce qui correspond au total à environ 80 000 emplois de moins sur la période 2008-2019 : c’est un plan social massif. Selon un ancien chef d’état-major de l’armée de terre, suivre le programme de fermeture des sites prévu jusqu’en 2015 revient à rayer de la carte trente-huit usines de la taille de celle de Florange.

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