Intervention de Jean-Jacques Candelier

Séance en hémicycle du 26 novembre 2013 à 21h30
Loi de programmation militaire 2014-2019 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Candelier :

Bien sûr, on tente de nous rassurer en nous expliquant que l’essentiel de l’effort portera sur l’administration et le soutien. Cependant, l’état de nos forces opérationnelles dépend précisément de ces deux postes budgétaires, puisque les coupes dans les dépenses de fonctionnement diminuent les crédits dont disposent nos forces pour le carburant, le transport, l’instruction ou la communication.

Concernant les personnels hors forces opérationnelles, il est inquiétant d’entendre le chef d’état-major de l’armée de terre et le secrétaire général pour l’administration nous expliquer que l’identification des marges est difficile. Il s’agit d’une véritable bombe à retardement, nos armées devant faire face, avec moins de moyens, aux nouvelles missions confiées par le Livre blanc comme la sécurité du territoire en outre-mer.

En ce qui concerne les mesures catégorielles pour le personnel civil prévues pour 2014, le constat est amer. Le montant des mesures catégorielles programmées est de 11 millions d’euros, ce qui représente une baisse drastique par rapport aux années précédentes.

Il nous est difficile de dire si les crédits alloués au plan d’accompagnement des restructurations sont suffisants ou non : ils s’élèvent à 82 millions d’euros environ pour les personnels civils et à 113 millions d’euros pour les personnels militaires, c’est-à-dire à 195 millions d’euros au total. Nous aurions préféré que cette somme serve à préserver l’emploi au sein du ministère plutôt qu’à réduire les effectifs.

La disparition d’unités et d’établissements militaires aura forcément des conséquences négatives sur la situation de nos territoires. Je connais cette situation dans le Nord, un département sinistré par les fermetures d’entreprises et où la fermeture de la base aérienne de Cambrai est un traumatisme. Cette LPM présente des risques sociaux importants non seulement pour le ministère et ses personnels, mais aussi pour l’industrie de défense.

Il est certes prévu une augmentation des crédits d’équipement, mais celle-ci ne tient pas compte du coût des matériels ou de la présence de plusieurs sophistications excessives. Comme de nombreux militaires de tous grades, nous considérons que l’armée pâtit de l’acquisition de certaines technologies de prestige. Dans le même temps, sur le terrain, on continue trop souvent à opérer avec des technologies de génération ancienne et des véhicules datant des années soixante-dix.

Nous souhaitons que les priorités soient réorientées et que le Parlement contrôle et maîtrise les coûts des armements. La réduction du rythme des livraisons de matériels aura des conséquences néfastes sur l’engagement des industriels à produire aux coûts négociés par la direction générale de l’armement au moment des lancements de programme. Devenant moins rentable, chaque équipement livré risque finalement de coûter plus cher que prévu. Cela touche aussi bien le Rafale que les avions ravitailleurs ou le nouveau gros-porteur A 400 M, fabriqués par la branche militaire d’EADS, les frégates multimissions réalisées par DCNS ou bien encore le véhicule blindé de combat d’infanterie de Nexter, ex-GIAT Industries. Moins d’équipements pour un coût plus élevé, c’est un des paradoxes de l’austérité à tout prix.

Les industriels de la défense prennent d’ores et déjà argument de ces étalements de programme pour envisager des suppressions d’emplois : 1 500 à 2 000 postes doivent être supprimés chez DCNS, en France, en raison de la révision des commandes nationales sur les frégates et les sous-marins. Au total, la réduction des commandes implique des milliers de suppressions d’emplois : sur les 165 000 postes de travail des 4 000 entreprises du secteur de la défense, les industriels prévoient la perte de 10 000 emplois directs et d’autant d’emplois induits.

Concernant les équipements, nous n’acceptons pas que l’arme nucléaire soit présentée comme la clé de notre défense. Elle représente une dépense de 3,4 à 3,5 milliards d’euros par an, soit 9,3 millions par jour et 12 % des crédits. La réalité des nouveaux conflits ne rend-elle pas grandement caduque la force de frappe nucléaire ?

Alors qu’un travail est en cours pour éradiquer les armes chimiques, il faut la même ambition pour le nucléaire. La France doit respecter le traité de non-prolifération et négocier un désarmement nucléaire généralisé. L’abandon immédiat de la composante aérienne, qui coûte 260 millions d’euros par an, serait une première étape. Cette programmation place nos armées sur le fil du rasoir. La direction générale de l’armement se trouve au bord de la cessation de paiement.

Il faut aussi observer l’effondrement de la disponibilité des équipements et du temps d’entraînement dans les unités qui ne sont pas en opération. Le taux de disponibilité est réduit à 49 % pour les matériels terrestres contre 69 % en programmation : il est de 45 % pour les hélicoptères de manoeuvre, 56 % pour les frégates et 30 % pour le porte-avions, 50 % pour les Rafale marine et 60 % pour les avions de l’armée de l’air.

Le déficit de maintenance est estimé à 1 milliard d’euros par an pour le parc aérien. Le temps d’entraînement est limité à quatre-vingt-trois jours d’activités opérationnelles dans l’armée de terre, quatre-vingt-huit jours de mer pour les bâtiments de la marine, cent cinquante heures de vol pour les pilotes, alors que la norme est fixée à cent quatre-vingts heures.

L’équilibre repose sur plusieurs paris à haut risque : pari économique du retour à la croissance et du financement des équipements par la suppression de 23 500 postes avec cette fois-ci une baisse de la masse salariale, qui n’est pas assurée ; pari financier de recettes exceptionnelles à hauteur de plus de 6 milliards d’euros ; pari industriel de l’exportation du Rafale à partir de 2016, alors qu’on sait que le contrat indien, qui porte sur cent vingt-six appareils, devait être signé en 2013 pour des livraisons en 2016, ce qui ne sera pas le cas ; pari stratégique de la sanctuarisation de la dissuasion et dans le même temps multiplication des interventions extérieures, avec des forces conventionnelles aptes au combat de haute intensité limitées à 15 000 hommes et quarante-cinq avions.

Nous avons bien noté que le texte comporte une clause de sauvegarde financière concernant les ressources exceptionnelles qui prévoie une compensation intégrale en cas de non-réalisation afin de sécuriser la programmation financière. Nous ne pensons toutefois pas que l’armée doive peser sur les autres missions de l’État. Par ailleurs, si l’exportation de quarante avions de chasse Rafale n’a pas lieu, ce sont près de 4 milliards d’euros que la France devra prendre en charge.

On peut avoir des doutes sur la cohérence de la loi de programmation et du Livre blanc et sur la compatibilité entre les moyens alloués par la première et les ambitions stratégiques affichées dans le second. La surchauffe est prévisible : nos soldats ne peuvent pas tout à la fois défendre le territoire, intervenir en OPEX, soutenir l’action onusienne, produire du renseignement, préparer l’action diplomatique, mener des opérations de maintien de la paix et dissuader. La réduction du nombre de frégates, de patrouilleurs et d’avions de combat, la limitation du nombre de jours en mer des navires ou du temps d’entraînement des pilotes mettent en péril la protection de notre espace aérien et maritime.

Sur un autre aspect, nous estimons qu’il y a une contradiction entre, d’une part, l’ambition du désarmement et de la non-prolifération des armes et, d’autre part, l’atteinte d’objectifs économiques dans l’industrie française de l’armement. Contrairement à certaines ambitions affichées, ce texte favorise la militarisation des relations internationales. Il affirme une volonté de puissance de la France, avec la priorité donnée à la projection de nos forces. Aucune référence n’est jamais faite à la Charte des Nations unies, si ce n’est pour justifier la stratégie d’exportation d’armes dans le monde !

Cette charte est pourtant le document de référence pour « préserver les générations futures du fléau de la guerre », « proclamer […] notre foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité de droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites ». Elle nous invite aussi à « favoriser le progrès social et instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande », ce qui est la condition de la paix.

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