Intervention de Philippe Folliot

Séance en hémicycle du 26 novembre 2013 à 21h30
Loi de programmation militaire 2014-2019 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Folliot :

La France sera-t-elle en mesure de continuer à défendre ses valeurs fondamentales ? Nous craignons qu’avec les conséquences de cette loi de programmation militaire, la réponse soit négative. En effet, on demande à nos armées, une fois encore, de continuer à faire mieux mais avec moins, avec un budget tout juste maintenu à son niveau actuel : 31,4 milliards d’euros. Depuis les années soixante, l’effort de défense français est passé de 5 à 1,5 % du PIB. La perspective, du reste, est de 1,3 % d’ici à 2019. On le voit, l’incohérence entre ambitions stratégiques et contraintes budgétaires est flagrante.

S’il est vrai que des avancées sont perceptibles dans les domaines de la cyber-défense, de la cyber-sécurité et du renseignement, nous constatons qu’aucun choix réel et marquant n’a été fait sur des sujets clés tels que les forces nucléaires, notamment la deuxième composante aéroportée, la prévention des conflits, l’OTAN, l’Europe de la défense, ou encore les entreprises privées de sécurité et de défense. De plus, l’importance stratégique de l’océan Indien et du Pacifique, qui regroupent 90 % de notre zone économique exclusive, n’est pas suffisamment prise en compte.

Nous sommes tous ici conscients des contraintes très fortes qui pèsent sur le budget de la défense, dans un contexte difficile de redressement des finances publiques. Un effort très important a d’ailleurs déjà été consenti par la défense dès le budget 2013, et notre armée contribue, et plus qu’à proportion, depuis plusieurs années, à l’effort de réduction des déficits. Elle a de surcroît dû supporter en même temps l’échec du logiciel Louvois et la difficile mise en oeuvre de la réforme des bases de défense. Sans compter des conditions de préparation des forces toujours plus contraintes et des matériels bien souvent indisponibles.

Dans ce contexte, les nouvelles mesures proposées à partir de 2014 nous paraissent déraisonnables, excessives et terriblement menaçantes. En effet, le niveau du budget sur cinq ans n’est pas à la hauteur, et cela touchera inéluctablement les unités opérationnelles, d’autant plus que les incertitudes entourant ce budget sont fortes. Le Gouvernement espère plus de 6 milliards d’euros de recettes exceptionnelles, particulièrement aléatoires. Je ne reviendrai pas, après le rapporteur pour avis Jean Launay, sur les emprises immobilières ou les ventes de fréquences. En outre, les exportations de Rafale restent à ce jour hypothétiques pour 2016. Notre modèle de programmation militaire risque d’être remis en cause. Cette loi de programmation est même presque caduque avant d’avoir été votée du fait de la triste habitude du report de charges : 3 milliards d’euros qui pèseront dès l’année prochaine sur la défense.

En outre, au-delà des 45 000 suppressions de postes déjà effectuées, les 34 000 supplémentaires ne feront qu’aggraver le problème. Près de 60 % des futures baisses d’effectifs de la fonction publique sont supportées par la seule défense nationale.

C’est une réalité qui mine nos militaires. Monsieur le ministre, le moral des armées n’est pas bon, certes à l’image de celui des Français. Aujourd’hui prévaut un sentiment d’injustice dans la communauté militaire, qui constate que la défense, qui a subi le choc de la professionnalisation et multiplié les efforts de rationalisation, tout en assumant ses missions de façon exemplaire, ne compte pourtant pas parmi les priorités budgétaires de ce gouvernement, contrairement à l’éducation, la sécurité ou la justice.

Si vous décidez de maintenir les suppressions d’unités combattantes prévues dans la loi de programmation, évitez au moins de faire subir à nos hommes un supplice chinois, et informez au plus vite les unités victimes de restructuration. Ainsi, les personnels militaires et civils pourront se préparer au mieux à leur changement de situation, les délais légaux étant d’un an pour les premiers et de deux ans pour les seconds.

La baisse des objectifs opérationnels et des niveaux de livraison de matériel aura de lourdes conséquences économiques et sociales. Il y a là aussi un hiatus évident entre la puissance proposée et la puissance assumée.

Cette loi de programmation militaire pour 2014-2019 marque ainsi, de fait, l’affaiblissement de notre outil de défense. Nos forces armées sont à l’image d’une France engoncée dans ses incertitudes stratégiques, reléguée au rang de puissance moyenne, incapable d’inciter ses partenaires européens à incarner une Europe puissante, capable tout au plus de quelques incursions sahélo-sahariennes. Elle n’est plus forcément en mesure de tenir un conflit de haute intensité loin de nos bases contre un ennemi bien équipé et déterminé. Pourtant, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, la France devrait au contraire demeurer, de par sa dimension ultramarine, une puissance globale et mondialisée.

Ces constats conduisent à une conclusion simple : la défense de l’intérêt national doit également passer, à l’avenir, par la mise en place d’une défense européenne crédible. Dès lors, nous souhaitons qu’émergent de nouvelles coopérations dans ce domaine, car le projet européen, cher à notre coeur, n’a de justification et de légitimité que dans une volonté d’assurer sa défense de manière forte et autonome.

Sur ce point, nous voulons tenir là encore un discours de vérité. On ne peut nier les difficultés que rencontre l’Union européenne à défendre une vision commune sur le plan diplomatique et militaire, comme le met en lumière l’incapacité de se mobiliser sur le dossier sahélien, ou comme ce fut le cas lors du conflit libyen, et ce en dépit des avancées institutionnelles introduites par le traité de Lisbonne. En effet, il est parfois difficile de partager une vision commune de nos intérêts géostratégiques, et les impératifs sécuritaires ne revêtent pas la même importance pour tous nos partenaires. La disparité des budgets militaires constatée au sein de l’Union en est la meilleure preuve.

Il nous apparaît donc indispensable de travailler activement au renforcement de notre coopération en matière de défense, notamment en dotant l’Europe de moyens financiers à travers un budget dédié exclusivement à la politique de sécurité et de défense commune, notamment en vue du financement de manière solidaire des OPEX, où la France se retrouve souvent seule à être nation cadre, et des autres opérations militaires et civilo-militaires menées actuellement au nom de l’Union européenne.

La mise en commun des moyens technologiques et des capacités industrielles à l’échelle européenne conduirait également, de manière certaine, à la formation d’un ensemble pertinent, puissant, pouvant permettre à l’UE et à ses États membres d’occuper une place prépondérante sur la scène internationale. Ce serait sans nul doute un moyen pour la France de mettre en oeuvre des économies réfléchies et pertinentes, en concertation avec ses partenaires, alors même que les États-Unis semblent de moins en moins vouloir, et pouvoir, assumer seuls le coût de la défense collective du continent.

N’oublions pas non plus que la France a une place singulière dans le monde, où elle est présente sur trois océans et quatre continents, grâce aux DOM-COM et à ses territoires ultramarins, qui nous offrent, avec 11 millions de kilomètres carrés, le second domaine maritime mondial. Nous devons donc impérativement préserver les effectifs présents dans les outre-mer, car la souveraineté sur nos territoires comme sur nos zones économiques exclusives exige que nous les défendions.

Enfin, je tiens à souligner que le lien armées-nation doit plus que jamais être consolidé par les réserves opérationnelles et citoyennes, qui constituent un outil formidable pour créer des liens entre civils et militaires. Nous devons également souligner le rôle majeur des forces armées dans la promotion sociale, qu’il faut sans cesse renforcer, notamment à travers ses liens avec la jeunesse. Nous devons impérativement garder à l’esprit le rôle fondamental d’ascenseur social que joue la défense, premier recruteur de jeunes non diplômés. Enfin, le lien armées-nation ne s’arrêtant pas aux seuls « actifs », nous devons renouer un dialogue constructif et respectueux avec les associations patriotiques et d’anciens combattants, et mieux associer la jeunesse aux commémorations nationales.

Mes chers collègues, je dirai pour conclure que les députés du groupe UDI considèrent que, sur ce sujet crucial pour la France qu’est notre politique de défense, il eût été nécessaire de parvenir à un consensus national. Nous attendions du chef de l’État qu’il définisse une véritable ambition nationale et européenne. Une stratégie cohérente doit être mise en place pour notre défense, de manière stable, avec une visibilité sur le moyen et le long termes, alors que cette loi de programmation militaire ne se projette réellement que sur cinq ans – et encore !

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