Intervention de François de Rugy

Séance en hémicycle du 26 novembre 2013 à 21h30
Loi de programmation militaire 2014-2019 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois de Rugy :

En réalité, monsieur le ministre, reconnaissons que ce débat n’a jamais eu lieu, pour une raison très simple, qui tient au fait que lorsque le Président de la République a chargé M. Jean-Marie Guéhenno de piloter la rédaction du nouveau Livre blanc, il lui a demandé d’ouvrir tous les débats, sauf celui-ci. J’invite d’ailleurs les plus curieux d’entre vous à se reporter à la lettre de mission envoyée le 13 juillet 2012 par François Hollande au président de la commission du Livre blanc.

Cette absence de débat, monsieur le ministre, est doublement problématique. Elle l’est d’abord du point de vue de notre démocratie, puisqu’elle prouve que certains sujets, qui relèvent de la politique internationale, resteraient une sorte de domaine réservé de l’exécutif, échappant au Parlement. Elle l’est ensuite du point de vue sécuritaire, parce que ce statu quo sur le nucléaire provoque des impasses capacitaires dans nos armées. Il y a deux ans, un groupe de travail, chargé de réfléchir à l’ajustement de notre outil de dissuasion au regard du contexte économique, avait été constitué. Quatre ans plus tôt, les forces aériennes stratégiques avaient été diminuées de 30 %. Aujourd’hui, c’est en tant qu’écologiste, mais également en tant que membre de la majorité, que je regrette que ce débat de premier ordre reste dans l’angle mort de la pensée stratégique. Je reste convaincu, monsieur le ministre, qu’il y avait matière à réfléchir ensemble à un modèle capacitaire plus cohérent et plus équilibré et j’espère que l’avenir nous donnera l’occasion d’y travailler. Si j’ai bien entendu la proposition que la présidente de la commission de la défense a faite tout à l’heure en ce sens, je regrette simplement qu’elle arrive après la discussion sur la loi de programmation militaire. Néanmoins, nous saisirons toute occasion qui se présentera de participer à ce débat.

Cohérence, équilibre sont également les maîtres mots qui devront conduire la manoeuvre de repyramidage des armées, annoncée dans les articles 2 et 4 du projet de loi. À ce sujet, je crois qu’il faut nous féliciter que la volonté de réformer notre modèle de ressources humaines soit partagée par tous. Il y a un an, en commission de la défense, le premier président de la Cour des comptes était venu dresser un bilan alarmant à ce sujet. Alors que la réduction massive des effectifs militaires, engagée dans le cadre de la révision générale des politiques publiques et prolongée par la loi de programmation militaire de 2009, devait permettre une économie de plus d’un milliard d’euros sur la masse salariale, elle avait au contraire conduit à l’explosion des dépenses de personnels. Selon Didier Migaud, le manque à gagner entre 2009 et 2011 s’élevait ainsi à plus de 2 milliards d’euros.

Cette dérive salariale résulte d’un manque de ciblage des politiques de restructuration engagées depuis 2007. En effet, en ménageant les officiers, surtout les officiers supérieurs, les mesures adoptées par le ministère de la défense lors du précédent mandat ont provoqué une croissance exponentielle du taux d’encadrement. Celui-ci était de 14,6 % en 2008, de 15,9 % en 2009 et atteint 16,75 % aujourd’hui. Certains cas de figure confinent à l’ineptie, j’en citerai trois. Entre 2008 et 2011, sur les 20 000 postes militaires qui ont été supprimés, six seulement concernaient des officiers généraux ! L’armée de terre, qui a cruellement besoin d’officiers supérieurs nous dit-on, compte plus de 170 généraux pour à peine treize brigades ! Enfin, toutes armées confondues, on dénombre 3 500 officiers ayant un grade équivalent à celui de colonel pour seulement 150 postes de commandement de régiments, de bâtiments de la marine ou de bases aériennes ! Cette hypertrophie du haut de notre pyramide hiérarchique est non seulement mauvaise pour les finances publiques, mais également néfaste pour le fonctionnement même de nos armées qui souffrent d’engorgement et de bureaucratisation.

Lors de leurs auditions devant la commission, les chefs d’état-major des différentes armées ont parlé de « dilution des responsabilités », que l’un d’entre eux a même accusée d’être la cause des dysfonctionnements persistants du système Louvois. Je veux d’ailleurs vous redire, monsieur le ministre, que je salue votre décision de mettre fin à ce système scandaleux de gestion des paies de nos soldats. Sur ce volet des ressources humaines, la présente loi de programmation aurait mérité d’être plus ambitieuse. Non pas tant quantitativement, puisque le nombre de personnels concernés par les mesures de rationalisation d’ici à 2019 est très important. Je tiens à rappeler aux rares collègues de l’opposition ici présents que j’avais exprimé mon accord, lors du précédent mandat, avec les réductions du format des armées et je pense que, dans ce débat, chacun gagnerait à faire preuve de constance. Le mouvement a été engagé et il se poursuit à un rythme plus modéré. J’observe à ce propos que, si l’UMP a tendance à réclamer des économies sur le budget de l’État – M. Copé a parlé de 100 milliards d’euros – un tel objectif ne saurait être atteint sans toucher également au budget de la défense. J’aurais aimé en parler avec M. Fillon, qui ne partage peut-être pas le point de vue de M. Copé à ce sujet. Il faut être concret et pragmatique.

C’est donc qualitativement que la loi de programmation aurait dû être plus ambitieuse. Il était en effet possible de cibler spécifiquement les catégories de personnels les coûteuses. Je rappelle que l’alinéa 358 du rapport annexe fixe un objectif de réduction du taux d’encadrement de 0,75 % d’ici à 2019. Nous aurions souhaité qu’il soit plus proche de 1,25 % afin de retrouver le format de 2008 qui, sans être idéal, semblait en tout cas plus cohérent. Il y a incontestablement une organisation spécifique à notre outil de défense, qui appelle parfois une concentration d’éléments qualifiés. On peut penser à la particularité française qu’est la direction générale à l’armement, mais j’appelle votre attention sur le fait que certaines armées, parmi les plus efficaces du monde, sont parvenues à mettre en place des structures performantes avec des taux d’encadrement raisonnables, comme l’US Marine Corps, qui fonctionne depuis trois ans avec un taux d’encadrement avoisinant les 10 %.

L’opposition invoque très souvent dans nos débats le moral des armées pour contester, aujourd’hui en tout cas, la refonte de nos effectifs. J’ai pleinement conscience du fait que nos soldats font oeuvre d’un dévouement exceptionnel dans l’exercice de leur fonction et nous en avons eu une belle démonstration avec l’opération malienne qui est toujours en cours. Il serait par ailleurs impensable de profiter de la restriction de certains droits inhérente à la fonction militaire, comme le droit syndical, pour faire de la défense le levier d’ajustement des politiques publiques. Mais il me semble que c’est rendre service à nos soldats que de mettre à leur disposition un modèle de ressources humaines cohérent et pérenne qui leur garantira des conditions de vie plus sereines à l’avenir.

Le troisième point de mon intervention concerne moins les dispositions contenues dans la loi de programmation militaire que l’esprit général dans lequel est conduite notre politique de défense. Je crois, mes chers collègues, que les épisodes conflictuels et sécuritaires qui ont marqué la première année du quinquennat sont venus rappeler la nécessité de réintroduire du politique dans notre stratégie de défense. Je donnerai ici trois exemples concrets. Tout d’abord, sur les modalités d’élaboration des grands textes qui façonnent notre politique de défense. Outre la désignation discrétionnaire des membres de la commission du Livre blanc, dans laquelle on ne peut pas dire que les esprits créatifs aient été surreprésentés, je regrette que notre commission ait dû examiner certains amendements à marche forcée – je pense notamment à ceux déposés par nos collègues de la commission des lois. Quant à notre débat en séance, il me paraît déséquilibré entre une discussion générale à rallonge et un temps réduit pour l’examen des articles et des amendements, alors qu’il s’agit tout de même de l’engagement de l’État à hauteur de 183 milliards d’euros pour la période 2014-2019 !

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