Intervention de Rémy Pflimlin

Réunion du 20 novembre 2013 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Rémy Pflimlin, président de France Télévisions :

Mon équipe et moi-même sommes très heureux de vous rendre compte de l'exercice 2012 au regard de notre contrat d'objectifs et de moyens, et de faire le point sur la situation en 2013 dans la perspective d'un projet qui court jusqu'à 2015.

En 2012, notre univers a changé du tout au tout. La concurrence a augmenté dans une très forte proportion : il y a maintenant vingt-six chaînes gratuites, ce qui a un impact à la fois sur l'audience et sur le marché publicitaire – les chaînes D8 et D17 que diffuse Canal+ ont notamment pris leurs parts du marché. Par ailleurs, le développement considérable du numérique a pour conséquence que ce qui a valu pour la musique vaut maintenant pour la télévision comme pour la presse : chacun ayant désormais la possibilité d'avoir accès à une infinité d'images, le rapport aux contenus change radicalement. Enfin, la crise économique a eu un impact sur le chiffre d'affaires publicitaire, qui baisse pour France Télévisions comme pour l'ensemble des médias, et singulièrement la presse écrite, mais cette évolution est particulièrement notable pour notre groupe en raison de la nature de notre offre, la publicité en journée ayant un impact commercial moins fort que la publicité en soirée. L'évolution de notre environnement nous oblige à des adaptations permanentes.

Notre priorité va avant tout aux contenus d'information, élément-clef de l'offre de France Télévisions, par le biais des journaux, des magazines et de nos éditions numériques. Nous sommes en train de structurer cette information par la fusion et le rapprochement des rédactions nationales de France 2 et de France 3. Ce projet, lancé il y a un peu plus d'un an pour nous permettre de gagner en efficacité et d'être plus présents sur le terrain, est conduit par Thierry Thuillier ici présent.

Une autre de nos priorités est la création. France Télévisions a l'obligation d'investir 20 % de son chiffre d'affaires dans la fiction, le documentaire, le spectacle vivant et la culture en général par les captations. Cet élément fortement différenciant est une mission centrale du groupe.

Le troisième élément de notre stratégie est de définir des chaînes à la personnalité à la fois complémentaire et différente pour nous efforcer de toucher tous les publics et, ce faisant, de renforcer le lien social par le partage d'informations, d'images et d'émotions. Cela suppose une offre diversifiée, semblable à celle que proposent les autres services publics de l'audiovisuel européen.

En matière de contenus, nous avons si fortement développé notre offre numérique en trois ans que France Télévisions est maintenant le premier acteur de l'audiovisuel dans le numérique. Les plateformes, la télévision de rattrapage et l'intégration des réseaux sociaux dans notre offre permettent à chacun d'avoir accès à nos contenus à tout moment et sur tous les écrans.

La vision que nous avons de notre rôle nous conduit aussi, parfois, à prendre le risque de diffuser des programmes de création ou d'information différenciants, qui n'auront pas nécessairement une audience très forte.

Tout cela se fait dans le cadre de la construction de l'entreprise commune, conformément à la décision prise en 2008 de fusionner toutes les sociétés du groupe. Toute fusion suppose de rapprocher les équipes, les systèmes d'information et les outils de contrôle. France Télévisions compte plus de 10 000 personnes et son budget avoisine 3 milliards d'euros ; autant dire que la fusion est un travail de long terme, qui nous mobilise tous en permanence. Nous avançons, avec des résultats tangibles, mais ce projet complexe demande un grand esprit de méthode.

Au regard des objectifs ainsi rappelés, comment s'est déroulé l'exercice 2012 ? L'information a été un élément-clef de différenciation. Les élections présidentielle et législatives nous ont donné l'occasion de proposer des débats nationaux et locaux dès l'organisation des primaires mais aussi de nouvelles émissions telles que Des paroles et des actes sur France 2. Notre offre et notre manière de présenter journaux et magazines nous ont permis d'obtenir des résultats très satisfaisants en termes d'audience et de retour qualitatif. Le deuxième moment fort de l'année a été la retransmission des Jeux olympiques de Londres. Nous jouons un rôle croissant dans la retransmission gratuite des compétitions sportives ; cela s'est traduit, à travers ce que nous avons réalisé à Londres, par un véritable succès et d'audience et en termes de production. Nous avons aussi développé les offres de proximité, notamment outremer, où la TNT a été généralisée ; cela a demandé la réorganisation de la diffusion ultramarine et le développement d'une forte production locale. Nous avons également augmenté le nombre d'heures diffusées régionalement dans chaque station de France 3, tout en réalisant des gains de productivité.

L'année 2012 a été la première depuis une décennie au cours de laquelle, pour l'ensemble des chaînes du groupe, soit l'audience s'est stabilisée, soit a augmenté – et cela dans le contexte décrit d'éclatement de l'offre et donc de baisse des audiences pour la presque totalité des acteurs.

France 2, la grande chaîne inscrite dans son temps, doit réunir autour de la politique, de l'information, du sport et du divertissement – un secteur que nous développons – et aussi de grands événements tels le concert du 14 juillet que nous souhaitons institutionaliser ou l'offre rénovée proposée, avec un égal succès, lors de la Fête de la Musique. France 2 cherchera de plus en plus à créer l'événement ; cela signifie aussi des investissements dans des documentaires tels Guerre d'Algérie, la déchirure et dans des fictions telles Fais pas ci, fais pas ça.

France 3 est la chaîne de la proximité, de l'histoire, du terroir, de tout ce qui, en nous rassemblant, crée des liens sociaux profonds. Des émissions ont été lancées avec succès dans la journée sur France 3 national : Midi en France, qui rencontre un vrai succès d'audience, ou encore Météo à la carte. En première partie de soirée, Thalassa et Des racines et des ailes ont été rénovées, ce qui a contribué à leur important succès d'audience en 2012.

France 5 est la chaîne du décryptage des événements contemporains. Le magazine scientifique On n'est pas que des cobayes, lancé en première partie de soirée, rencontre un franc succès, notamment sur les supports numériques. Le magazine quotidien Entrée libre présente de manière originale l'actualité culturelle pendant une demi-heure à 20 heures.

Pour France 4 enfin, l'année 2012 a été importante en termes d'audience, avec la diffusion de séries anglaises – ainsi de la série Doctor Who, dont l'épisode marquant le cinquantième anniversaire est diffusé cette semaine.

Notre ambition en matière culturelle s'est traduite par 808 programmes de création en première partie de soirée. Qu'il s'agisse de cinéma, de documentaires ou de fictions, c'est un élément-clef de différenciation de l'offre de France Télévisions.

Le numérique, je l'ai dit, s'est fortement développé en 2012 et continue de se développer en 2013. Grâce à la télévision de rattrapage, plus de 60 millions de vidéos sont vues chaque mois en différé. Ce mode de consultation de nos programmes est en progression continue. France TV Info est à présent la première chaîne d'informations télévisées en ligne ; sur France TV Sport, lors des Jeux olympiques, 25 millions de vidéos ont été vues, dont 15 millions en direct. Nous avons également lancé la plateforme Culturebox qui permet de voir, en direct ou en différé, spectacles et captations, ainsi que la plateforme « éducation » qui doit permettre de faire le lien avec les élèves, les parents et les enseignants.

En matière de gestion, l'année 2012 a été caractérisée par des recettes inférieures de 80 millions d'euros à ce que prévoit le COM. Ce manque tient d'une part à la diminution d'une vingtaine de millions d'euros de la subvention publique et pour le reste à la réduction de notre chiffre d'affaires publicitaire, une baisse qui a commencé en 2012 pour France Télévisions comme pour l'ensemble des médias français, alors même que nos audiences étaient bonnes. En dépit de cela, le résultat net de l'exercice a été légèrement positif, ce qui signifie que, dès 2012, nous avons fait des économies sur l'ensemble des dépenses de la maison.

Sur le plan social, la définition des nouveaux accords d'entreprise communs à tous les salariés de France Télévisions, rendus nécessaires par la fusion, a progressé. Plusieurs conventions collectives s'appliquaient dans le groupe et le nombre d'accords d'entreprise avoisinait 300 ; il était impossible d'organiser le travail et de travailler ensemble au sein d'une entreprise unique dans ces conditions. La négociation approfondie et compliquée menée en 2012 a abouti en mai 2013 à des accords d'entreprise communs pour l'ensemble du groupe France Télévisions. Ils ont été signés par tous les syndicats, ce qui est assez exceptionnel, et nous permettent de construire l'entreprise commune. Il nous faut transposer ces accords dans les contrats de travail individuels, ce qui donne lieu à de nouveaux échanges, avant de les mettre en oeuvre progressivement à partir de 2014. Toute fusion se fait dans un temps long, puisqu'il faut rapprocher les méthodes de travail mais aussi installer de nouveaux systèmes d'information. Cela a été fait en 2011 pour ce qui concerne la gestion ; les nouveaux systèmes de gestion du personnel se mettent en place maintenant ; le rapprochement de la gestion technique a eu lieu progressivement en 2012 et en 2013.

Le bilan de l'exercice 2012 forme le socle sur lequel nous nous appuyons pour poursuivre notre projet stratégique. Le contexte est extrêmement difficile, puisque les contraintes se sont accentuées en 2013. Cela exige que nous soyons très fortement mobilisés, mais la situation ne justifie ni les commentaires qu'il m'arrive de lire sur l'état de France Télévisions ni des critiques systématiques infondées portant sur la stratégie, l'ambition culturelle ou la politique sociale de l'entreprise. Encore une fois, l'entreprise unique est en construction ; elle doit se transformer en profondeur et c'est une opération compliquée, mais nous sommes résolus à mener ce très vaste chantier.

Il nous faut en premier lieu faire face au défi économique. En 2013, en raison de la baisse des recettes publicitaires et de la diminution de la subvention destinée à compenser l'arrêt de la publicité en soirée, nos ressources auront chuté de 200 millions d'euros par rapport à ce que prévoyait le COM initial. L'augmentation de la redevance nous a rapporté 100 millions d'euros, mais la subvention a été réduite à 200 millions d'euros et cette déperdition a été augmentée en cours d'année par un gel puis un surgel de 31 millions d'euros en tout. La ministre de la culture et de la communication, lorsque vous l'avez auditionnée récemment, a laissé entendre que cette somme pourrait être débloquée mais, à ce jour, cette somme, qui n'apparaissait pas dans le bilan comptable arrêté au 30 juin dernier, ne figure toujours pas dans nos comptes.

Au premier semestre, l'importante chute des recettes publicitaires qui affecte tous les médias s'est traduite pour France Télévisions par des rentrées inférieures de 10 millions aux prévisions à fin août, et nous n'avions à l'été aucune visibilité sur l'évolution de ces recettes au second semestre 2013. C'est une des caractéristiques de la crise : à quelques jours de la fin du mois de novembre, je suis dans l'incapacité de dire quel sera notre chiffre d'affaires publicitaire en décembre. Cela vaut pour tous les médias, car les agences décident désormais de leurs investissements au dernier moment, profitant au passage de cette tension pour faire baisser les prix. Toutefois, octobre et novembre ont été nettement meilleurs que les mois du début de l'année. À fin novembre, nos recettes publicitaires seront inférieures de 12 millions d'euros aux prévisions. Nous sommes donc en train « d'atterrir » : les investissements publicitaires semblent se maintenir et ne plus diminuer. Si cette tendance se confirme, nous pouvons imaginer qu'à la fin de décembre nos recettes publicitaires seront inférieures de 15 millions d'euros aux prévisions pour 2013, et non de 23 millions comme nous le craignions.

En dépit de la baisse de nos recettes au premier semestre, nos comptes arrêtés au 30 juin étaient en ligne avec le budget, les recettes manquantes ayant été compensées par des économies supplémentaires. Si le dégel espéré a lieu et si « l'atterrissage » publicitaire est effectif, nous serons en fin d'exercice également en ligne avec notre budget, qui a, je le rappelle, été voté en déficit de 42 millions d'euros. Ce déficit résulte de la forte baisse des recettes, publiques notamment, que nous n'avons pu amortir en un an, les programmes étant engagés sur une base pluriannuelle et le rythme des économies dépassant celui d'un seul exercice. Ce budget sera tenu en 2013 si les conditions dites sont respectées.

Eu égard à l'importance des économies qui doivent être faites, l'ensemble du groupe y contribue. L'accent a été mis sur la réduction des frais – frais généraux, frais de siège, frais de communication –, en baisse de 20 % sur la période 2011-2013. Nous avons d'abord insisté sur ce qui est périphérique à notre activité, mais nous avons aussi conduit un audit systématique des productions, ce qui est une nouveauté dans l'entreprise. Il en est résulté une baisse moyenne de 8 à 10 % du coût des productions de flux, une économie très significative. Le plan d'économies doit nous permettre de tenir nos objectifs financiers, sachant d'une part que le marché publicitaire reste très incertain, avec des projections pour 2014 extrêmement moroses – peut-être pas de chute supplémentaire, mais pas de croissance – et d'autre part que notre subvention passera en 2014 de 200 millions à 100 millions d'euros, la redevance compensant cette baisse seulement pour partie. Aussi l'équilibre que nous devrons absolument avoir trouvé en 2015 demandera des économies significatives touchant tous les secteurs de l'entreprise et notamment les fonctions « support ».

Sur le plan social, dans le cadre de ce projet de diminution des coûts, nous avons mis en oeuvre la réduction de la masse salariale, qui représente actuellement 30 % des coûts de France Télévisions, soit un peu plus de 900 millions d'euros sur un budget de 3 milliards. La nécessité impérieuse d'économies importantes et générales passe aussi par l'évolution de l'organisation, ce qui implique de revoir la taille de l'effectif. Nous le faisons d'abord en réduisant l'emploi non permanent, avec des succès importants cette année : la proportion d'emplois précaires, qui s'établissait entre 18 et 19 % il y a deux ans, est maintenant inférieure à 15 %. Nous y sommes parvenus en améliorant l'organisation du travail, ce qui nous permet de moins recourir aux non-permanents, et en recrutant un certain nombre de personnes jusqu'à présent employées de façon précaire et amenées à remplacer des membres du personnel permanent démissionnaires ou partant à la retraite.

Au cours de l'exercice 2012, le groupe comptait 10 500 personnes. Pour atteindre notre objectif d'un effectif de 9 750 salariés équivalents temps plein à l'horizon 2015, nous avons complété la réduction du nombre des non-permanents et le non-remplacement de certains postes en lançant un plan de départs volontaires (PDV). Ce plan se distingue des plans antérieurs en ce qu'il doit permettre de ne pas procéder à des remplacements ; l'organisation du travail sera modifiée à cette fin. À l'origine, le nombre d'emplois concernés par le plan devait être plus élevé que les 361 finalement arrêtés : l'effectif ayant déjà baissé, point n'est besoin d'aller au-delà. En 2013, les charges sociales et salariales seront inférieures aux prévisions budgétaires.

Le PDV concerne les titulaires des postes supprimés par le changement de l'organisation du travail. Le plan vaut pour l'ensemble de l'entreprise, mais de manière différenciée : 20 % des effectifs de la présidence et de la direction générale y sont inscrits et seulement 3 % dans les régions, mais le plan ne concerne pas le secteur numérique, qui est en plein développement. Présenté aux instances représentatives du personnel il y a un peu plus d'un mois, ce plan donne lieu à contestations et à débats. Nous souhaitons mener les négociations par un dialogue le plus transparent possible, comme nous l'avons fait pour aboutir aux accords d'entreprise signés par l'ensemble des organisations syndicales. La diminution de la masse salariale est un élément-clef du maintien de l'équilibre financier du groupe dans le cadre que vous avez analysé lors de l'examen du projet d'avenant au COM.

Sur le plan des programmes, nos audiences, qui s'étaient stabilisées ou avaient augmenté en 2012, baissent en 2013, dans la même proportion que celles de M6. L'audience du groupe TF1, qui avait baissé davantage au cours des deux années précédentes, se stabilise ou remonte légèrement, surtout lors de la diffusion de compétitions sportives importantes. On constate en outre des différences d'audience selon les chaînes de France Télévisions. L'après-midi de France 2 connaît des difficultés ; nous y travaillons. En revanche, les soirées de cette chaîne fonctionnent très bien grâce au renouvellement de la fiction par des séries contemporaines, dont la série policière du vendredi soir qui met en scène l'évolution de la société. Nos réalisations ont été saluées à La Rochelle, où France Télévisions a reçu dix des treize prix récompensant les fictions. Nous avons aussi entièrement renouvelé notre offre musicale en la modernisant tout en faisant des économies : les émissions nouvelles, moins chères, et notamment Alcaline, rencontrent un vrai succès d'audience et d'estime.

Enfin, France 3, sur le plan national, se développe bien et son audience progresse. L'offre régionale, d'information en particulier, rencontre aussi un fort succès.

Je m'en tiendrai là pour laisser le temps nécessaire au débat.

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