Intervention de François Cornut-Gentille

Séance en hémicycle du 27 novembre 2013 à 15h00
Loi de programmation militaire 2014-2019 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Cornut-Gentille :

Aussi, quoique membre de l’opposition, je ne m’exprimerai ni comme avocat du passé, ni comme procureur du présent, mais en député convaincu que notre défense constitue pour la France un atout majeur que nous devons nous efforcer de préserver. C’est dans cet esprit que je souhaite nous inviter à réfléchir quelques instants sur deux réalités gênantes pour nous tous. J’insiste sur le « nous tous » car il ne s’agit pas de mettre en cause particulièrement le gouvernement actuel, les responsabilités étant anciennes et partagées.

Il s’agit encore moins de vous mettre en cause, monsieur le ministre, car chacun reconnaît et apprécie votre compétence et votre engagement personnel. Il s’agit plutôt de mettre le doigt sur une mécanique inexorable qui a enfermé, enferme et continuera d’enfermer, si rien ne change, les majorités qui se succèdent.

La première réalité que nous refusons de voir est que cette loi de programmation militaire, qui n’est pas encore votée, est déjà lettre morte. Certes, l’opposition le dit, mais elle est peu crédible ayant elle-même engagé une réduction significative de notre outil de défense et n’étant pas parvenue à respecter scrupuleusement sa propre loi de programmation. Quant à la majorité, comme c’est la tradition, elle souligne sa volonté de le faire et ses bonnes intentions. Mais vous reconnaissez vous-même, monsieur le ministre, que cela suppose de gagner plusieurs paris qui sont loin d’être assurés, notamment la réalisation des recettes exceptionnelles, les ventes de Rafale et la solidarité interministérielle sur les OPEX.

Admettons, cependant, que ces trois paris soient gagnés. Il reste alors deux données supplémentaires qui entament gravement la crédibilité de la trajectoire financière qui nous est proposée. Tout d’abord sur le plan macroéconomique, la faiblesse de la croissance, les moindres rentrées fiscales ainsi que la dérive naturelle de certaines dépenses auront vite fait, dès 2014, de rendre caduc le cadre général dans lequel s’inscrit cette loi de programmation.

En second lieu, au sein de la mission défense, le dérapage ou la sous-estimation chronique des dépenses de personnel vont rapidement peser négativement sur les dépenses d’équipement. Il ne s’agit pas seulement d’une crainte pour l’avenir, mais d’une réalité avérée : les annulations de crédit en cours sur le programme 146 – qui s’élèvent à plus de 700 millions d’euros – détériorent singulièrement les conditions d’entrée dans la loi de programmation et, d’emblée, fragilisent ainsi l’ensemble de la construction.

Cela m’amène à la seconde réalité qu’il nous faut regarder en face. Au fond, que ce soit avec un milliard de plus ou de moins, nous sommes d’ores et déjà parvenus à un seuil où il devient dangereux de repousser à demain des questions essentielles et même existentielles pour notre défense. Aujourd’hui, notre budget se situe au niveau de celui de l’Allemagne. Avec cette différence majeure que, dans cette enveloppe, l’Allemagne n’a pas à prendre en charge le nucléaire et les opérations extérieures. Je crois qu’il n’est plus possible de continuer à faire comme si cette situation n’était pas problématique. Et je ne dramatise pas. C’est à juste titre que vous avez vous-même souligné à plusieurs reprises, monsieur le ministre, la nécessité d’être extrêmement vigilant et surtout que vous avez nettement indiqué, et je vous cite, « que si une seule brique est absente, c’est l’ensemble de l’édifice qui tombe ».

Aujourd’hui nous y sommes. C’est même assurément plusieurs briques qui manquent. Grâce à l’étalement des programmes, nous pouvons encore faire mine de ne pas le voir. Le problème, hélas, n’est pas nouveau. Lorsque l’ancienne loi de programmation militaire prévoyait une augmentation du budget à partir de 2011, c’était faire à demi l’aveu d’une impasse budgétaire. De même, cette nouvelle loi de programmation militaire envisage une clause de revoyure en 2015.

Ainsi, pour tous ceux qui veulent prendre du recul, le mur financier est bien là, à échéance de trois ou quatre ans, peut-être moins. Si rien ne change, qu’on le souhaite – c’est le cas de certains – ou non, le risque est extrêmement fort de devoir bientôt renoncer dans la précipitation à des pans entiers de notre défense. L’important, toutefois, n’est pas de désigner des responsables. Il faut, en effet, refuser d’entrer dans ce jeu qui nous empêche de proposer des solutions.

À ce stade, je vois trois points d’appui pour essayer de remonter la pente. Le premier, c’est de ne pas cacher et même de dénoncer la situation critique où nous nous trouvons. Ainsi, vous avez raison, monsieur le ministre, de ne pas accepter les lourdes coupes imposées par la loi de finances rectificative.

Inscrire dans ce projet 500 millions d’euros supplémentaires dès 2014 est assurément une action positive. Mais les obstacles à franchir sont encore nombreux pour que ces millions deviennent réalité. S’il s’agit de recettes budgétaires, sont-elles compatibles avec la stratégie globale de réduction de nos déficits ? S’il s’agit de recettes extrabudgétaires – comme je crois le comprendre –, les menaces sont d’une autre nature : il faudra impérativement sécuriser un montage juridique délicat et par ailleurs largement dépendant du bon vouloir de Bercy. C’est dire combien la prudence s’impose…

Le deuxième point d’appui réside dans le renforcement du contrôle parlementaire. En

effet, son insuffisance, notamment sur la défense, et sa faiblesse sont au coeur du système qui a permis, depuis des années, le développement des politiques de guichet sans analyse précise de leur efficacité et, concomitamment, l’affaiblissement des missions centrales de l’État sans en mesurer les conséquences. Un contrôle plus approfondi rendrait assurément plus difficiles les arbitrages et coupes qui se font invariablement, et en catimini, au détriment de la défense et de l’investissement en général.

Le troisième point d’appui consiste à bâtir un véritable projet pour notre défense. Vous allez me répondre : Livre blanc. Il s’agit certes d’un exercice institutionnel indispensable, mais insuffisant. Car, comme pour celui de 2008, continuer toutes les missions avec des moyens de plus en plus contraints ne peut créer une dynamique de projet. Aujourd’hui les structures anciennes pèsent trop fortement sur les objectifs, nous entraînant dans un piège sans issue. Et l’on se situe dans une démarche défensive de maintien ou de sauvegarde.

Bâtir un véritable projet impose de faire des choix stratégiques et d’exprimer des orientations fortes ; d’ouvrir des débats délicats sur ce que veut la France dans l’Europe et dans le monde, sur nos alliances, sur nos objectifs industriels, sur la place et le rôle du nucléaire. Bref, des débats délicats, mais qui sont indispensables pour redéfinir une ambition. Car sans ambition renouvelée, il est acquis depuis longtemps que les arbitrages à venir se feront au détriment de la défense.

La tentation pour tout gouvernement est de faire de la loi de programmation militaire une opération d’affichage et de communication. D’abord, en direction de nos partenaires pour affirmer notre puissance. Ensuite, en direction des militaires pour les rassurer. Quelques années plus tard, est-il bien certain que notre image en sorte renforcée ? Et le scepticisme n’a-t-il pas progressé dans nos armées ?

Monsieur le ministre, vous savez bien que les intentions n’ont jamais fait une politique. Aussi, je vous invite à rompre avec ce rituel vide de sens. Dites simplement la vérité ; ne cachez pas les risques qui pèsent sur notre défense alors que certains misent précisément sur votre silence pour poursuivre les coupes, faisant fi des engagements pris devant le Chef de l’État. Il faut très rapidement sortir de l’ambiguïté.

L’amendement que vous nous proposez ne vaut pas engagement budgétaire. Exigez donc de Bercy un dispositif totalement fiabilisé et transparent pour récupérer les 500 millions d’euros manquants. Votre autorité au sein du Gouvernement vous le permet. Votre crédibilité au sein des armées l’exige.

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