Intervention de Frédéric Lefebvre

Séance en hémicycle du 27 novembre 2013 à 15h00
Loi de programmation militaire 2014-2019 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédéric Lefebvre :

En ce qui concerne le dispositif, permettez-moi de préciser – et j’exprime ici une position personnelle – que ce texte comporte des points positifs.

La politique de défense de la Ve République n’est pas remise en cause, les alliances demeurent les mêmes ainsi que les priorités, avec un renouvellement de la doctrine sur l’Afrique. Le modèle militaire reste le même – dissuasion, interventions extérieures –, le déclassement est modéré. Si la loi de programmation est appliquée, la France restera, si ce n’est la première, la seconde armée d’Europe et la troisième au sein de l’OTAN. Les orientations retenues garantissent le maintien de notre pays comme membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. Des efforts louables sont en cours pour développer les drones et la cyberdéfense. Par ailleurs, l’avenir n’est a priori pas sacrifié, les crédits de recherche étant maintenus à hauteur de 700 millions d’euros.

Mais je me dois de souligner que le texte comporte également des points négatifs et des éléments d’inquiétude.

Dans le domaine de l’équipement, en l’absence de choix sur les priorités des programmes, on constate une réduction homothétique de l’ensemble et un étalement coûteux des programmes en cours. Il convient de souligner, et vous le savez monsieur le ministre, que le parc matériel est vieillissant et que son renouvellement n’est pas assuré. Cela peut apparaître inquiétant quand on sait que les véhicules de l’avant blindés engagés au Mali avaient en moyenne trente ans et les Transall cinquante. De plus, les orientations retenues vont entraîner une hausse du coût du maintien opérationnel, notamment du fait des coûts liés à l’entretien de l’existant. Toutes ces questions ont déjà été évoquées longuement ici.

Le taux moyen de disponibilité des équipements de nos armées est inquiétant : 50 % pour les véhicules blindés de l’infanterie, 40 % pour les Transall, 60 % pour les avions de combat, 30 % pour les chars AMX, 50 % pour les frégates. Notre disponibilité en termes d’équipements est donc très faible. Je vous le concède, monsieur le ministre, c’est un phénomène général dans les armées modernes, comme l’atteste la situation de l’armée britannique. Les conséquences sont connues : usure prématurée du matériel, soutien logistique trop centré sur les opérations, mauvaise organisation des chaînes de soutien.

Autre sujet qui ne manque pas d’inquiéter nos armées : la trajectoire prévue par le projet de loi de programmation militaire en termes d’effectifs. Vous le savez, monsieur le ministre, les armées ont consenti depuis 2002 un lourd tribut : 82 000 hommes en dix ans, dont 23 000 hommes entre 2008 et aujourd’hui. Les effectifs de l’armée ont ainsi représenté le quart des effectifs supprimés dans la fonction publique : c’est la défense qui a consenti l’effort le plus important, tous ministères confondus. J’ajoute que les armées subissent les dysfonctionnements du système Louvois pour les soldes. Vous avez annoncé la mise à l’écart de ce système ; les militaires et leurs familles sont très attentifs aux solutions que vous proposerez pour le remplacer.

Je veux par ailleurs souligner que la suppression de la conscription a considérablement affaibli la capacité d’intégration des jeunes issus de milieux défavorisés. Alors que près de 50 % des nouveaux engagés, à qui l’on offre ainsi de vrais emplois d’avenir, proviennent des quartiers, la réduction des effectifs accentuera le déclin de la capacité d’intégration de l’armée. C’est un problème qui se pose à la société française tout entière et qui doit tous nous faire réfléchir.

Ce projet de loi de programmation est également l’occasion de se poser la question de la place et du rôle de la France dans un XXIe siècle caractérisé par une internationalisation poussée à l’extrême dont, j’en suis convaincu, nous ne devons pas avoir peur. La France, puissance moyenne selon certains – je préfère, quant à moi, parler d’une puissance entreprenante –, doit avoir une vision stratégique et développer une vision militaire et économique.

Le rayonnement de notre pays est assuré, je le mesure chaque jour outre-atlantique, par l’immatériel, l’intelligence, l’innovation, la culture, nos savoir-faire. Notre industrie décline, à l’exception de notre industrie de défense et de l’industrie civile qui lui est liée. Nous devons la soutenir et investir dans ce domaine.

La question posée aujourd’hui est donc celle de l’exécution de la loi de programmation militaire. Nous le savons tous, aucune loi de programmation militaire n’a jamais été exécutée parfaitement. Nous savons également que les deux premières années de chaque loi de programmation militaire ont, jusqu’à présent, été exécutées au plus près des orientations fixées par le Parlement.

Lors de la présentation de ce projet de loi, le Président de la République et vous-même, monsieur le ministre, avez déclaré qu’il était souhaitable d’y inscrire une clause de revoyure. L’amendement adopté en ce sens au Sénat, à l’initiative de Jacques Gautier, avec l’assentiment du Gouvernement représente un net progrès. Je m’en suis déjà ouvert à vous en commission, cette disposition mérite d’être complétée, s’agissant du calendrier comme du rôle du Parlement. Par un amendement, je vous proposerai un rendez-vous annuel autre que celui de l’examen du projet de loi de finances, car nous savons bien que ce dernier ne peut être l’occasion d’un débat de fond sur la stratégie de défense et l’exécution de la loi de programmation militaire.

Si cet amendement vous semble trop ambitieux – j’ai cru comprendre en commission que c’était le cas –, j’ai rédigé un amendement de repli qui vise à rendre ce débat obligatoire et indépendant de la discussion du projet de loi de finances, alors que l’alinéa 1 de l’article 4 sexies prévoit que ce rapport « peut » faire l’objet d’un débat au Parlement. Je sais que vous avez bien saisi l’intérêt d’une telle démarche pour notre défense, pour nos armées. Vous avez vous-même annoncé en commission, et cela a été rappelé tout à l’heure par M. Cornut-Gentille, que vous aviez dû batailler dans le cadre du projet de loi de finances rectificative et que cela nous incite à amender le texte qui vient en discussion. Je vous le dis avec solennité, la déconnexion entre le projet de loi de finances et la loi de programmation militaire, y compris dans l’exécution, est vitale pour notre stratégie de défense ; cette péripétie de la loi de finances rectificative en est une nouvelle preuve.

Nous devons être vigilants, car beaucoup de risques pèsent sur l’exécution de la loi de programmation militaire. D’abord, les recettes exceptionnelles seront-elles au rendez-vous ? Ensuite, la hausse des crédits est renvoyée, on le sait, au prochain quinquennat. Enfin, à mon sens ce projet de loi de programmation compte trop sur la réduction des effectifs pour atteindre la maîtrise de la masse salariale. On sait en effet que la réorganisation a toujours un coût, que ce soit dans l’administration ou dans les entreprises.

Pour ce qui concerne l’investissement, le projet de loi de programmation fait le choix d’une limitation volontaire à trois Rafale par an. Mais cette hypothèse ne tient que si l’Inde achète effectivement les Rafale à Dassault : dans le cas contraire, notre pays devra au minimum doubler son investissement.

De manière plus factuelle, la question qu’il convient de se poser, dans le cadre des lois de finances pour 2013 et 2014, est celle des crédits, des gels, des reports de charges. De plus, le projet de loi de finances initial pour 2014 est lapidaire sur les suites de ces gels de crédits et le surcoût des OPEX.

Les incertitudes nous obligent.

Nous devons, droite et gauche, Gouvernement et opposition, nous donner rendez-vous, car c’est l’intérêt national qui est en jeu.

Avant de conclure, je voudrais évoquer le moral des troupes. Il devient préoccupant : les dissolutions de régiments ont accru la mobilité, le manque de moyens se traduit par une baisse du niveau d’entraînement. L’accompagnement des soldats de retour des OPEX, et l’appréhension du phénomène de stress post-traumatique doivent être améliorés. Le taux de militaires diagnostiqués dans l’armée française – 1 % – reste très inférieur à celui qui prévaut dans l’armée américaine – 20 %.

Monsieur le ministre, vous avez déclaré que la levée des tabous et l’accessibilité des services d’écoute permettraient une meilleure connaissance du syndrome, ajoutant que c’était là un service que le ministère devait rendre à ses agents et à leurs proches. Vous avez mis en place un numéro d’appel national, « Écoute Défense », ouvert 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Mais permettez-moi de vous faire part de l’inquiétude exprimée par les militaires et leurs familles après l’annonce, hier, de la réorganisation des services de santé des armées. L’ampleur de la crise d’amaigrissement n’est pas précisée. J’espère que vous pourrez accepter la mise en place du dispositif de suivi que je proposerai par voie d’amendement.

Le général de Gaulle affirmait il y a soixante ans : « La défense ! C’est la première raison d’être de l’État ». J’ai déposé deux amendements majeurs, relatifs à la clause de revoyure, qui devraient nous rassembler ; je déterminerai mon vote en fonction du sort qui leur sera réservé.

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