Intervention de Henri Guaino

Séance en hémicycle du 27 novembre 2013 à 15h00
Loi de programmation militaire 2014-2019 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHenri Guaino :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est des sujets qui dépassent le clivage entre la droite et la gauche. Sur tous les bancs de cette assemblée, la plupart d’entre nous partagent la conviction que la défense en fait partie.

Si j’ai souhaité prendre la parole aujourd’hui, c’est parce que je crois le moment venu de dépasser ce débat qui, à chaque loi de programmation militaire, nous conduit à nous affronter sur quelques centaines de millions de plus ou de moins pour nos armées, avec, néanmoins, la certitude que les engagements pris ne seront, de toute façon, pas respectés parce que le ministère des finances s’efforcera, comme chaque année, de récupérer ce qu’il aura dû concéder.

Aussi, monsieur le ministre, ne prenez pas mon propos ni, d’ailleurs, mon vote, comme une critique particulière vis-à-vis de votre projet de loi, mais comme une critique de la manière dont, depuis longtemps, nous élaborons nos lois de programmations militaires. Quand je dis « nous », entendez toutes les majorités qui se succèdent depuis plusieurs décennies.

Celui qui s’exprime devant vous le fait après une réflexion sur cette question entamée depuis longtemps et avec l’expérience qu’il a acquise en suivant tous les travaux du précédent Livre blanc.

Je veux m’adresser dans cet hémicycle à tous ceux pour lesquels la défense nationale est, pour une nation, la volonté de se défendre.

Je veux m’adresser à tous ceux, sur tous les bancs de cette assemblée, qui perçoivent le lien profond et mystérieux qui rattache cette volonté de se défendre à la conscience d’une destinée commune, qui est le fondement même de la nation.

Ceux qui veulent en finir avec la nation, avec ce seul bien de ceux qui n’ont rien, comme disait Jaurès ; ceux qui n’éprouvent pas une sourde angoisse en découvrant cette lente dérive collective de la raison, qui conduit à ne plus accorder aucune valeur à ce sur quoi on ne peut pas mettre un prix ; ceux qui ne perçoivent pas ce qui distingue profondément le soldat du mercenaire ; ceux pour lesquels cette parole d’un jeune soldat mort au combat en 1915 n’a aucune signification : « Auparavant, j’aimais la France d’un amour sincère, encore qu’un peu dilettante. Il a fallu cette horreur pour sortir tout ce qu’il y a de filial et de profond dans les liens qui m’unissent à mon pays » ; ceux qui ne voient dans toute chose que son utilité immédiate ; ceux dont le raisonnement est borné par ce qui est tout de suite mesurable, ceux-là, je le sais, ne m’entendront pas.

À tous les autres, à droite et à gauche, je demande, face à ce texte, de prendre conscience de la nécessité vitale que nous avons de penser autrement.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, je sais ce que pensent beaucoup d’entre vous : au fond, l’essentiel est préservé. J’ajouterai : une fois de plus, car c’est ce que l’on a pensé de toutes les lois de programmation précédentes, et de tous les gels, de toutes les annulations de crédits qui ont suivi leur adoption. Nous avons, une fois de plus, préservé l’essentiel : il faut regarder cette pensée résignée, non comme le signe d’une victoire arrachée in extremis, mais comme celui d’une défaite de la politique devant la comptabilité. Nulle part mieux que dans la politique de défense, l’ampleur de ce triomphe désastreux sur tout le reste n’apparaît aussi clairement.

On fait toujours semblant de prendre comme point de départ de la réflexion les besoins de la défense. En vérité, le point de départ est toujours l’exigence comptable, de sorte que ce qui devrait être le point d’arrivée est le point de départ. Il en résulte immanquablement que l’on joue avec les chiffres un jeu de faux-semblants et d’artifices qui se payent toujours, ou plutôt que l’on finit toujours par faire payer aux armées d’abord, à tous les Français ensuite.

Certes, vous n’êtes pas le premier pris au piège de cette surréalité comptable. Je ne reviens pas sur les ressources exceptionnelles ou sur le financement des opérations extérieures : tous vos prédécesseurs, monsieur le ministre, ont fait la même chose avec d’autres chiffres. Mais peut-être est-il temps d’en finir avec tout cela.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion