Intervention de Nicole Ameline

Séance en hémicycle du 27 novembre 2013 à 15h00
Loi de programmation militaire 2014-2019 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNicole Ameline :

Monsieur le ministre, l’honneur de la France se défend partout, notamment sur les théâtres d’opérations militaires.

Quitte à être un peu en dehors du sujet que nous abordons aujourd’hui, je voudrais revenir sur l’Afghanistan où, comme vous le savez, douze ans après la chute des Talibans, il est aujourd’hui envisagé de rétablir la peine de mort par lapidation. L’honneur de la France est là aussi en jeu. Puisque nous nous sommes engagés à verser à ce pays une aide sous certaines conditions, je vous demande solennellement de veiller à ce que cette aide soit conditionnée par le respect des droits de l’homme.

J’en viens au sujet qui nous intéresse ce soir pour rappeler, comme beaucoup de mes collègues l’ont fait à cette tribune, que nous ne savons pas ce que sera le monde dans quinze ou vingt ans. Ce que nous savons en revanche, c’est que son évolution dépendra de ce que nous déciderons ou non aujourd’hui. Or, alors que les enjeux de sécurité collective s’affirment partout de manière croissante, le signal et les garanties que la France, au travers de ce projet de loi de programmation, et plus largement l’Europe – j’y reviendrai – donnent ne paraissent pas à la hauteur.

Je ne sous-estime pas vos efforts, monsieur le ministre ; ils sont tout à fait réels, et chacun le reconnaît. Nous vivons cependant dans un monde dangereux, paradoxal, qui voit de très nombreux pays, dont les États émergents, se réarmer massivement face à la démobilisation croissante et chronique de l’Europe.

Si nous connaissons les raisons, essentiellement économiques, de cette asymétrie, force est de constater que cette évolution est particulièrement inquiétante au moment où nous sommes confrontés à de nouveaux enjeux stratégiques dont la gravité s’affirme aux portes de l’Europe.

Je ne les passerai pas tous en revue, car vous les connaissez parfaitement : du Mali au Proche-Orient, des menaces du cyberterrorisme à la piraterie en passant par la difficile transition arabe, ces nombreux exemples appelleraient de la part de l’ensemble des pays européens une conscience plus aiguë de leur sécurité, une nécessité d’ailleurs renforcée par la décision américaine de se tourner davantage vers l’Asie et le Pacifique sur le plan stratégique.

Dans ce contexte, votre proposition peine à afficher un chiffre consolidé de 190 milliards d’euros pour les cinq ans à venir. Chacun le reconnaît, c’est une limite minimale dont dépend en réalité notre crédibilité. Nous avons tous le sentiment que c’est peut-être moins le chiffre annoncé que le respect de son exécution qui peut susciter de légitimes et graves interrogations.

En effet, ce seuil plancher ne laisse en réalité aucune marge de manoeuvre à la France et nous engage de manière irréversible pour les vingt prochaines années, au prix sans aucun doute de renoncements importants au moment où les défis globaux appellent une réactivité et une capacité optimales.

Je reviendrai simplement sur les quelques questions qui ont été souvent posées : la question des ressources exceptionnelles et des moyens de les garantir, la question des OPEX, si importante au moment où nous sommes sur le point d’intervenir en République Centrafricaine, mais aussi la question de nos forces, de nos sites et de nos emplois industriels, affectés par des réductions drastiques. Quelle que soit la volonté affirmée, tout cela nous paraît aujourd’hui compromis.

La réponse à ces défis globaux passe aussi, je voudrais y insister, par le renforcement de notre architecture de sécurité collective. Il faut le rappeler : la défense nationale n’est pas qu’une question de souveraineté, c’est aussi une question d’autorité politique dans le monde. Notre siège au Conseil de sécurité de l’ONU est un élément fondamental de cette autorité politique ; nous devons donc le renforcer. Nous devons aussi tirer toutes les conséquences de notre retour dans le commandement intégré de l’OTAN. Enfin, nous devons renforcer le pilier européen de la défense et consolider l’Europe pragmatique, celle des partenariats, à l’image du bon exemple des accords de Lancaster House signés avec le Royaume-Uni. Il faut cependant aller plus loin dans ce domaine. À cet égard, j’aimerais que vous nous précisiez les projets de coopération que la France souhaite développer avec l’Allemagne ou la Pologne dans ce nouveau champ de l’intelligence et de l’innovation.

Je voudrais également insister sur l’importance du partenariat transatlantique, essentiel pour l’avenir de notre sécurité collective. La perspective ouverte par le pivot américain nous impose de le repenser, de le réorienter, de lui redonner un contenu et de le partager. La nécessité rendra peut-être intelligent ; il faut en tout cas le souhaiter.

Je conclurai en évoquant le Conseil européen de décembre 2013 consacré aux questions de défense et de sécurité, qui doit lui aussi servir une prise de conscience nouvelle de nos partenaires européens. La France a une responsabilité particulière à assumer dans ce cadre. L’Europe ne saurait être tentée par une forme de neutralité qui ferait d’elle une grande ONG, marginalisée sur le plan stratégique.

Quels sont, monsieur le ministre, les engagements et les objectifs que vous pouvez poursuivre à très court terme dans la réévaluation de cette politique de défense collective ?

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