Intervention de Jean-Yves le Drian

Séance en hémicycle du 27 novembre 2013 à 21h30
Loi de programmation militaire 2014-2019 — Discussion générale

Jean-Yves le Drian, ministre de la défense :

Cela serait trop complexe même si en commission – j’y suis allé souvent, vous avez bien voulu le reconnaître – j’ai déjà eu l’occasion de répondre sur nombre de sujets.

Au terme de cette discussion générale, je souhaite donc reprendre quelques points qui me semblent essentiels.

J’ai observé que le thème du « déclassement stratégique » a hanté certains propos, sans doute parce que les débats étaient nocturnes, mais je dois dire que même en cherchant bien je n’ai trouvé nulle trace de quelque dérive que ce soit dans ce projet de loi de programmation militaire.

Pourtant, nous avons plusieurs fois entendu que la France ne serait plus aujourd’hui une puissance globale et qu’il fallait, par une sorte d’acte de contrition, en prendre enfin acte. Je ne sais pas si, comme le disait M. de Rugy, nous avons été une puissance globale mais je sais que la France est aujourd’hui présente en de nombreux points du globe, y compris avec ses territoires, et qu’il n’est guère de zone dont nous puissions nous désintéresser.

Je ne considère absolument pas que nous ayons renoncé à notre rang. À force d’entendre cette espèce d’acharnement, il y a de quoi être un peu surpris. Cette « boulimie dans le déclinisme » me paraît être un plaisir malsain, voire presque coupable lorsqu’il s’agit des enjeux liés à la sécurité du pays.

Comment peut-on prétendre sérieusement que nous perdrions notre rang ou notre souveraineté avec une armée qui comptera en 2019 185 000 militaires, 225 avions de chasse, 4 sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, un porte-avions nucléaire, 15 frégates de premier rang, 6 sous-marins d’attaque, des capacités d’entrée en premier dans les trois milieux terrestre, aérien et maritime, sur des théâtres de guerre comme de gestion de crise, des forces spéciales renommées et renforcées qui passent de 3 000 à 4 000 hommes, des moyens de transport stratégique en voie de renouvellement, le lancement d’une dizaine de satellites militaires dans les années à venir ?

Bref, il n’est pas très sérieux de continuer à tenir ce discours du déclin annoncé voire, ai-je même entendu, de la « défense bonsaï ». Si elle est « bonsaï », c’est avec des bonsaïs géants ou grotesques ! Vraiment, je trouve que ces propos finissent par être un peu déplacés. Je serais même tenté de dire à ce moment : le déclassement, cela suffit !

Nous n’avons pas besoin non plus de céder à la tentation un peu française du « cocorico » pour constater que nos forces armées, notre industrie, nos ingénieurs et nos soldats, mais aussi nos services de renseignement, comptent parmi les meilleurs et compteront encore à ce rang, puisque c’est notre souci et que c’est notre objectif pour 2019, au terme de cette loi.

Je veux réaffirmer ici que notre présence dans le monde restera importante, significative, et que la France assumera ses responsabilités, en particulier parce qu’elle est membre du Conseil de sécurité et que cette loi de programmation permettra à notre pays de continuer à assurer l’ensemble de la défense de ses intérêts et de ses responsabilités. À cet égard, je partage les observations que M. Lefebvre a faites tout à l’heure.

C’est pourquoi, je crois nécessaire de rappeler quelques réalités inscrites dans ce projet de loi de programmation militaire, que la passion des propos tenus a peut-être fait un peu oublier.

Tout d’abord, ce projet de loi de programmation militaire traduit une ambition forte, tant au regard de la situation de nos finances publiques que par comparaison avec nos grands partenaires. Ce projet est ambitieux et réaliste, et le dire n’a rien de rhétorique.

L’ambition, c’est d’avoir marqué, comme l’a fait le Président de la République et comme l’ont reconnu nombre d’entre vous, un effort de défense significatif. Qui soutenait, il y a un an – même au sein de la commission de la défense –, que nous pourrions maintenir en 2014 et 2015, fût-ce en valeur, les ressources de 2012 et 2013 pour la défense ?

Dans un contexte pourtant difficile, le maintien de ce budget à son niveau actuel puis son augmentation à compter de 2016 résultent d’un arbitrage politique fort, comme j’ai eu l’occasion de le rappeler hier en répondant au Premier ministre François Fillon. Le budget de la défense est au même niveau que celui que nous avons trouvé en 2012, lequel était supérieur à celui de 2011. Je souhaite que l’Assemblée nationale prenne bien en compte cette affirmation d’une volonté politique forte.

Les montants financiers inscrits dans la loi, jusqu’à 190,5 milliards, devraient inciter à tenir des propos plus mesurés, surtout à un moment, cela a été rappelé, où nos voisins – ce n’est pas une raison, mais c’est un constat, surtout par rapport au concept de « déclassement » – opèrent des coupes sombres et diminuent significativement leur budget de la défense, à commencer par nos amis britanniques. Je ne parle pas de nos amis américains qui, entre 2013 et 2017, diminueront de 178 milliards de dollars leur budget de la défense. Il est vrai que les dimensions ne sont pas les mêmes mais, dans la situation que nous connaissons, nous gardons quant à nous nos orientations et notre base.

Voilà pour ce qui est de l’ambition budgétaire.

Je reviens sur un point sur lequel M. Cornut-Gentille et d’autres parlementaires m’ont interrogé à propos des OPEX. Je me propose de relever une erreur d’interprétation afin d’éviter que de faux débats ne voient le jour. Lorsque l’inscription budgétaire des OPEXpasse de 630 millions en 2013 à 450 millions pour 2014 et tout au long de la loi de programmation, c’est un avantage pour le budget de la défense.

En effet, les surcoûts d’OPEX sur des décisions d’intervention comme, par exemple, celle qui aura lieu en République Centrafricaine, sont pris en charge sur l’ensemble du budget de l’État, en dehors du budget de la défense.

C’est d’ailleurs ce qui s’est passé dans le cadre de la loi de finances rectificatives, puisque notre budget a été abondé de 518 millions, soit, à l’euro près, le surcoût OPEX de 2013. Je voulais apporter cette précision puisqu’il a été question d’un « pari » sur les OPEX et qu’il n’y a pas de risque majeur sur ce plan-là.

Je souligne également que nous avons pris une série de dispositions pour garantir les ressources exceptionnelles dont, pour la première fois, l’origine est précisément décrite dans le rapport annexé au projet de loi ; nous aurons l’occasion d’en reparler tout à l’heure.

De même, nous avons inscrit dans la loi, sur ce sujet, une clause de sauvegarde particulièrement exigeante, rejoignant en cela les points de vigilance signalés par tous vos rapporteurs, aussi bien à l’Assemblée – notamment par le député Jean Launay au nom de la commission des finances – qu’au Sénat.

Nous avons prévu des examens périodiques de l’évolution de la programmation et, spécialement, un rendez-vous dès 2015 pour que nous puissions précisément faire le point ensemble sur certains grands enjeux, comme cela a été d’ailleurs relevé par vos rapporteurs.

Enfin, nous avons décidé, je le dis à l’intention de MM. Cornut-Gentille et Lefebvre, de sécuriser notre entrée en programmation – le Parlement n’a voté aucune amputation sur le budget de 2014.

Des questions se posaient quant à la loi de finances rectificative de fin 2013 et au report de charges ; or nous avons obtenu une ressource additionnelle de 500 millions d’euros, qui témoigne de la volonté du Gouvernement de maintenir inchangée l’ambition de cette loi, quelles que soient les vicissitudes de fin de gestion de l’année précédente.

J’ai bien entendu l’appel de M. Cornut-Gentille et je veux l’assurer que je travaille activement, avec le ministère des finances, à la mise en place des dispositifs qui permettront à l’ensemble des ressources exceptionnelles d’être effectivement au rendez-vous dès 2015. Certains craignaient qu’il faille attendre 2016 ou 2017 : sachez que nous mettons tout en oeuvre pour que ces ressources exceptionnelles soient au rendez-vous en 2015, comme elles le seront en 2014.

Le député Daniel Boisserie a justement relevé le progrès introduit par l’article 4 ter, qui permet au Parlement de vérifier l’exécution de l’ensemble de ces dispositions. M. Frédéric Lefebvre a fait une proposition qui va dans le même sens, et dont nous aurons l’occasion de discuter lors de l’examen de cet article. Personne ne peut nier que la possibilité qui est désormais donnée à la commission de la défense d’effectuer des contrôles sur pièce et sur place marque une avancée, puisque la commission contrôlera aussi bien la mise en oeuvre de la loi de programmation que sa sécurisation pour l’avenir.

Deuxième remarque : notre ambition ne saurait se mesurer à l’aune de la seule arithmétique. Le nombre ne fait pas une stratégie et, sur la base de l’effort que nous consentons, c’est une nouvelle stratégie militaire, adaptée à notre environnement, que porte ce projet de loi. Je vous rappelle d’abord qu’il fait suite à un nouveau Livre blanc, qui offre une vision renouvelée de notre environnement stratégique, fondée sur le retour d’expérience, mais aussi sur une analyse géopolitique, qui ont l’un et l’autre été assez largement partagées dans cet hémicycle.

Menaces de la force, risques de la faiblesse, dangers de la mondialisation : la clarté de la vision du Livre blanc est difficilement contestable, et je crois qu’elle n’est pas contestée. Cette analyse met également en évidence les enjeux majeurs que constituent la prolifération et la cyberdéfense, comme l’ont justement souligné les députés Francis Hillmeyer et Jean-Yves Le Déaut, qui ont mis le doigt sur ces risques nouveaux et sur l’urgence d’y parer.

Nous allons adapter nos forces à la réalité des opérations et des risques de conflits, grâce notamment à l’application, dans nos forces, du principe de différenciation. Monsieur Fromion, sachez que ce principe de différenciation, sur lequel vous m’avez interrogé, résulte d’une conviction, à savoir que l’on ne saurait préserver nos ambitions et assurer notre sécurité sans faire aujourd’hui des choix. Et ces choix, nous les avons faits en fonction de l’analyse des conflits.

Oui, nous avons fait le choix de décrire des forces adaptées aux conflits majeurs, nous avons fait le choix de la modernisation maximum des équipements dans les secteurs clés où la supériorité technologique de premier rang est le facteur déterminant du succès, alors que certains croyaient pouvoir prophétiser la fin de la guerre. Oui, nous avons fait le choix de prévoir, en outre, des forces prioritairement adaptées à la gestion des crises au milieu des populations, en conservant par exemple une armée de terre aux effectifs importants et faciles à déployer, alors que d’autres militaient – j’ai entendu beaucoup d’experts s’exprimer ainsi – pour une armée limitée au nucléaire, d’un côté, et aux forces spéciales, de l’autre. Ce n’est pas notre choix.

Dans le même registre, nous avons également pris les moyens d’assurer la continuité de la mission de protection de notre territoire outre-mer et la surveillance de nos espaces maritimes, répondant ainsi aux préoccupations exprimées par MM. Gwendal Rouillard, Gwenegan Bui, Philippe Folliot et Philippe Vitel. Je tiens à leur dire que nous sommes engagés dans le renouvellement des bâtiments navals correspondants, qu’il s’agisse des B2M ou des BSAH, et je confirme également à M. Vitel le maintien du programme BATSIMAR, qui n’interviendra qu’en fin de programmation, mais qui est maintenu dans nos objectifs.

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