Monsieur le président, monsieur le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, mesdames, messieurs les députés, reconnaître le vote blanc dans la pratique du suffrage universel, c’est aussi reconnaître une démarche d’importance car elle est intimement liée à la notion même de démocratie représentative.
La reconnaissance du vote blanc n’est pas une question nouvelle, loin s’en faut. Elle est ainsi régulièrement évoquée par les associations comme par de nombreux citoyens intéressés, qui s’étonnent que leurs bulletins blancs ne soient pas distingués des votes nuls. Un sondage récent indique d’ailleurs que pas moins de 69 % des Français estimeraient nécessaire de reconnaître le vote blanc aux élections. À une époque où l’on scrute de plus en plus finement l’état de l’opinion comme les comportements électoraux, il peut apparaître en effet surprenant que nous ne puissions pas connaître l’ampleur exacte du phénomène du vote blanc, ainsi que l’a souligné M. le rapporteur dans ses travaux.
La reconnaissance du vote blanc n’est pas une question nouvelle, elle plonge ses racines dans l’histoire institutionnelle de notre pays. Les débats ici même il y a un an furent l’occasion de le rappeler. Dès, le 18 ventôse an VI, ce qui, comme chacun le sait, correspond au 6 mars 1798, fut votée une loi autorisant le vote blanc, au moment même où le vote par bulletin était systématisé. Comme le soulignait le président Urvoas dans son intervention en séance l’année dernière, depuis le décret impérial pris le 2 février 1852, qui est, en un sens, l’ancêtre de l’article L. 66 du code électoral aujourd’hui applicable, des dizaines d’initiatives, tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale, ont été déposées.
Cette question trouve également un écho en dehors de nos frontières. En Europe, trois pays reconnaissent ce bulletin vierge. La Suisse comptabilise les bulletins blancs au premier tour des élections au scrutin majoritaire. L’Espagne, si elle considère les votes blancs comme valides à tous les scrutins, refuse que ces votes soient traduits en sièges. Enfin, la Suède ne reconnaît le vote blanc que dans certaines élections, notamment les référendums.
Monsieur le rapporteur, vous avez souligné à juste titre que le vote blanc et l’abstention ne se confondent pas, même s’ils se superposent parfois. Le vote blanc n’est pas uniquement l’expression de gens indécis, indifférents ou sans opinion. Il n’est pas non plus confondu avec les erreurs matérielles, volontaires ou involontaires, qui caractérisent le vote nul. Le message formulé par des concitoyens qui se sont déplacés pour accomplir leur devoir électoral ne peut être considéré comme négligeable. Une élection démocratique n’est pas une simple mesure de l’opinion. Un scrutin n’est pas un sondage, car on vote non pas pour soi, mais dans l’intérêt de la société. La finalité des consultations demeure la désignation d’un ou de plusieurs représentants ou la réponse à une question, ainsi que vos échanges en commission l’ont relevé.
Mesdames, messieurs les députés, le vote blanc a également une valeur contestataire, et sa croissance inquiète. Il heurte la conception traditionnelle du suffrage selon laquelle des élections doivent permettre de sélectionner les responsables publics. Dans ce contexte, vaut-il mieux reconnaître le vote blanc comme une forme d’exutoire civique et élargir ainsi l’offre politique ou bien encourager une expression protestataire nettement plus périlleuse pour notre démocratie représentative ?
La proposition de loi débattue aujourd’hui vise donc à organiser la reconnaissance du vote blanc aux élections après une première lecture intervenue à l’Assemblée puis au Sénat. Ce texte rend justice aux électeurs qui se déplacent pour aller voter et manifestent à cette occasion une opinion qui doit être respectée. Ce fut, je crois, l’appréciation de l’Assemblée nationale en première lecture. C’est également la conviction du Gouvernement.
À ce stade, il me semble que les travaux de la Haute assemblée rejoignent ceux de l’Assemblée pour considérer qu’il n’est pas concevable de prévoir la reconnaissance du vote blanc comme suffrage exprimé. Une telle disposition aurait des conséquences que le Gouvernement ne peut accepter et que je ne crois pas nécessaire de rappeler. Il y aurait ainsi une difficulté juridique incontestable pour l’élection présidentielle, puisque l’article 7 de la Constitution dispose que « le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés ». C’est un point qu’a d’ailleurs relevé M. Sergio Coronado en commission.
Qu’il me soit également permis ici d’évoquer le souvenir du regretté Guy Carcassonne, qui, tout en estimant qu’il serait temps de reconnaître le vote blanc, jugeait également que « ces votes blancs devraient continuer à ne pas être considérés comme suffrages exprimés, sauf à contraindre accidentellement à des seconds tours superflus ».
Lors de sa séance du mercredi 20 novembre 2013, votre commission des lois a modifié sur deux points le texte adopté par le Sénat. Sur proposition de M. Coronado et de M. Popelin, vous avez rétabli la disposition adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale puis supprimée par le Sénat, selon laquelle une enveloppe vide introduite dans l’urne est assimilée à un vote blanc. Également sur proposition de M. Popelin, vous avez, en outre, reporté au 1er avril 2014, soit postérieurement aux prochaines élections municipales, la date d’entrée en vigueur de la réforme, qui avait été fixée au 1er mars lors de la lecture au Sénat en début d’année. Ces modifications ont le soutien du Gouvernement.
Sur le premier point, il ne faudrait pas qu’une initiative mal appréhendée soit le prélude à la nécessité d’imprimer et de distribuer des bulletins blancs. Cette orientation mériterait, à tout le moins, une évaluation particulière. Convenez qu’à l’heure où l’on supprime nombre de documents pour économiser le papier, il peut paraître étonnant d’obliger à envoyer des bulletins blancs et à les disposer sur des tables. Cette charge publique nouvelle peut légitimement nous interroger en ces temps d’extrême attention à l’évolution de la dépense publique. Une telle orientation mériterait par ailleurs une évaluation politique, car le sens et la portée de la proposition de loi s’en trouvent profondément altérés. Songez ainsi à l’effet d’entraînement de millions de bulletins blancs lors des dernières grandes consultations, élections présidentielles ou référendums.
S’agissant de la date d’application de la loi, nous savons tous que, comme l’a rappelé M. Popelin en commission, l’organisation logistique des élections municipales est lourde, et l’administration ne peut la préparer que dans le cadre d’une législation stable. Or, à ce jour, certains éléments de cette préparation ont déjà été mis en oeuvre sans tenir compte de ce texte, qui, je le rappelle n’est pas encore applicable, car le Sénat sera amené à son tour à l’adopter, voire à le modifier. Il convient donc de trouver une date qui permette une entrée en vigueur dans le courant de l’année 2014. Les premières propositions de loi remontant déjà à 1880, je ne vois aucune urgence à déstabiliser les services comme les électeurs en adoptant une entrée en vigueur trop rapprochée.
Dans un même souci de transparence, je vous proposerai en outre un amendement de coordination précisant que les bulletins blancs ne sont pas des bulletins nuls lors des élections municipales.
Mesdames, messieurs les députés, le Gouvernement est favorable à cette initiative, qui permet d’apprécier dans de plus justes proportions le phénomène d’abstention et de vote blanc, qui n’est pas limité à la France et qui touche des États de tradition démocratique ancienne comme des démocraties plus jeunes.