Intervention de Alain Moyne-Bressand

Réunion du 27 novembre 2013 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Moyne-Bressand, rapporteur :

Le territoire français n'échappe pas aux invasions biologiques, et de nombreux exemples nous rappellent les conséquences environnementales, sanitaires et économiques de ce phénomène qui ne doit pas être sous-estimé.

L'ambroisie à feuilles d'armoise en est un exemple. C'est une espèce végétale envahissante, venue d'Amérique du Nord, présente sur notre sol depuis plus d'un siècle et en expansion sur tout le territoire national. Elle est particulièrement bien implantée dans la région Rhône-Alpes et dans le bassin de la Loire et de l'Allier ; mais elle est aussi présente dans d'autres régions où elle se répand, soit sur de vastes espaces, soit sous forme de pieds isolés. En l'état actuel des connaissances, seuls neuf de nos départements seraient épargnés : l'Ariège, la Charente, la Dordogne, le Lot-et-Garonne, la Manche, la Mayenne, la Meuse, l'Oise et les Pyrénées Atlantiques.

Les raisons de cette expansion sont multiples. Celle-ci reste avant tout favorisée par l'activité humaine : l'importance des surfaces laissées en friche ou en jachère, ainsi que le développement des cultures de soja et de tournesol ; la hausse des températures moyennes et la raréfaction des gels précoces en automne ; le développement des transports de matériaux et de matériels de construction ; la multiplication des voies de communication et l'augmentation des sites de construction en milieu urbain et périurbain. C'est surtout à la faveur des grands travaux d'aménagement du territoire que l'ambroisie est partie à la conquête des zones où le climat lui était favorable, et c'est depuis vingt-cinq ans qu'elle peut être qualifiée d'envahissante. Dans ma région, le facteur déclencheur a été le chantier de l'aéroport de Satolas-Lyon Saint-Exupéry.

La prolifération de l'ambroisie à feuilles d'armoise a un triple impact : agronomique d'abord – avec des pertes de rendement qui vont de 20 % pour les cultures de céréales à 70 % pour le tournesol et la betterave -, environnemental et surtout sanitaire.

L'impact sur la santé publique est très négatif, en raison du pouvoir allergisant du pollen, considéré comme l'un des plus puissants déclencheurs de rhumes des foins, de rhinites allergiques, de conjonctivites, voire de dermatites et de crises d'asthme. Selon de récentes études médicales, 10 à 20 % des patients européens présentant des allergies au pollen souffriraient d'allergies à l'ambroisie. Dans la région Rhône-Alpes, 12 % de la population souffrirait d'allergies liées à l'ambroisie dans la période de production, soit de juin à octobre.

La prévention est le meilleur moyen de contrôler l'invasion d'une espèce végétale, car il devient beaucoup plus difficile de lutter lorsque les plantes envahissantes se sont propagées sur de larges portions du territoire et en population dense. La dissémination de l'ambroisie à feuilles d'armoise en France est d'une telle ampleur que son éradication est devenue impossible, mais il est impératif de réduire son expansion.

Différentes méthodes sont utilisées : fauchage ou arrachage, couverture du sol par des plantes ou des bâches de chantiers, recours aux herbicides – qui restent dépendants des conditions météorologiques et du stade de développement de l'ambroisie.

Toutes les stratégies de lutte sont basées sur la prévention de la production parallèle de pollens et de graines, les akènes constituant la seule voie de multiplication de l'ambroisie. Pour lutter efficacement contre la dissémination, il faut donc allier méthodes et coordination des acteurs concernés, en recourant à des solutions complémentaires entre elles utilisées en permanence, dans la continuité des saisons.

D'un point de vue juridique, la lutte contre les ambroisies a fait l'objet d'un encadrement réglementaire et, plus tardivement, législatif, pour permettre à la France de respecter ses engagements européens et internationaux en matière de biodiversité. Les espèces invasives, qu'elles soient végétales ou animales, ont en effet été définies comme l'un des cinq facteurs aggravant l'érosion de la biodiversité. Le texte vise à rendre cet encadrement plus cohérent et plus efficace, pour l'adapter à l'urgence de la situation créée par la propagation rapide de l'ambroisie à feuilles d'armoise.

La lutte contre ce fléau s'inscrit dans l'objectif défini par la loi du 23 août 2009, dite « Grenelle I », de mettre un terme à la perte de biodiversité. Dans son article 23, la loi prévoit en effet la mise en oeuvre de plans de lutte contre les espèces exotiques envahissantes afin de prévenir leur installation et leur extension et de réduire leurs impacts négatifs.

Cet objectif a été codifié à l'article L. 411-3 du code de l'environnement, qui prévoit la possibilité d'interdire l'introduction des espèces exotiques envahissantes dans le milieu naturel. L'article 415-3 du même code prévoit de sanctionner d'une amende de 9 000 euros et de six mois d'emprisonnement l'introduction volontaire, le transport et la commercialisation de ces espèces.

Conformément à la Convention sur la diversité biologique, dont l'objectif 9 prévoit que, d'ici à 2020, les espèces exotiques envahissantes et les voies d'introduction sont identifiées et classées en ordre de priorité, les espèces prioritaires étant « contrôlées ou éradiquées ». La lutte contre les espèces invasives est par ailleurs l'un des objectifs de la stratégie nationale pour la biodiversité pour la période 2011-2020.

Un arrêté du ministre de l'agriculture en date du 13 juillet 2010 a inscrit l'ambroisie sur la liste des espèces invasives, en définissant la nature du couvert végétal des bandes tampons autorisées entre parcelles cultivées. Cette liste peut être complétée par le préfet en fonction du contexte local, ce qui ouvre la voie à l'inscription de l'ambroisie trifide et de l'ambroisie à épis lisses dans un cadre régional ou départemental.

Indépendamment de la lutte contre l'ambroisie en tant qu'espèce invasive du point de vue de l'érosion de la biodiversité et de la protection des parcelles agricoles, les pouvoirs publics ont aussi agi dans le domaine de la santé publique. En 2011, le ministère de la santé a créé avec l'Institut national de la recherche agronomique, et sous l'autorité de la direction générale de la santé, l'Observatoire de l'ambroisie, qui a réalisé la première cartographie nationale de sa dissémination sur notre territoire. Le ministère a par ailleurs intégré la lutte contre l'ambroisie au Plan national santé – environnement 2 (2009-2013), au titre de l'action n° 22 Prévenir les allergies.

La lutte contre l'ambroisie s'impose aussi pour permettre à notre pays de respecter les engagements européens et internationaux souscrits lors de la signature de la Convention de Rio, de la Convention de Berne et de la Convention de Nagoya en 2010.

De nombreux outils réglementaires existent au niveau européen pour lutter contre les espèces invasives. La directive phytosanitaire de 2000 a établi une liste communautaire des organismes nuisibles aux végétaux et aux produits végétaux. Mais, comme le texte ne prend pas en compte l'incidence de ces organismes sur la santé humaine, l'ambroisie à feuilles d'armoise n'y figure pas. Des progrès pourraient être faits à ce sujet au sein de l'Union européenne, notamment grâce à une action conjointe de la France et des autres États les plus touchés, tels la Hongrie et la Croatie.

Cette action recouperait d'ailleurs une des préoccupations de la Commission européenne, qui a relancé la stratégie européenne de gestion des espèces envahissantes en 2010, après avoir présenté en 2008 une communication à ce sujet, dans laquelle elle faisait état « de nombreux problèmes sanitaires, notamment des allergies et des affections cutanées, (...) provoquées par des espèces envahissantes telle que l'ambroisie à feuilles d'armoise ». La Commission estimait par ailleurs les dommages causés par ces espèces et les moyens nécessaires pour lutter contre leur développement à 12 milliards d'euros par an au moins.

Sous la précédente législature, deux propositions de loi relatives à la lutte contre la propagation de l'ambroisie avaient été déposées, mais aucune n'avait été inscrite à l'ordre du jour de notre Assemblée. Un comité parlementaire de suivi du risque ambroisie avait cependant été créé en avril 2011, que présidait notre collègue Jacques Remiller ; j'en assume désormais la responsabilité.

L'ordre du jour de la séance publique du 5 décembre, réservée au groupe UMP, permettra d'examiner ce nouveau texte, que je vous demande d'adopter et sur lequel je proposerai quelques améliorations, pour l'essentiel rédactionnelles et de clarification.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion