Madame la présidente, madame la présidente de la commission, madame la ministre, mes chers collègues, je suis très honoré d’être aujourd’hui rapporteur de la proposition de loi relative à l’expérimentation des maisons de naissance, et ce pour plusieurs raisons.
La première tient au fait que, en travaillant sur ce texte, j’ai énormément appris sur la prise en charge de la grossesse, de l’accouchement et, plus globalement, sur la périnatalité dans notre pays.
C’est un sujet passionnant qui mérite d’être débattu par la représentation nationale, dans un pays comme le nôtre, où nous avons la chance, contrairement à nos voisins européens, d’avoir un taux de natalité élevé et une politique familiale active. Les conditions dans lesquelles les femmes et les couples sont amenés à vivre la naissance de leur enfant et à advenir en tant que parents, l’accompagnement dont ils bénéficient à ce moment-là, jouent, me semble-t-il, un rôle non négligeable dans cette expérience et dans le choix qu’ils peuvent faire ensuite de la vivre à nouveau.
La deuxième raison, c’est que nous participons aujourd’hui, si ce n’est à l’aboutissement, du moins au franchissement d’une étape capitale, d’un projet de longue date porté par plusieurs ministres de la santé successifs, par les sages-femmes, par des parents et des associations de parents, dont je salue l’engagement militant et désintéressé, mais également par des gynécologues obstétriciens. Je pense ici aux positions prises par le Pr Francis Puech que nous avons d’ailleurs auditionné en commission, et plus récemment par le conseil national des gynécologues obstétriciens.
Si nous adoptons le texte qui nous est soumis aujourd’hui, ce sera donc une avancée très positive pour tous ceux qui ont oeuvré depuis plus de dix ans en faveur du projet des maisons de naissance.
Enfin, je suis d’autant plus honoré de vous présenter ce texte qu’il a été adopté à l’unanimité par la commission des affaires sociales. Cela n’est sans doute pas une première, mais c’est une circonstance suffisamment rare pour qu’elle soit soulignée. Il nous est tous agréable, je pense, de trouver parfois des terrains d’entente sur des sujets qui dépassent les clivages politiques.
C’est pourquoi je veux remercier mes collègues sur tous les bancs, pour leur présence et leur intérêt lors des auditions que j’ai menées. Le travail entre tous les groupes parlementaires a été extrêmement constructif. Nous nous sommes interrogés ensemble sur les conditions de l’expérimentation, sur le niveau de sécurité exigé, sur les conséquences éventuelles pour les établissements de santé sur nos territoires, en particulier pour les petites maternités, et je crois que c’est en cheminant ainsi ensemble que nous avons abouti à un consensus.
Ce consensus porte au moins sur deux points qui me paraissent essentiels.
Le premier concerne la nécessité de répondre à la demande qui s’exprime : demande des couples et surtout des femmes d’accoucher dans des conditions moins médicalisées et moins standardisées qu’à l’hôpital, demande des sages-femmes aussi, qui sont des professionnelles de santé très bien formées et très compétentes de voir leur rôle valorisé grâce à une plus grande autonomie dans la gestion des accouchements physiologiques.
Le second porte sur la nécessité de prévoir un encadrement légal des initiatives qui ont déjà commencé à voir le jour. L’expérimentation proposée répond parfaitement à cet objectif en prévoyant un cadre juridique clair, assorti d’un renvoi à un cahier des charges élaboré par la Haute autorité de santé et d’une évaluation réalisée par l’État qui permettra de vérifier la validité des hypothèses sur lesquelles repose l’expérimentation avant d’envisager une éventuelle pérennisation.
Pour ceux qui n’auraient pas suivi nos débats en commission, je rappellerai brièvement qu’une maison de naissance est une structure gérée par des sages-femmes où celles-ci prennent en charge le suivi de la grossesse, l’accouchement et les suites de couches des femmes qui ont une grossesse et un accouchement physiologiques, c’est-à-dire normaux, ne présentant a priori aucun risque particulier. Les maisons de naissance ne sont pas des établissements de santé, elles n’offrent pas de possibilité de séjour et les sages-femmes qui y exercent ont en principe un statut libéral, même si l’on peut imaginer la création de maisons de naissance hospitalières ou de structures mixtes.
Les modalités de prise en charge en maison de naissance reposent sur le principe « une femme – une sage-femme » permettant de mettre en oeuvre un accompagnement global à la naissance, fondé sur une relation de confiance et d’écoute mutuelles. Cette relation privilégiée avec une sage-femme référente permet aux futurs parents de réaliser un projet de naissance dans un cadre moins médicalisé et plus intime qu’à l’hôpital.
Il convient toutefois d’insister sur le fait que toutes les femmes ne peuvent pas être prises en charge en maison de naissance. Non seulement la grossesse et l’accouchement doivent être physiologiques, mais une sélection doit être opérée par les sages-femmes permettant d’exclure d’emblée les situations à risque, par exemple les cas de diabète, d’hypertension ou encore de grossesse gémellaire.
En outre, un partenariat étroit doit être instauré entre la maison de naissance et une maternité partenaire afin d’organiser, en cas de besoin, le transfert vers une prise en charge hospitalière, que ce soit pendant la grossesse ou pendant l’accouchement.
S’agissant précisément de l’accouchement, il convient de souligner qu’aujourd’hui, en l’absence de cadre légal, la naissance, c’est-à-dire l’expulsion du bébé, ne peut avoir lieu au sein de la maison de naissance pour des questions de responsabilité. La sage-femme et la future maman doivent ainsi se déplacer avant l’arrivée du bébé, dans une salle de naissance de la maternité partenaire.
L’objet de la présente proposition de loi est donc avant tout d’autoriser, dans un cadre expérimental, une prise en charge complète de la grossesse, de l’accouchement et des suites de couches en maison de naissance, de prévoir des conditions précises d’autorisation de ces structures et de réalisation des accouchements, et d’accompagner cette expérimentation par un financement dérogatoire.
L’encadrement prévu par le texte me paraît à même de lever les interrogations qui s’étaient fait jour lors du précédent débat au Parlement en 2010.
Ainsi, concernant la sécurité des soins, l’article 1er prévoit un principe de contiguïté et d’accès direct de la maison de naissance à la maternité afin de permettre un transfert rapide de la parturiente vers un plateau technique. Il rend également obligatoire la signature d’une convention entre les deux structures, qui se traduira par l’application de protocoles, notamment en cas de transfert prévoyant, par exemple, un numéro d’urgence dédié ou des modalités de partage des données médicales.
Enfin, l’article 3 fait reposer l’expérimentation sur un cahier des charges adopté par la Haute autorité de santé qui permettra de garantir que, sans être en milieu hospitalier et se voir appliquer stricto sensu les mêmes normes, les maisons de naissance répondent à des critères élevés de sécurité et d’hygiène.
En outre, tous les exemples étrangers, notamment au Québec, au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas, où l’accouchement physiologique en maison de naissance représente déjà une part significative des naissances, démontrent que mettre au monde son enfant en maison de naissance ne présente pas de risque supplémentaire par rapport à une structure hospitalière, et ce alors même que dans tous ces pays les maisons de naissance sont indépendantes des établissements de santé et peuvent être distantes de plusieurs kilomètres.
Mais il ne s’agit pas là du modèle que nous avons souhaité retenir dans le cadre de l’expérimentation. En effet, la proposition de loi ne prévoit pas qu’une maison de naissance puisse s’implanter sur un territoire de manière isolée. C’est une question importante car la crainte s’était également exprimée en 2010 de voir se recréer des structures non médicalisées là où des petites maternités avaient préalablement été fermées, pour des raisons de sécurité, ou de voir les maisons de naissance concurrencer des maternités qui se situent juste à la limite des 300 accouchements par an. Cela sera strictement impossible. S’il n’y a pas de maternité, il ne pourra pas y avoir de maison de naissance.
Comme je l’ai dit, l’article 1er dispose en effet que la maison de naissance est contiguë à un établissement de santé autorisé en obstétrique et il prévoit en outre que les accouchements réalisés seront comptabilisés avec ceux de la maternité partenaire, précisément afin d’éviter de mettre en danger la pérennité de l’établissement.
Enfin, s’il y avait un doute dans les esprits, je tiens à le dissiper et à affirmer clairement que la proposition de loi n’a pas pour but de promouvoir un type particulier d’accouchements, au détriment de la prise en charge offerte dans les services d’obstétrique des établissements de santé. Elle vise simplement à offrir un choix, à répondre à une demande, et absolument pas à revenir sur les progrès de la médecine qui ont à la fois grandement contribué à réduire la mortalité en couches ainsi que la mortalité infantile et à limiter les douleurs de l’enfantement.
Loin de moi l’idée de remettre en question ces évolutions. Rien ne justifie cependant que, dans le cas de grossesses normales, le suivi des femmes, l’accouchement ou la prise en charge de la douleur se traduisent nécessairement par une surmédicalisation, comme c’est souvent le cas aujourd’hui. La France présente ainsi un taux de péridurale, d’épisiotomie, d’extraction instrumentale ou de césarienne plus élevé que les pays voisins, sans que le recours à ces techniques ne débouche sur des taux de morbidité inférieurs ou sur une satisfaction plus importante des femmes.
Cette surmédicalisation a aussi des effets pervers. D’une part, elle peut entraîner des risques iatrogènes ou se traduire par des dystocies, y compris dans le cas de grossesses considérées comme physiologiques. D’autre part, elle tend à placer la mère,a fortiori le couple parental, dans une posture passive vis-à-vis de la naissance en contribuant à traiter la grossesse et l’accouchement comme on traiterait une pathologie.
On comprend donc la demande exprimée par un certain nombre de femmes d’accoucher dans des conditions différentes et ailleurs qu’à l’hôpital, car beaucoup de maternités sont devenues des structures de très grande taille, où les mamans ne connaissent pas le personnel présent lors de l’accouchement et peuvent rarement compter sur sa disponibilité pendant toute la durée du travail.
On estime qu’environ 10 % des femmes enceintes pourraient être intéressées par un suivi et un accouchement en maison de naissance plutôt qu’à l’hôpital, notamment des multipares à la recherche d’une expérience différente pour leur deuxième ou troisième bébé.
À cet égard, je voudrais citer un des témoignages recueillis lors de la visite à la préfiguration de maison de naissance de la maternité des Bluets, le CALM, que nous avons eu la chance de découvrir, avec Mme Biémouret, jeudi dernier. Car, au-delà de tous les arguments et de toutes les statistiques que je pourrais vous présenter, il y a cette irréductible expérience humaine qui ne saurait mieux s’exprimer que par la bouche des parents. Ces parents, ce sont Audrey et Jérémie qui, pour la naissance de leur premier enfant, à l’hôpital, disent avoir eu le sentiment d’être complètement dépossédés de l’événement. « C’était à nous de nous adapter à une procédure médicale extrêmement rigide et chronométrée », disent-ils. À l’inverse, au CALM, pour leur deuxième bébé, ils estiment avoir trouvé « une structure chaleureuse et accueillante, dans un environnement sécurisé et adapté ». « Ce choix nous a permis d’éviter une médicalisation systématique grâce à un suivi individualisé, peu intrusif et respectueux du rythme de la mère et du bébé. Toutes les questions médicales ont été évoquées sans détours avec la sage-femme, et c’est dans un esprit de concertation permanente que le suivi s’est effectué », ajoutaient-ils. Et ils concluaient sur ces mots : « Notre enfant est né à son rythme, dans un accompagnement apaisant et sécurisant à la fois ».
Pour ma part, je conclurai mon propos comme je l’ai fait en commission en vous demandant, mes chers collègues, d’adopter ce texte afin de sortir les maisons de naissance du flou juridique dans lequel elles se trouvent aujourd’hui. Ce vote permettra aux expérimentations de démarrer dans les meilleurs délais et constituera un signal très positif pour les sages-femmes et les parents qui soutiennent actuellement des projets de maisons de naissance.