La proposition de loi répond effectivement à la décision de la cour d'appel de Paris du 23 septembre, qui a condamné la société Sephora à fermer dès 21 heures son magasin situé sur les Champs-Élysées. Elle est circonscrite au travail nocturne et n'évoque pas le travail dominical, sur lequel Jean-Paul Bailly remettra dans quelques jours un rapport au Gouvernement.
À l'appui de sa décision, la cour d'appel de Paris invoque la « non-justification d'assurer la continuité de l'activité économique » pour ce commerce – alors même que celui-ci réalise 23 % de son chiffre d'affaires en nocturne, en raison des spécificités liées à sa clientèle, principalement touristique et étrangère, et à sa localisation, sur la « plus belle avenue du monde », aussi fréquentée en soirée qu'en journée.
Concrètement, la décision interdit à tout commerce de détail d'ouvrir après 21 heures, début de l'horaire de nuit depuis 2001, car, si la nécessité d'assurer la continuité de l'activité économique n'a pas été reconnue dans le cas du magasin Sephora des Champs-Élysées, il y a peu de chances qu'elle le soit pour d'autres commerces similaires, voire les commerces alimentaires. La décision de justice pourrait donc entraîner, par un effet domino, la fermeture de nombreux commerces en soirée.
Précédemment, en cas d'accord collectif, le juge n'estimait pas nécessaire d'évaluer lui-même la continuité de l'activité économique ; mais, dès lors que la cour d'appel de Paris en a jugé autrement et qu'elle considère que la nécessité d'assurer la continuité de l'activité économique n'est pas un enjeu dans le commerce de détail, nous nous trouvons face à un problème de taille : la fermeture potentielle de tous les commerces à 21 heures.
Cette décision de justice pourrait avoir des conséquences désastreuses, notamment pour tous les magasins de centres commerciaux et les supermarchés, qui ouvrent plus tard. À une époque où l'on court après la croissance, où le chômage frappe massivement la population et où la France manque cruellement de compétitivité, il serait absurde de refuser à un commerce situé dans une zone d'affluence touristique nocturne, la possibilité d'ouvrir en soirée, alors même que la quasi-totalité de nos voisins européens a libéralisé les horaires d'ouverture des commerces, voire adapté la définition du travail de nuit. Je vous renvoie à mon rapport, qui contient certaines précisions sur le sujet. À l'heure où se développe plus que jamais le commerce électronique, où Amazon conclut un accord avec la Poste américaine pour organiser ses livraisons la nuit, les règles de notre code du travail paraissent décalées.
C'est pourquoi, avec Mme Kosciusko-Morizet, M. Lefebvre et une partie des députés du groupe UMP, il nous a semblé nécessaire d'agir.
Que nos collègues de l'opposition se rassurent : la proposition de loi ne vise ni à libéraliser intégralement le recours au travail de nuit ni à saper le statut protecteur dont il bénéficie. Au contraire ! Nous avons prévu des garde-fous. Notre propos est seulement de mettre fin à des situations ubuesques, dans lesquelles, bien que situés dans des zones touristiques ou culturelles où l'on constate une importante affluence en soirée, les commerces sont contraints de baisser le rideau à 21 heures – voire plus tôt, car, quand Sephora doit faire cesser le travail de ses salariés à 21 heures dans son magasin des Champs-Élysées, celui-ci ferme en fait à 20 h 15, ce qui interdit d'accueillir de nouveaux clients à partir de 20 heures.
Ce texte vise à instaurer une dérogation dans les seules zones touristiques d'affluence exceptionnelle ou d'animation culturelle permanente. Il paraît logique de reprendre cette notion utilisée pour le travail dominical, parce qu'elle est bien connue et que les périmètres de ces zones sont d'ores et déjà délimités. Ils figurent d'ailleurs dans le projet de rapport que je soumets à la Commission. Dans ces zones, les commerces pourraient rester ouverts après 21 heures, selon la même procédure, autrement dit sur la base d'un arrêté préfectoral et d'une décision administrative. Un décret fixerait les amplitudes maximales d'ouverture puisqu'il ne s'agit nullement d'autoriser des commerces à ouvrir toute la nuit. En toute rigueur, les commerces alimentaires pourraient ouvrir jusqu'à 22 heures et les autres jusqu'à minuit.
Le recours au travail de nuit dans ce cadre resterait soumis aux modalités applicables actuellement, c'est-à-dire à la conclusion d'un accord collectif. À défaut, sa mise en place se ferait par décision de l'employeur approuvée par référendum. Je souligne qu'actuellement, les syndicats représentatifs ne sont pas toujours au diapason des salariés. Ceux de Sephora ont engagé un recours en tierce opposition, jugeant qu'ils ne sont pas représentés par l'intersyndicale qui conteste en leur nom devant la justice les conditions du travail de nuit dans l'établissement. Ce recours est en instance.
Enfin, cette proposition de loi ne visant nullement à déroger aux règles protectrices du droit du travail en faveur des travailleurs de nuit, nous proposons que les salariés perçoivent une compensation salariale au moins égale à 30 % de leur rémunération en journée.
Tel est le contenu de cette proposition de loi, sur laquelle j'ai déposé quelques amendements, à l'issue des auditions que nous avons menées depuis quelques jours.
Je propose de supprimer la condition relative à la « nécessité d'assurer la continuité de l'activité économique » pour justifier le travail de nuit dans les commerces de détail situés dans les zones touristiques. Il n'y a plus lieu de la maintenir dès lors qu'un juge considère qu'elle n'est pas remplie dans le cas d'un commerce. La rédaction du code du travail correspond davantage à des activités économiques dans lesquelles la continuité de l'activité est liée à un process industriel.
Dans le droit fil de cet amendement, je confirme que ce sera la seule condition à laquelle il sera possible de déroger, et qu'on ne pourra recourir au travail de nuit, de manière dérogatoire, que dans le respect de la sécurité et de la santé des travailleurs.
Je souhaite ensuite que, sur le fondement de l'arrêté préfectoral qui délimitera les périmètres des zones touristiques et culturelles concernées par la dérogation, l'autorisation individuelle d'ouverture soit confiée au maire.
Je propose enfin que la possibilité de recourir au travail de nuit sur la base d'une décision unilatérale de l'employeur approuvée par référendum soit préalablement soumise aux institutions représentatives du personnel (IRP) et comporte le détail des contreparties octroyées aux salariés, ce qui est le cas aujourd'hui pour le recours au travail dominical dans les périmètres d'usage de consommation exceptionnel (PUCE). Tout accord postérieur à la décision unilatérale de l'employeur se substituera d'emblée à celle-ci, car il est normal que le dialogue social prime, lorsqu'il est possible.
Je conclurai par un point qui m'a beaucoup préoccupé au cours des auditions : le volontariat est difficile à évaluer dans un contexte de chômage de masse, où les salariés ou futurs salariés sont plus contraints qu'en situation de plein-emploi. Afin de s'assurer au mieux qu'ils souhaitent effectivement travailler la nuit, je propose que leur assentiment soit recueilli par écrit. Cette procédure protégera ceux qui voudraient refuser et facilitera le retour au travail en journée de ceux qui, notamment à la suite d'un changement familial, ne souhaiteraient plus exercer leur activité de nuit. Cette procédure existe pour le recours au travail dominical dans les PUCE.
Selon la terminologie consacrée par le code du travail, le travail de nuit est celui qui est effectué entre 21 heures et 6 heures du matin. Rappelons qu'avant 2001, était considéré comme tel celui qui s'effectuait entre 22 heures et 5 heures du matin. Revenir à cette définition résoudrait déjà un grand nombre de situations problématiques, en particulier pour les commerces alimentaires.
Le texte ne concerne en rien une organisation comme le roulement, dans les usines, où le travail se fait toute la nuit en continu. Il s'agit seulement d'ouvrir à titre exceptionnel, dans des zones particulières, les commerces au-delà de 21 heures.
Ces explications me semblaient nécessaires pour éviter que nos collègues de la majorité ne balaient d'un revers de main une proposition de loi, qui doit être étudiée avec précision. Elle correspond en effet à une attente et à un besoin que nous avons identifiés, au moment où notre pays tente coûte que coûte de relancer l'activité économique.