Pour tout vous dire, chers anciens collègues, j'aurais préféré vous retrouver dans d'autres circonstances. Le Crédit immobilier de France, dont le conseil d'administration m'a demandé d'explorer toute solution alternative au run-off, est confronté à trois problèmes.
Le premier est de nature financière. La dégradation par l'agence Moody's est intervenue, rappelons-le, après une série d'avertissements concernant 114 établissements bancaires en Europe. L'une des difficultés de celui que je préside est l'absence de dépôts, difficulté d'autant plus grande qu'il ne bénéficie pas d'adossement et distribue des prêts de long terme à des « primo-accédants » : 48 % de ses clients ont ainsi des revenus inférieurs à deux SMIC, contre 15 % en moyenne dans le secteur bancaire.
Si l'on fait abstraction de ce problème de liquidités, la situation de l'établissement est saine : ses fonds propres se montent à 2,4 milliards d'euros ; quant à ses bénéfices, ils ont atteint 78 millions en 2011 et 37 millions au premier semestre de 2012. Une procédure de run-off se traduirait par un boni de liquidation quasi certain.
Revenir sur les responsabilités passées est inutile ; le fait est que les nombreuses tentatives d'adossement ont échoué.
L'avenir du CIF intéresse aussi l'économie, puisque le groupe y injecte chaque année de 4 à 5 milliards de prêts. En régions, de nombreux constructeurs sont dépendants de son activité, les prêts consentis représentant au bas mot 30 000 opérations de construction par an – je rappelle qu'en 2008, au début de la crise financière, la reprise d'un nombre équivalent d'opérations de vente en l'état futur d'achèvement – VEFA – par les organismes HLM et par la Société nationale immobilière était jugée essentielle pour les secteurs de la promotion et de la construction. D'autre part, la moitié des prêts consentis par le CIF concerne des travaux de rénovation dans l'habitat ancien, le plus souvent confiés à des artisans : si le CIF venait à disparaître, comment le relais serait-il pris par d'autres établissements, et dans quels délais ? Enfin, pour notre clientèle, l'acquisition d'un logement relève aussi de l'épargne de précaution, si bien que l'argent qui ne serait plus investi là irait à d'autres formes d'épargne, et non à l'économie.
Le troisième problème est social : les « primo-accédants » concernés libèrent des logements dans le parc social. Ils font l'objet d'un accompagnement de notre part. Leur apport personnel étant souvent faible, voire nul, et leur profil mal connu des autres établissements bancaires, il n'est pas évident que ceux-ci puissent les prendre en charge, à supposer que leurs contraintes leur permettent d'accueillir de nouveaux clients : cette question se pose par exemple pour le Crédit foncier ou pour la Banque postale, tous deux présents sur ce marché. D'une façon générale d'ailleurs, compte tenu des nouvelles règles prudentielles, le marché des « primo-accédants » a plutôt tendance à décroître.
Je rappelle enfin que 2 400 salariés sont concernés, principalement dans le secteur bancaire, à un moment où quelque 500 salariés de Dexia devront être reclassés et où la tendance, dans le secteur, n'est pas à l'augmentation des effectifs, même si les départs en retraite entraînent un certain nombre de recrutements.
Comme je l'ai dit devant le conseil d'administration, il n'est pas sûr qu'il existe une autre solution que le démantèlement ordonné. La production de prêts nouveaux ayant été arrêtée, le problème de liquidités se posera de façon cruciale dès le début de l'année prochaine. Il est donc légitime que le Parlement se saisisse de cette question d'intérêt public. En tout état de cause, le statu quo est assurément impossible. Nous avons donc proposé aux pouvoirs publics d'étudier, dans des délais compatibles avec le calendrier budgétaire, toute solution alternative au run-off, ou le scénario d'un run-off portant sur le seul stock, ce qui permettrait au CIF de se recentrer sur son coeur de métier, à savoir l'accession sociale à la propriété. Mais il reste à vérifier que cette seconde hypothèse est compatible avec le droit communautaire, et qu'elle est susceptible d'assurer la couverture des charges fixes de l'établissement. Il faut aussi se demander quels seraient les actionnaires de cette nouvelle structure qui, selon les éléments dont nous disposons, pourrait trouver son équilibre et s'assurer une part de marché significative à une échéance de cinq ou sept ans. Je me tiens évidemment à la disposition des deux commissions des Finances du Parlement, mais aussi de la direction du Trésor, pour en discuter.
Même si les stratégies d'adossement ont jusqu'à présent échoué, et si le scénario d'un adossement total me semble malheureusement peu crédible, la préservation de cet outil qui a fait ses preuves dans la durée est à mon sens de l'intérêt général. Certes, il est aujourd'hui malmené par l'absence de dépôts, comme d'autres établissements financiers, mais il dispose d'un savoir-faire et d'une connaissance du secteur irremplaçables, tous atouts qui seraient perdus en cas de démantèlement.