Intervention de Ramon Fernandez

Réunion du 22 octobre 2012 à 14h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Ramon Fernandez, directeur général du Trésor :

Le problème du CIF n'est pas la solvabilité, puisque son ratio en la matière est très élevé, mais le besoin de liquidités. On peut évidemment se pencher sur la question que vous soulevez, monsieur le député, mais, même sans la décision de 2006, la situation actuelle du CIF serait exactement la même.

Si le système ne fonctionne plus, c'est en premier lieu parce que les marchés, à partir de 2008, se sont fermés au CIF, qui a progressivement perdu de ce fait toute capacité d'émettre tandis que sa notation évoluait ; et en second lieu parce que l'entrée en vigueur prochaine des nouvelles normes prudentielles de Bâle III, relatives aux liquidités, condamnent toute activité bancaire privée de dépôts.

Les problèmes du CIF sont aggravés par son insuffisante rentabilité, laquelle n'a été maintenue, au cours des dernières années, qu'à la faveur d'un déséquilibre croissant de son bilan, de sorte que la banque est devenue très vulnérable à l'évolution des marchés. La marge qu'elle dégage sur ses crédits est telle que son résultat ne reste positif qu'à la condition qu'elle se refinance à un coût très bas, ce qui l'oblige à émettre sur des durées de plus en plus courtes et l'expose tout particulièrement à une hausse des taux d'intérêt. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les montants à garantir sont si élevés. Si le CIF émettait sur des durées plus longues, lui assurant une vulnérabilité moindre, son résultat ne serait pas positif.

Enfin, le groupe présente un bilan plus risqué que la moyenne des banques françaises, notamment parce qu'il distribue des crédits relativement atypiques à une partie de sa clientèle, en l'occurrence des crédits à taux variable pas toujours plafonnés ou à maturité révisable. Les autres banques ont abandonné ce type de pratiques en raison des risques qu'elles faisaient peser sur les emprunteurs, particulièrement en cas de hausse des taux.

Dans ce contexte, les évaluations des agences de notation ont été des révélateurs, plutôt que des causes, des difficultés rencontrées par le groupe. En mars 2012, les dirigeants de celui-ci ont saisi la Banque de France et la direction générale du Trésor, dans le contexte plus général d'une revue des notes des banques par l'agence Moody's, pour nous alerter sur les conséquences potentiellement fatales d'une dégradation. Ils ont donc sollicité la garantie de l'État. Pourquoi celui-ci n'est-il pas intervenu immédiatement ? Parce que, s'il l'avait fait, il privait la banque de toute chance de trouver un repreneur durable. Nous avons donc demandé aux dirigeants du CIF, qui ont mis quelque temps à se faire à cette idée, d'envisager une solution d'adossement auprès d'un établissement bancaire. Au mois de juin, une data room, en d'autres termes une chambre de données, a été ouverte afin de permettre aux établissements intéressés de prendre connaissance du dossier. Un candidat, la Banque postale, s'est penché sur celui-ci avant de décider, au terme d'un examen approfondi, de ne pas donner suite.

Au-delà du problème de liquidités du CIF, qui aurait dégradé sa propre situation en la matière, la Banque postale a souligné, auprès de son actionnaire public, la rentabilité insuffisante du portefeuille de crédits, qui l'obligerait à importer des pertes dans un environnement de taux moins favorable que celui connu par le CIF au cours des dernières années. Elle a également estimé que ce portefeuille, plus risqué que la moyenne en raison des caractéristiques très atypiques de certains prêts, ne correspondait pas aux normes de distribution qu'elle souhaitait mettre en oeuvre en ce domaine dans son propre réseau. Le taux de surendettement est d'ailleurs relativement élevé au sein de la clientèle du CIF.

Enfin, la Banque postale a jugé qu'en dépit de la solvabilité satisfaisante du CIF, l'intégration de celui-ci dans son capital, loin d'augmenter ses fonds propres, serait susceptible de dégrader ses propres ratios de solvabilité, compte tenu de l'obligation de réévaluer l'actif net de ce groupe.

Plus généralement, elle a souligné que cette opération, qui ne présentait pour elle aucun intérêt stratégique, lui faisait en outre courir des risques accrus à un moment où elle se trouve engagée dans une profonde transformation. Elle a néanmoins confirmé son intérêt de principe pour ce marché, y compris à destination des populations modestes ; elle a annoncé publiquement qu'elle développerait son offre d'accession sociale à la propriété et pourrait ainsi prendre le relais du CIF sur ce créneau. Est-ce à dire qu'elle serait en mesure de couvrir l'ensemble du marché aujourd'hui occupé par le CIF ? La question reste posée. En tout état de cause, la Banque postale s'est engagée, tout comme le Crédit foncier, à intervenir sur ce segment du marché.

Dès le 31 août, c'est-à-dire avant que l'État ne décide d'apporter sa garantie, le directeur de cabinet de M. Moscovici et moi-même nous sommes rendus devant le conseil d'administration du CIF, pour lui indiquer les conditions juridiques sous lesquelles l'État pouvait intervenir. C'est au vu de ces conditions que le conseil d'administration a sollicité ladite garantie. J'ajoute que l'État a conjointement précisé qu'il s'attendait à ce que le président-directeur général renonce à ses indemnités de départ, lesquelles lui avaient été octroyées par son conseil d'administration… au mois de juin 2012.

Compte tenu de toutes ces données, le Gouvernement doit avoir trois objectifs : préserver l'accession sociale à la propriété ; préserver certaines missions sociales des actionnaires du CIF que sont les SACICAP ; enfin, trouver une solution pour les salariés de l'établissement, victimes et non responsables de la situation.

L'accession sociale à la propriété fait partie des priorités du gouvernement. Une des manières de la préserver pourrait en effet consister à recentrer l'activité du CIF sur l'octroi de crédit aux populations les plus fragiles, ce qui résoudrait une partie du problème social. Nous expertisons donc cette piste en liaison avec le nouveau président de l'établissement, mais j'observe que l'activité de l'établissement s'inscrit dans un cadre concurrentiel, y compris pour ce qui est des prêts au logement sous conditions de ressources : ainsi le CIF distribue seulement 10 % de la première tranche du prêt à taux zéro – PTZ –, tout le reste l'étant par d'autres banques.

De façon plus générale, peut-on identifier une population d'emprunteurs qui n'aurait accès au crédit que par l'entremise du CIF ? Il n'apparaît pas que l'établissement présente une spécificité telle que d'autres banques ne puissent offrir les mêmes services. Plus de 85 % de ses clients gagnent plus de 2 500 euros par mois, ce qui n'est certes pas un gros salaire mais est tout de même plus que le revenu médian.

Pour autant, l'État ne saurait sans réagir laisser l'offre de prêts en accession sociale à la propriété s'amoindrir, sous l'effet d'une extinction progressive de l'activité du CIF. C'est pourquoi, le 9 octobre dernier, le ministre chargé de l'économie a réuni l'ensemble des banques de la place pour les convaincre de la nécessité d'une action urgente. À la suite de cette rencontre, la Fédération des banques françaises – FBF – a confirmé que ses membres étaient disposés à développer leur offre sur le segment concerné. La Banque postale a également indiqué qu'elle était prête à se mobiliser, y compris en faveur des personnels.

Le Gouvernement regarde comme essentielle à la politique du logement la pérennisation des missions sociales assumées par les actionnaires du CIF, en particulier du soutien qu'ils apportent à l'Agence nationale de l'habitat – ANAH – dans sa lutte contre l'habitat indigne et la précarité énergétique, conformément à la convention passée entre l'État et l'Union économique et sociale pour l'accession à la propriété – UES-AP. Il faut éviter toute confusion entre l'activité de crédit de l'établissement et ces interventions, qui relèvent des activités propres des SACICAP même quand elles prennent la forme de prêts ou de subventions. Cependant, dans la mesure où elles sont en partie financées par les dividendes du CIF, il importe d'évaluer l'impact qu'aura sur elles la disparition de ces dividendes, pour y remédier. C'est à quoi le Gouvernement s'emploie.

L'État a interposé sa garantie afin d'éviter une liquidation judiciaire immédiate du CIF et de disposer ainsi du temps nécessaire pour organiser le reclassement des salariés. Des discussions ont été engagées avec les établissements bancaires de la place sur ce sujet qui vient au tout premier rang des préoccupations du Gouvernement.

Le dossier a été mis sur la place publique le 31 août dernier. Nous disposons encore de quelques jours pour explorer d'éventuelles solutions alternatives mais la Commission européenne attend de notre part une notification définitive – nous n'avons pu lui adresser qu'une notification préalable faute d'avoir disposé de tous les éléments d'information – et le CIF ne continue de fonctionner que grâce à des dispositifs d'urgence qui ne peuvent être maintenus longtemps. Il faudra donc arrêter une décision définitive avant la fin de la discussion budgétaire.

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