Intervention de Valérie Masson-Delmotte

Réunion du 27 novembre 2013 à 9h45
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Valérie Masson-Delmotte, corédactrice du 5ème rapport :

J'évoquerai brièvement les principaux éléments du résumé à l'usage des décideurs du 5ème rapport du GIEC.

Ce rapport, qui repose sur 9 200 publications scientifiques, est organisé en 14 chapitres auxquels est adjoint un atlas qui donne accès à des cartes présentant les simulations des évolutions futures du climat dans les différentes régions sur une échelle de temps allant de 30 à 100 ans.

Le constat de ce rapport est le suivant : le réchauffement du système climatique est sans équivoque et beaucoup de changements observés depuis les années 50 sont sans précédent sur une échelle de temps remontant à plusieurs milliers d'années.

Nous observons un réchauffement de l'atmosphère et chacune des dernières décennies a été successivement plus chaude que les précédentes. Dans l'hémisphère nord, les derniers 30 ans ont été les plus chauds depuis plus de 1 400 ans.

L'océan s'est réchauffé et contient la plus grande partie de l'énergie emmagasinée dans le système climatique. Sur 100 % d'énergie supplémentaire, 1 % se traduit par le réchauffement de l'atmosphère, plus de 90 % sont stockés dans les océans, 3 % font fondre les glaces et 3 % réchauffent les sols. Le surplus d'énergie est donc en grande partie emmagasiné dans les océans, et cela pour longtemps.

La quantité de neige a diminué dans l'hémisphère nord, en particulier au printemps, et la masse des glaciers et des calottes polaires ne cesse de se réduire. Enfin, on observe un recul très important de la banquise autour de l'Océan Arctique.

Le réchauffement des océans et la fonte des glaciers a entraîné une montée du niveau des mers de 20 cm environ au XXème siècle, ce qui constitue une rupture par rapport au niveau relativement stable observé au cours des deux précédents millénaires.

Les activités humaines, il n'y a plus aucun doute sur ce point, sont responsables de l'augmentation des teneurs en gaz à effets de serre dans l'atmosphère. Les concentrations actuelles en dioxyde de carbone, méthane ou oxyde nitreux sont exceptionnelles par rapport aux résultats des enregistrements effectués par carottes de glace qui permettent de mesurer ces concentrations sur plus de 800 000 ans.

Depuis la fin de la période préindustrielle, en 1750, la concentration en dioxyde de carbone a augmenté de 40 %, en premier lieu du fait de la combustion d'énergies fossiles, et en second lieu du fait des changements d'usage des sols, en particulier la déforestation. L'océan a absorbé environ 30 % de nos émissions de dioxyde de carbone, ce qui a conduit à l'acidification de l'eau.

S'agissant de l'influence des activités humaines sur le climat, nous constatons l'effet réchauffant des gaz à effet de serre et un léger effet refroidissant, plus incertain, lié aux particules de pollution. Pour vous donner un ordre de grandeur, l'effet réchauffant net lié aux activités humaines a été détecté dès 1950. Cet effet a doublé entre 1950 et 1980, pour doubler à nouveau entre 1980 et 2011.

L'influence humaine sur le système climatique est donc clairement établie. L'homme agit sur les échanges d'énergie entre la terre et l'espace. L'impact des activités humaines sur le climat se traduit par le réchauffement observé de l'atmosphère et des océans, l'augmentation de la quantité de vapeur d'eau dans une atmosphère plus chaude, la transformation des glaces, la montée du niveau des mers et la survenue d'événements climatiques extrêmes : vagues de chaleur, fortes précipitations.

Le 5ème rapport renforce le constat de l'impact de l'homme sur le climat. Nous en concluons qu'il est extrêmement probable que l'influence humaine ait été la cause principale du réchauffement observé depuis 1950.

J'en viens aux risques futurs. Évaluer les conséquences futures des activités humaines sur le climat nécessite des travaux de modélisation qui sont établis à partir de différents scénarii.

Selon le premier scénario, à savoir la mise en place rapide, dans les vingt prochaines années, d'un contrôle mondial des émissions de gaz à effets de serre, celles-ci disparaîtraient quasiment à l'horizon 2060. Ce scénario, qui repose sur des politiques climatiques, est le plus bas.

Le scénario haut – la poursuite d'une consommation croissante d'énergies fossiles au niveau mondial – aurait pour conséquence de multiplier par quatre l'impact des activités humaines sur les échanges de rayonnement. Je précise que c'est le scénario que nous avons suivi, en termes de consommation d'énergies fossiles, au cours de la dernière décennie.

Dans le scénario le plus bas, nous pourrions, avec un degré de confiance élevé, connaître un réchauffement de l'ordre de 2 degrés, peut-être même inférieur, par rapport au climat de la période préindustrielle, et qui plafonnerait à partir de 2050.

Dans tous les autres scénarios, nous serions confrontés à un réchauffement supérieur à 2 degrés et qui se poursuivrait au-delà de 2100. Dans le scénario le plus haut, nous atteindrions 4 degrés de réchauffement en 2100.

Ce changement est exceptionnel par rapport à l'histoire du climat des derniers millions d'années et il est extrêmement rapide. Pour vous donner un ordre de grandeur, le dernier changement le plus rapide que nous connaissons est une augmentation de 4 degrés entre un climat glaciaire et un climat chaud, mais cette augmentation s'est produite à un rythme de 1,5 degré par période de mille ans.

Ce changement affectera en outre profondément le cycle de l'eau. Il augmentera les contrastes en provoquant des précipitations plus abondantes dans les régions humides et moins abondantes dans les régions sèches, en particulier celles qui bénéficient d'un climat méditerranéen. Nous envisageons également l'aggravation des phénomènes extrêmes – vagues de chaleur, fortes précipitations, tempêtes tropicales.

Ce changement de température se manifestera également au niveau des océans en accélérant la fonte des glaces. Dans le scénario haut, l'Océan Arctique sera libre de glace en été à l'horizon 2050, tandis que, dans le scénario bas, une couverture réduite de glace de mer sera maintenue sur l'Océan Arctique.

Quant au niveau moyen des mers, selon le scénario le plus bas il continuerait à monter, et plus vite qu'au XXème siècle, pour atteindre 40 cm en 2100 selon l'estimation la plus probable. Dans le scénario haut, l'estimation la plus probable situe autour de 75 cm l'augmentation du niveau des mers à l'horizon 2100, et l'on ne peut exclure que celle-ci atteigne un mètre.

Cette montée du niveau des mers, du fait de l'inertie de l'océan et de la réponse dans le long terme des calottes de glace, se poursuivrait, dans le scénario haut, pour se situer entre 1 et 3 mètres à l'horizon 2300.

Plus nous émettrons de dioxyde de carbone, plus nous acidifierons les océans. Dans le scénario le plus bas, le PH de l'eau continuerait à baisser au même rythme qu'actuellement ; dans le scénario le plus haut, nous aurions une perte de PH de 0,3 unité, soit 1 000 fois plus d'ions hydrogènes dans les océans, ce qui aurait des conséquences difficiles à anticiper sur les écosystèmes marins.

L'élément le plus important de ce rapport est qu'il fait apparaître une relation linéaire entre le cumul des émissions de dioxyde de carbone et autres gaz à effets de serre et l'évolution des températures. Cela signifie que le cumul des émissions passées, présentes et futures détermine l'évolution du climat. Nous pouvons donc relier le contrôle des températures au cumul des émissions admissibles. En d'autres termes, si nous voulons limiter le réchauffement à 2 degrés, le cumul d'émissions admissibles doit être de l'ordre de 800 gigatonnes de carbone. Or nous avons déjà émis 515 gigatonnes et le rythme actuel des émissions est de 10 gigatonnes par an. Si nous ne changeons rien, d'ici 20 à 30 ans, nous connaîtrons donc inéluctablement un réchauffement de plus de 2 degrés.

Enfin, et nous n'en avons pas nécessairement conscience, une part du changement climatique est irréversible par rapport à la durée d'une vie humaine. En effet, 20 % des émissions actuelles de dioxyde de carbone continueront à produire un effet sur le climat dans plus de 1 000 ans.

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