Intervention de Jean Jouzel

Réunion du 27 novembre 2013 à 9h45
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Jean Jouzel, climatologue :

Nous ne sommes pas armés pour répondre à toutes vos questions. Vous devriez interroger les spécialistes des impacts et les économistes – je pense à Roger Guesnerie, Jean-Charles Hourcade et Franck Lecocq – qui travaillent avec nous. Eux aussi réfléchissent aux positions que la France pourrait défendre dans les négociations.

Je suis d'abord un chercheur qui travaille à partir de données du passé nous renseignant sur le fonctionnement du système climatique. Mais, outre le rapport du GIEC, j'ai participé au Grenelle de l'environnement comme responsable du thème « énergie et climat » avec Nicholas Stern ainsi qu'au débat sur la transition énergétique au titre du Conseil économique, social et environnemental (CESE) pour lequel je prends part à la rédaction d'un avis sur l'adaptation au réchauffement climatique.

Je vais répondre sur quatre points : la conférence de 2015, le rôle des activités humaines dans le changement climatique, les problèmes de communication et le nucléaire.

S'agissant de la conférence de 2015, je rappelle que nous sommes dans la deuxième phase du protocole de Kyoto qui prendra fin en 2020. L'Europe est aujourd'hui presque la seule à appliquer celui-ci puisque le Japon, le Canada et l'Australie ont annoncé à Varsovie qu'ils ne tiendraient pas leurs engagements. Après Bali en 2007, qui fut une date importante, et Copenhague en 2009, qui a substitué à l'objectif qualitatif un objectif quantitatif « tout faire pour limiter le réchauffement climatique à deux degrés », la conférence de Durban a débouché sur la mise en place d'une plateforme. Les Chinois ont joué un rôle majeur dans le dénouement tardif de cette conférence en acceptant de commencer un cycle de négociations en vue d'un accord pour l'après 2020 qui engage tous les pays, alors que le protocole de Kyoto n'engage que les pays développés.

La conférence de 2015 comporte deux volets : le premier, souvent oublié, consiste à renforcer immédiatement les ambitions de réduction des émissions. Il est en effet avéré que seul un changement de modèle de développement dans la décennie à venir permettra de respecter la trajectoire d'un réchauffement inférieur à deux degrés. Il y a un fossé entre la trajectoire actuelle et celle vers laquelle nous devrions tendre. Nous savons déjà que les émissions sont supérieures de 15 à 20 % à ce qu'elles devraient être pour respecter l'objectif de 2020.

Le second volet porte sur la conclusion d'un accord qui engage tous les pays.

Les parlementaires ont un rôle actif à jouer dans la préparation de la conférence de Paris, pour laquelle Ban Ki-moon a déjà convoqué les chefs d'État en septembre prochain. Avant Paris, d'autres étapes intéressantes sont prévues, dont la conférence de Lima.

Pour préparer la COP 21, un comité se réunit régulièrement sous la présidence de Laurent Fabius. Outre les trois ministres – MM. Laurent Fabius, Pascal Canfin et Philippe Martin – il rassemble M. Pierre-Henri Guignard, qui en est le secrétaire général, M. Jacques Lapouge, ambassadeur chargé des négociations sur le changement climatique, M. Nicolas Hulot, ambassadeur pour la planète, Mme Laurence Tubiana, M. Pierre Radanne, M. Ronan Dantec, M. Hervé Le Treut et moi-même. La prochaine réunion portera sur l'implication de la société civile. L'intervention de trois ministres dans l'organisation de cette conférence risque néanmoins de rendre la tâche difficile.

Je suis personnellement très attaché à l'implication de la communauté scientifique. Nous proposerons l'organisation d'une grande conférence début 2015, comme cela avait été fait à Copenhague. Le CESE devra aussi s'impliquer, de même que les parlementaires. Je vous remercie donc de nous avoir invités à discuter avec vous. On ne réussira pas 2015 si on n'attire pas les chercheurs, les jeunes et la société civile. Il y a beaucoup à faire et nous devons le faire ensemble.

Il faut savoir que la présidence joue un rôle dans les COP, même si la France n'est pas négociatrice puisque ce rôle est dévolu à l'Union européenne, et c'est d'ailleurs une bonne chose.

La conférence de Paris sera la seule réunion internationale importante en France sous la présidence de M. François Hollande. Nous devons tous nous mobiliser. Je suis sûr que les parlementaires pourront apporter beaucoup à cette conférence dans laquelle il est important que la France et l'Europe s'investissent fortement. L'adoption d'une loi ambitieuse sur la transition énergétique, répondant aux quinze enjeux identifiés du débat national, est un passage obligé. Une appréciation positive de cette loi à l'étranger crédibilisera la parole de la France. Il vous appartient donc de faire voter un texte à la hauteur des ambitions affichées. Le débat sur la transition énergétique, très riche, a fait apparaître des désaccords sur le nucléaire et les gaz de schiste.

La loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique du 13 juillet 2005 pose que la France soutient l'objectif d'une division par quatre des émissions de gaz à effet de serre dans les pays développés, qui correspond à la feuille de route de la conférence de Bali. Une division par deux des émissions mondiales à l'horizon 2050, sans nuire au développement, est possible et très souhaitable. Le coût de l'énergie dans nos importations – 70 milliards d'euros pour les combustibles fossiles – doit faire réfléchir.

Quant au rôle des activités humaines dans le réchauffement climatique, les réponses sont, depuis le premier rapport du GIEC, chaque fois plus précises. Ce rôle a d'abord été qualifié de possible, ensuite de probable, puis de très probable dans le rapport de 2007. Aujourd'hui, le diagnostic est plus clair encore : il y a plus de 95 chances sur 100 pour qu'une part importante du réchauffement des cinquante dernières années soit liée aux activités humaines. Cette affirmation s'appuie sur des chiffres. Le réchauffement planétaire a été de 0,6 à 0,7 degré lors des cinquante dernières années quand il est presque le double en France. Nous faisons la part des causes naturelles – l'activité solaire, la variabilité naturelle, l'activité volcanique – mais elles ne représentent pas plus d'un dixième de degré de réchauffement. Les sept-dixièmes peuvent être expliqués par les activités humaines. En outre, tous les compartiments du système climatique se réchauffent, d'où des conséquences sur l'atmosphère, le niveau de la mer, la fonte des glaces.

Le diagnostic est aujourd'hui bien plus documenté et les arguments des climato-sceptiques sont minces. Personne dans la communauté scientifique ne remet en cause les conclusions du GIEC. La contestation n'a aucun fondement scientifique ; elle repose sur des considérations philosophiques. Malheureusement, ce sont celles-ci qui font que 30 % des Français restent climato-sceptiques. Le discours des sceptiques n'a rien à voir avec la réalité des faits. Dans le cadre du Haut conseil de la science et de la technologie que je préside, nous avons réfléchi à ce problème de perception. Il y a beaucoup à faire en matière de communication pour rétablir la confiance des citoyens dans le monde scientifique.

Enfin, s'agissant du nucléaire, je considère qu'il est normal de s'interroger, mais je ne suis pas antinucléaire. Il faut avoir en tête les chiffres suivants : le nucléaire mondial fournit 2 % de l'énergie finale et, même s'il connaît un développement sans frein, ce chiffre ne dépassera pas 6 %. À l'inverse, à l'horizon 2050, les énergies renouvelables permettraient de subvenir à 50% des besoins planétaires en énergie finale. Je plaide donc pour que la France investisse massivement dans les énergies renouvelables, car c'est là que les choses vont se passer dans les vingt ou trente prochaines années.

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