Intervention de Chantal Guittet

Séance en hémicycle du 2 décembre 2013 à 17h00
Débat sur le rapport d'information sur la proposition de directive relative au détachement des travailleurs

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChantal Guittet, rapporteure de la commission des affaires européennes :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames les présidentes des commissions – quel plaisir de mentionner de tels titres ! –, mes chers collègues, il y a un an, comme l’a dit Gilles Savary, nous entamions avec Michel Piron un grand travail au sein de la commission des affaires européennes sur le détachement des travailleurs.

À l’époque, ce sujet n’était pas d’une actualité brûlante mais nous avions conscience de son extrême importance. Je me réjouis qu’il prenne désormais sa place dans l’hémicycle et fasse l’objet d’un débat public.

Nombre d’entreprises profitent des failles de la législation européenne sur le détachement et de l’interprétation très libérale qu’en a faite la Cour de justice de l’Union européenne.

Le détachement des travailleurs est devenu un phénomène massif, comme l’a souligné Gilles Savary, utilisé à des fins d’optimisation sociale à l’échelle européenne, par des entreprises qui exploitent sans scrupule des ouvriers sous-payés qui sont de véritables esclaves des temps modernes.

Les entreprises françaises sont incitées à suivre le mouvement pour rester concurrentielles ; elles y sont encouragées par une impunité garantie par les lacunes du dispositif communautaire.

Élue de Bretagne, je suis bien placée pour savoir quels en sont les ravages. Les difficultés de la filière porcine, illustrées hélas par les 900 emplois supprimés dans la société d’abattage GAD, s’expliquent en partie par le dumping social pratiqué par les abattoirs allemands. En l’absence de salaire minimum, ceux-ci abusent des possibilités offertes par la directive sur les travailleurs détachés.

Les salariés qui y sont employés, originaires des pays de l’est, gagnent 3 ou 4 euros de l’heure et travaillent dans des conditions indignes. Ce phénomène est loin d’être marginal puisque 75 % des effectifs des abattoirs allemands seraient concernés. L’Allemagne a réussi ainsi à capter une grande partie du marché de l’abattage, mettant à mal les abattoirs français, mais aussi hollandais et belges qui ont d’ailleurs porté plainte auprès de la Cour de justice de l’Union européenne.

Cette course au moins-disant social a également des conséquences particulièrement graves sur nos sociétés : elle instille chez nos concitoyens une méfiance vis-à-vis de l’étranger et une défiance à l’égard de l’Europe, perçue comme destructrice.

Au nom d’un libéralisme effréné, les libéraux majoritaires en Europe et en France, ont admis toutes ces dérives. Ce n’est que depuis quelques mois que l’Europe paraît enfin se saisir de la question sociale.

Sous l’impulsion du Président de la République, François Hollande, une initiative commune pour une Europe sociale a été présentée. La prise en compte de la dimension sociale des politiques économiques au niveau européen constitue incontestablement une avancée qu’il nous faut saluer et dans laquelle la France a toujours joué un rôle de premier plan.

Le débat sur la création d’un salaire minimum en Europe progresse sous l’impulsion des socialistes européens. L’annonce par la chancelière allemande, dans le cadre d’un accord de coalition avec le SPD, de l’instauration d’un salaire minimum en est une illustration.

Le détachement ne sera jamais juste sans un minimum d’harmonisation sociale en Europe, et les écarts salariaux restent importants : le taux horaire est de 42,50 euros en Allemagne alors qu’il est de 10,50 en Grèce et de 8,70 euros à Malte !

Je crois que j’ai tout dit, alors que faire ? Monsieur le ministre, il est urgent d’adopter des règles pour qu’il y ait une concurrence équitable entre les travailleurs et les entreprises de l’ensemble des vingt-huit pays de l’Union, et, en premier lieu, d’obtenir de nos partenaires européens une juste révision de cette directive.

Le pire en la matière serait que la révision aboutisse à des dispositions plus pénalisantes que le texte actuel. Je sais que ce n’est pas facile mais nous devons nous mobiliser.

Il faut absolument exiger que la liste des mesures nationales de contrôle reste ouverte. Je vous invite, monsieur le ministre, à ne pas soutenir l’adoption de la révision de la directive si tel n’était pas le cas. En outre, la question de la responsabilité du donneur d’ordre est aussi un enjeu crucial.

Si l’Europe ne bouge pas, nous devrons agir pour faire cesser cette casse sociale. Nous devrons tirer les conséquences d’un éventuel échec des négociations européennes, en adoptant à très court terme des mesures nationales pour lutter contre cette concurrence déloyale, ainsi que l’a dit Gilles Savary.

Je sais le Gouvernement parfaitement mobilisé sur la question du détachement. Il a repris certaines mesures que nous avions proposées dans son plan de lutte contre le travail illégal et le détachement abusif, annoncé la semaine dernière. Je ne peux que m’en réjouir. Maintenant, il faut passer de la parole aux actes.

J’espère que nous pourrons tous ensemble et utilement faire bouger les lignes au niveau européen. Salariés comme patrons nous demandent d’agir. Il ne faut pas nous priver de défendre avec force et conviction ces mesures sociales qui font l’objet d’un large consensus.

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