Notre rendez-vous automnal, consacré au projet de loi de finances, prend cette année une importance particulière compte tenu des échéances qui viennent d'être rappelées.
Les enjeux budgétaires que j'avais évoqués en juillet ne sont plus un secret pour personne. Je crois pourtant indispensable d'y revenir pour vous fournir un éclairage sur la situation de déséquilibre que connaissent nos armées.
Le modèle défini par le Livre blanc de 2008 n'est plus soutenable, malgré les efforts que l'État a consentis pour la défense et ceux des armées pour s'optimiser. Depuis 15 ans et la fin de la conscription, l'outil de défense est dimensionné en moyenne à 32 milliards constants en valeur de 2012. Le nouveau budget triennal programme 29 milliards pour 2015, soit quasiment 10 % de moins. C'est clairement un changement de portage.
Il faut en conséquence repenser nos ambitions. C'est ce à quoi travaille la Commission du Livre blanc, dans laquelle vous êtes représentés. Une fois que le Président de la République aura fixé le cap, le ministère de la défense concevra un modèle d'armée adapté à ces ambitions non pas réduites mais revisitées, c'est-à-dire formulées d'une autre façon.
Certaines de nos difficultés sont structurelles ; d'autres relèvent de conjonctures malheureusement persistantes. Le défi sera de mettre en oeuvre la transition entre la situation actuelle et le modèle qui sera défini au vu des contraintes budgétaires et des rigidités de court ou de moyen terme de nos dépenses.
Je voudrais, avant de rentrer dans l'analyse budgétaire, évoquer les opérations. Elles sont notre finalité, notre raison d'être. Extérieures ou permanentes – comme Vigipirate, la sûreté aérienne ou l'action de l'État en mer –, elles révèlent la performance de nos capacités, c'est-à-dire de nos soldats, de notre matériel, de nos savoir-faire et de notre organisation.
L'Afghanistan reste en haut de notre agenda. Pour les forces françaises, 2012 aura été une année charnière, avec la décision de désengagement prise par le Président de la République. Le défi logistique est considérable, mais ce n'est qu'une partie de l'équation. Le désengagement est une opération à part entière, en termes de planification, de conduite et de vigilance puisque, jusqu'au départ de notre dernier soldat, les risques sont réels. Pour l'heure, nous tenons les échéances fixées par le Président de la République. Il restera 1 500 hommes sur place à la fin de l'année.
Onze ans après nos premières reconnaissances aériennes sur ce territoire, nous devons être fiers du travail réalisé par nos soldats, nos marins et nos aviateurs. Nous avons joué un rôle majeur dans l'afghanisation des provinces placées sous notre responsabilité, comme dans la formation et l'encadrement des forces armées et de sécurité afghanes. Si les choses ne se passent pas toujours comme nous le voudrions ici, les progrès sont incontestables, quoi qu'en dise le rapport défaitiste de l'International Crisis Group. Ainsi, nous avons quitté la Surobi, que les Soviétiques n'avaient jamais réussi à pacifier, et la base opérationnelle avancée que nous occupions est désormais aux seules mains des forces afghanes. Depuis notre départ en juillet, le nombre d'incidents n'a pas augmenté et la route Jalalabad-Kaboul est ouverte en permanence.
Je rends hommage à l'action de nos militaires. Parmi eux, 88 ont vécu leur engagement jusqu'au don de leur vie ; des centaines ont été blessés dans leur chair, de manière souvent durable, parfois irrémédiable. L'Afghanistan est trop fréquemment caricaturé dans les médias. Ne perdons pas de vue nos réussites ni le coût consenti par la Nation, à travers le sacrifice de ses soldats. C'est mon devoir et notre responsabilité de nous en souvenir.
Parmi les succès de nos armes, figurent aussi les missions de lutte contre la piraterie conduites au large de la Somalie. Depuis le lancement de l'opération Atalanta, le nombre d'attaques réussies a sensiblement diminué : 6 depuis le 1er janvier 2012 contre 23 l'an dernier, sur la même période. Le nombre de bateaux piratés se limite désormais à 9, et le nombre d'otages détenus est d'environ 150, contre plusieurs centaines il y a deux ans. Sur le plan militaire, Atalanta est donc une opération concluante. Le succès revient à l'ensemble des composantes impliquées. Nos armées, à l'origine du projet, en portent une part significative, moyennant un coût raisonnable eu égard au volume des moyens engagés : 1,4 bâtiment porte-hélicoptères et un peu plus d'un avion en moyenne sur l'année. Atalanta est enfin une opération fédératrice et motrice, emblématique de ce que peut faire l'Union européenne quand elle le veut. Cette année, de toutes les coalitions internationales impliquées, elle est la seule à avoir autorisé les moyens engagés à mener des actions contre les bases logistiques de pirates à terre. Cette option, qui n'a été utilisée qu'une seule fois, constitue une avancée très positive. L'Union a compris que le traitement de la menace était nécessairement global. Il faut s'en féliciter et le faire savoir à nos partenaires.
L'efficacité de nos armées, c'est encore, pour citer un exemple récent, le déploiement d'une antenne médicochirurgicale en Jordanie, moins de quinze jours après que le Président de la République l'a décidé. Ce déploiement illustre l'aptitude de nos armées, directions et services à combiner leurs capacités pour produire le résultat souhaité dans un cadre particulier. Si nous avons pu répondre vite et bien, c'est parce que notre service de santé est pleinement intégré à la manoeuvre des armées.
Récemment, le Président de la République a dessiné, à la tribune des Nations unies, les contours de nos engagements à venir. Ce pourrait être le soutien, notamment logistique, des forces africaines qui interviendront dans le nord du Mali, État ami qui doit recouvrer sa pleine souveraineté. Pour nous aussi, la stabilisation de la zone sahélienne est un enjeu de sécurité nationale.
L'évolution de la situation au Moyen-Orient pourrait nous confronter à des scénarios plus durs que ces dernières années. Je pense, en plus des actions terroristes traditionnelles, à la menace sol-air et aux risques d'emploi ou de détournement des armes de destruction massive.
Ce parcours rapide de quelques-uns de nos engagements extérieurs en cours ou potentiels illustre la diversité de nos missions, des moyens engagés et des dispositifs projetés, qui sont constamment confrontés à la réalité du terrain. Il met en relief deux points essentiels.
Le premier est l'intérêt de disposer d'un éventail capacitaire couvrant toute notre ambition, c'est-à-dire capable de faire face à la diversité des situations et des menaces. Un éventail large, ce sont – même à volume redimensionné – des forces bien préparées, bien équipées et capables de durer. Ces qualités, que possèdent encore nos armées, directions et services, permettent à la France de concrétiser sa volonté, lorsque le recours à la force s'impose.
Le deuxième point, c'est la nécessité de ne pas baisser la garde, pour pouvoir faire face à l'imprévu.
Disposer d'un éventail capacitaire large et ne pas baisser la garde sont des enjeux du présent, parce que l'action militaire s'impose souvent sans préavis, mais aussi des enjeux d'avenir, parce que la capacité d'intervention ne se décrète pas : elle se construit sur la durée et s'entretient au jour le jour, dans le temps long des ressources humaines et des programmes. C'est aussi une affaire de crédibilité, qui se construit également dans la durée. Tel est l'objet de la loi de programmation militaire et de sa traduction annuelle, la loi de finances.
En juillet, j'avais évoqué devant vous les grandes lignes de l'exécution de la LPM pour 2009-2014, laquelle a été globalement conforme jusqu'en 2011, du moins en ce qui concerne les paiements et donc la livraison des matériels. Quant aux commandes, les contraintes de la programmation budgétaire triennale 2011-2013 nous ont déjà obligés à reporter la plupart des lancements de programmes nouveaux. En tout état de cause, 2012 marque une rupture, dont nous savons qu'elle est irréversible.
Commençons par la période 2009-2011. Malgré un certain nombre de dépenses non programmées que nous avons dû financer, nous avons bénéficié de 98 % des ressources attendues, les 2 % manquants représentant tout de même 1,9 milliard, soit près de deux années de production du Rafale ou dix avions ravitailleurs MRTT (Multi Role Tanker Transport), ou encore l'intégralité du programme MUSIS (Multinational Space Based Imaging System), successeur du satellite d'observation Hélios.
Nous avons cependant poursuivi notre effort en faveur des équipements, engagé la transformation de nos structures, la revalorisation de la condition du personnel et atteint en avance de phase nos objectifs de réduction du format.
Dans le domaine du renouvellement des équipements, nous avons réceptionné quasiment tout ce qui était prévu. Nous avons également commandé une bonne partie des matériels prévus, à l'exception, pour 2011, des programmes nouveaux. La fiche qui vous a été remise résume ce bilan.
La transformation de nos structures correspond à la rationalisation et à la mutualisation des implantations et des modes de fonctionnement. À la fin de 2012, 85 % des réorganisations prévues sur l'ensemble de la période auront été réalisées.
La difficile manoeuvre des ressources humaines a pour l'instant suivi, voire anticipé le rythme attendu. Sur le périmètre de la mission « Défense », 30 000 des 54 000 postes prévus avaient été supprimés à la fin de 2011. À cette date, nous étions déjà en avance de 1 300 emplois. Cette avance sera portée à la fin 2012 à quelque 3 600 emplois, ce qui représente une demi-annuité de déflation, en tenant compte du gel de 10 % du recrutement en 2012, soit 2 000 emplois, inscrit dans la lettre plafond pour 2013 afin de réduire nos dépenses de masse salariale.
Pour autant, tout n'a pas été nominal. Nos difficultés ont débuté dès l'été 2010. La programmation budgétaire triennale pour 2011-2013 a exercé sur la programmation une pression substantielle. Elle a décalé d'un à trois ans la plupart des programmes futurs : avion ravitailleur MRTT, lance-roquettes unitaire (LRU), rénovation des Mirage 2000D, flotte logistique. Entre 2010 et 2012, le budget de fonctionnement a été réduit de 7,5 % et l'activité de préparation opérationnelle a diminué progressivement, avec la baisse des crédits d'entretien programmé des matériels sur la période.
Les opérations extérieures restant prioritaires, on n'est plus très loin d'une armée à deux vitesses – une partie faisant la guerre, l'autre non –, ce qui n'est jamais une bonne solution. Je l'avais souligné lors de ma précédente audition. On en voit les effets, chez certains de nos partenaires européens, sur le moral, le recrutement et la qualité des hommes.
À partir de 2012, la trajectoire des ressources diverge encore plus nettement de la trajectoire de référence tracée en 2008. La pression budgétaire s'est accrue après la révision des prévisions de croissance, compte tenu de l'obligation de redresser les comptes publics.
En tenant compte des lois de finances rectificatives et du gel de crédits supplémentaires intervenu en juillet, les crédits de 2012 sont désormais en recul de 1,2 milliard par rapport à l'annuité initialement prévue. Conjugué à l'écart cumulé de 1,9 milliard de la fin de 2011 et sans préjuger des conditions de la fin de gestion de 2012, le recul dépassera les 3 milliards à la fin de l'année.
Pour 2012, la fin de la gestion est sous tension. Sont déjà formellement identifiés les surcoûts des OPEX et la hausse du carburant opérationnel, pour un total de 250 millions. La levée des réserves n'a pas encore été obtenue. Enfin, le déficit structurel du titre II est en cours de consolidation. On n'obtient d'ailleurs pas les mêmes chiffres selon qu'on utilise le logiciel LOUVOIS ou Chorus, ce qui ne simplifie rien.
Il est essentiel d'appliquer les clauses de sauvegarde prévues par la LPM pour les OPEX, le carburant opérationnel et le titre II. À défaut, pour éviter que certains postes ne soient en cessation de paiement dès la fin du mois d'octobre, il faudrait ponctionner une fois encore les crédits d'équipement ou aggraver le volume de nos factures en attente de paiement de fin d'année, autrement dit notre report de charges, ce qui n'est pas de bonne gestion.
D'autres risques concernent le domaine des ressources humaines. Les économies décidées imposent de geler le recrutement de 2 000 personnes en 2012 et de diminuer de nouveau, en 2013, des mesures catégorielles. Le taux de retour des économies dégagées par les déflations s'établit, selon le ministère, à 33 % en 2011 et à 20 % en 2012. Selon le projet de loi de finances, il atteindra 30 % en 2013, soit beaucoup moins que la norme en vigueur qui est de 50 %. Le moral est déjà fragile, je l'ai souligné en juillet. Ce ne sont pas ces mesures qui vont l'améliorer.
Quel est le bilan capacitaire, rapporté aux priorités définies par le Livre blanc de 2008 ?
Le plan de modernisation de la dissuasion a été respecté. Le Terrible, quatrième sous-marin nucléaire lanceur d'engins (SNLE) de la classe Le Triomphant, a été admis au service actif fin 2010 avec le nouveau missile M-51. L'adaptation des trois premiers SNLE est lancée. Elle s'achèvera en 2018. La composante aéroportée a atteint le format défini par le Livre blanc, qui a réduit de trois à deux le nombre d'escadrons de chasse dotés du nouveau missile air-sol moyenne portée amélioré (ASMP-A). Un escadron est équipé en Rafale, et un autre en Mirage 2000N, destiné à terme à être remplacé par le Rafale.
La fonction stratégique connaissance et anticipation était prioritaire. Tous les objectifs ne sont pas atteints, par exemple pour les drones MALE (moyenne altitude longue endurance), mais le ministre de la défense a lancé une remise à plat volontariste du dossier pour une décision à brève échéance. D'autres programmes sont en retard du fait de difficultés techniques ou de coopération.
Malgré les contraintes financières, la fonction connaissance et anticipation a été correctement dotée et soutenue dans les arbitrages. Plusieurs programmes majeurs, dont les satellites MUSIS, ont été lancés. Pour les matériels en service, cette fonction stratégique a bénéficié régulièrement de la procédure des urgences opérationnelles ou des acquisitions accélérées, par exemple pour le soutien des drones Harfang en Afghanistan ou les capteurs infrarouge des Atlantique 2 (ATL2).
Les fonctions protection et prévention ont été préservées. Au final, c'est surtout la fonction intervention qui a fait l'objet des arbitrages les plus sévères, ce qui est paradoxal, puisqu'elle est emblématique des armées et que la densité opérationnelle a été très élevée sur la période.
Le ministre l'a confirmé : le budget pour 2013 sera un budget d'attente et de transition, c'est-à-dire qu'il ne préemptera pas les conclusions du Livre blanc. De fait, les crédits sont globalement identiques à ceux de la loi de finances initiale pour 2012, la baisse des crédits budgétaires étant compensée par une hausse équivalente des prévisions d'emploi des ressources exceptionnelles.
Dans ces conditions, la priorité accordée à l'activité des forces et à l'entretien du matériel a été intégrée. Les crédits d'activité financeront au plus juste la préparation opérationnelle, dans un contexte de diminution des engagements en opération extérieure. Nous sommes 10 à 15 % en dessous des normes annuelles d'activité définies par la LPM. Toutefois, les crédits consacrés à l'entretien programmé des matériels, en augmentation de 8 % par rapport à la LFI pour 2012, retrouvent quelques couleurs, ce qui permettra d'accompagner au mieux la mise en service des matériels nouveaux, dont le coût de maintenance est toujours supérieur à celui des matériels remplacés.
Ce niveau de ressources nécessite de nombreuses économies sur le fonctionnement courant, c'est-à-dire hors activité opérationnelle, sur la masse salariale et surtout sur les équipements.
Le fonctionnement courant baisse de 7 % entre 2012 et 2013 conformément aux directives gouvernementales. Cette baisse s'ajoute à celle de la précédente programmation budgétaire triennale, qui s'appliquait elle-même à une programmation initiale déjà ambitieuse en termes d'économies. Les bases de défense ont pourtant dû être accompagnées, avec un budget abondé à 720 millions, dont 20 millions de fonds de concours, financés par redéploiement sur le fonctionnement des armées. Pour mémoire, le budget prévu cette année était de 650 millions. La somme de 720 millions reste cependant inférieure aux attentes des commandants de base de défense.
La masse salariale diminue de plus de 100 millions, sous l'effet du gel des recrutements en 2012 et de la diminution des mesures catégorielles.
Pour les équipements et parce qu'il s'agit d'un budget d'attente, il a été décidé de reporter au-delà de 2013 la plupart des commandes qui pouvaient l'être. Ces reports évitent de générer, avant le vote de la prochaine LPM, des situations irréversibles telles que des ruptures capacitaires, des ruptures de capacités industrielles de développement et de fabrication, ou des ruptures contractuelles. Le délégué général pour l'armement (DGA) développera mieux ce point.
Parmi d'autres opérations d'armement, ont été maintenus en 2012 et 2013 la commande de 34 hélicoptères NH-90 dans la version transport destinée à l'armée de terre, le lancement du standard F3-R du Rafale, le lancement du MRTT et la réception de la frégate multi-missions (FREMM) Aquitaine.
Les économies réalisées sur les équipements représentent 850 millions. Au total, la diminution des engagements atteint 5,5 milliards en 2012 et 2013, dont près de 4,5 pour les seules opérations d'armement, le reste se répartissant entre les petits équipements des armées et l'infrastructure. Sur deux ans, elle représente plus de la moitié d'une annuité du titre V.
Ces décalages, qui préservent les choix futurs, impliquent dans l'immédiat des aggravations ou de nouvelles réductions temporaires de capacité, sans parler de la prolongation d'équipements à bout de souffle : les cloisons intérieures de certains avions sont dans un triste état ; dans la coque de certains navires, l'épaisseur du métal n'est plus que d'un centimètre en comptant les couches de peinture ; le châssis de certains blindés montre des faiblesses…
Il faudra aussi limiter, dans une moindre mesure, la protection des forces ou leurs capacités de déploiement. C'est le cas pour les hélicoptères et les avions de transport tactique, les véhicules logistiques terrestres et plus globalement les véhicules blindés VAB et VBL de l'armée de terre, et les bâtiments de soutien et d'assistance hauturiers (BSAH) en métropole ou outre-mer. Dès lors, sur le terrain, les problèmes risquent d'être logistiques plutôt que tactiques. Sur le théâtre afghan, nous laisserons détruire une quarantaine de véhicules de l'avant blindés en mauvais état, dont l'âge moyen est 32 ans.
À plus long terme, sur le plan de l'équipement, l'accumulation de ces décalages en un temps réduit complique notre capacité à préparer l'avenir. L'arrivée simultanée des nouveaux équipements poserait un problème d'absorption. Toutes les opérations d'armement, majeures et secondaires, sont concernées. Nous risquons de perdre en cohérence.
Enfin, reports et annulations de commandes touchent également l'infrastructure, à hauteur de 750 millions sur 2012 et 2013, soit une diminution de 30 %.
J'en viens au projet de loi de finances (PLF) pour 2013, qui est de transition. Le décrochage des ressources amorcé dès 2011, avec l'impossibilité de consommer les ressources exceptionnelles des cessions de fréquences, s'amplifie. Le modèle sous-tendu par la LPM en cours était bâti, entre autres, sur une prévision d'augmentation en volume des ressources de 1 % par an à partir de 2012. Dans les faits, le budget de la défense diminuera de 4 % en valeur sur la période 2012-2015.
Au résultat, la divergence cumulée entre les ressources prévues aujourd'hui et la programmation initiale atteint 10 milliards pour 2013-2015, soit presque une année de masse salariale du ministère hors pensions ou la totalité du programme des six sous-marins nucléaires d'attaque (SNA) Barracuda. Si l'on prolonge la tendance actuelle, on obtiendra en 2020 un écart de 40 milliards en valeur de 2012, soit 130 % du budget total d'une année.
Un tel écart n'est pas de l'ordre de l'ajustement. Il nous impose de revisiter nos ambitions. Pour mémoire, l'effort de défense était, aux normes OTAN –c'est-à-dire hors pensions et hors gendarmerie –, de 2 % du PIB en 1997, avant de se stabiliser ces dix dernières années entre 1,6 % et 1,7 %. En 2012, il est de 1,55 %. À l'horizon de 2015, il dépassera à peine 1,3 %. Compte tenu de la situation des finances publiques, le modèle en vigueur n'est plus soutenable. Nous devrons donc penser autrement.
C'est tout l'enjeu de la préparation du nouveau Livre blanc, puis de la prochaine LPM. Du Livre blanc, nous attendons d'abord une ambition pour notre défense. Inutile de prétendre que nous saurons tout faire, et que nous saurons le faire partout. C'est aujourd'hui hors de notre portée. À ce stade de nos travaux, je vous soumets trois idées forces.
D'abord, la situation budgétaire ne doit pas brider la réflexion stratégique. Construisons la maison en commençant non par le toit, mais par les fondations, c'est-à-dire par nos ambitions : quelles menaces, quels risques devons-nous prendre en compte ? Que voulons-nous faire, où et avec qui ? La situation économique n'est pas l'unique donnée d'entrée.
Ensuite, quel que soit notre niveau d'ambition, la cohérence de notre modèle d'armée est primordiale. Nos capacités doivent être adaptées aux réponses que nous souhaitons apporter, et soutenables financièrement aussi longtemps que nécessaire. Par « capacités », j'entends les hommes et les femmes, l'activité opérationnelle, les équipements et le soutien. C'est une question d'efficacité militaire, de résilience et – encore et toujours – de crédibilité sur la scène internationale.
Enfin, toute réforme ajoutée à la réforme présente un risque, puisqu'elle ne nous laisse pas le temps de tirer tous les dividendes de la réforme actuelle. Elle risque en outre de soulever des défis insoupçonnés, car une réforme est toujours une période de vulnérabilité. L'échéance de notre transformation actuelle était initialement fixée à 2015.
J'ajoute à ce propos deux conseils de bon sens : ne réparons pas ce qui n'est pas cassé ; ne démontons pas une montre pour savoir pourquoi elle marche. On risquerait tout au plus de ne pas savoir la remonter.
Je conclurai ce volet financier par des inquiétudes de court terme. Quelles que soient les orientations stratégiques définies par le Président de la République, qui modèleront les capacités et le format futur de notre outil de défense, il sera difficile de respecter le niveau de ressources fixé par la programmation budgétaire triennale. La transition devra prendre en compte, outre les difficultés budgétaires du pays, les rigidités des dépenses du ministère à court terme – masse salariale, entretien des matériels, préparation opérationnelle ou fonctionnement courant –, tout en préservant les programmes nouveaux ainsi que la base industrielle et technologique de défense.
L'exercice sera difficile parce que les marges de manoeuvre sont étroites.
Les déflations d'effectifs de la LPM en cours s'étalent jusqu'en 2015. Aller au-delà impliquerait des dissolutions de structures et d'unités de combat supplémentaires. On ne peut donc considérablement réduire la masse salariale.
Deuxièmement, les marges de manoeuvre sur le fonctionnement courant sont désormais réduites à leur plus simple expression. Vous qui êtes au contact des réalités locales, interrogez les commandants d'unités ou de bases de défense. Ils vous diront que la fin de l'année sera difficile. Même si l'on décidait de nouvelles restructurations, seules à même de générer des effets d'échelle, elles ne produiraient pas d'économie à court terme, puisque toute réforme commence par un investissement.
Troisièmement, l'activité opérationnelle est 10 % à 15 % en deçà des objectifs de la LPM, selon les capacités et les matériels. Le ministre de la défense a obtenu que les crédits soient plus importants en 2013, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir : leur niveau actuel n'est pas loin de remettre en cause le choix d'une armée polyvalente et homogène, garantissant réactivité, souplesse d'emploi et endurance.
Quatrième contrainte, les crédits d'entretien du matériel, en retrait de 550 millions sur les prévisions initiales pour 2009-2012, croissent en 2013, mais, en raison de l'arrivée de nouveaux matériels, ils devront ensuite être soutenus si nous ne voulons pas dégrader davantage une disponibilité technique déjà moyenne. Celle des matériels déployés en opérations est bonne, mais nous en sommes réduits à déshabiller Pierre pour habiller Paul. En ce qui concerne le maintien en condition opérationnelle (MCO) de nos matériels, nous avons réussi à faire autant avec moins de moyens ; nous ne ferons pas mieux avec encore moins. Dès lors, les seuls nouveaux gisements d'économies sont externes. Ils se situent notamment dans les contrats de MCO que nous passons avec nos industriels, dont les marges, pointées par la Cour des comptes et l'inspection des finances, peuvent dépasser 50 %. Nous devrons négocier avec eux, quitte à le faire assez brutalement.
Enfin, les programmes d'armement sont rigides, à cause du niveau d'engagements récent, parce que, pour dégager des économies, nous avons fait des commandes globales, et parce qu'il y a déjà eu en 2009 une grande vague de négociations pour contenir les financements. La réouverture des contrats, qui incombe au DGA, risque d'être délicate.
Pour résumer ces inquiétudes, ces inerties, ces rigidités, je dirais que la défense est comme un grand navire lancé à 32 milliards d'euros : on ne peut pas réduire sa vitesse aussi rapidement qu'on le voudrait. Cela ne signifie pas qu'il n'existe aucune alternative à la situation tendue que nous connaissons, surtout si l'on considère l'ensemble des leviers, mais ceux-ci sont indissociables. Ne me demandez pas de choisir aujourd'hui : c'est la déclinaison de l'ambition nationale définie par le Livre blanc qui déterminera le levier à privilégier.
Les militaires sont conscients des difficultés économiques et budgétaires. Nous sommes solidaires et nous ne nous dérobons jamais. Les armées sont totalement mobilisées pour identifier et mettre en oeuvre de nouvelles voies. Elles prennent d'ores et déjà toute leur part dans ces travaux qui nous engagent tous, au service de la France dans le monde.