En dépit des succès rencontrés en Afghanistan, avez-vous constaté sur place des faiblesses, en matière d'armement ou de méthode, dont nous pourrions tirer des enseignements ? D'autre part, pouvez-vous dresser un premier bilan de la création des bases de défense ?
Amiral Édouard Guillaud. Nous ne sommes pas en retard, Monsieur Le Déaut, en ce qui concerne les nouvelles technologies de l'information ou les biotechnologies. Pour 2013, le budget des études, en augmentation, se monte à 750 millions. La DGSE recrutera quelque 70 nouveaux spécialistes, notamment en sécurité des systèmes d'information. Elle ne peut en recruter davantage, tant le vivier – où puisent Thales, Areva ou d'autres administrations – est réduit. Dans ce domaine, les contraintes budgétaires et humaines se rejoignent. Peut-être la France ne forme-t-elle pas assez d'ingénieurs ou les forme-t-elle trop lentement, mais c'est un autre problème.
En quatre ans, nous aurons recruté 500 à 600 ingénieurs de plus, qui appartiennent au cadre A, voire A+. Certains prétendront que nous avons pris du retard au démarrage mais, partis deux ou trois ans après les Américains, nous avons aussi été instruits par leur expérience. Il est même arrivé que le Pentagone nous interroge. Vendredi dernier, un pays du Golfe qui avait choisi une structure de protection à l'américaine – peu pertinente, car sa population n'est pas celle des États-Unis – nous a également sollicités.
Je me souviens fort bien de votre rapport sur la menace biologique, dont j'ai parlé hier soir avec Mme Marion Guillou, ancienne présidente de l'INRA. S'il est difficile d'évaluer le niveau de risque biologique, qui est réel, notre expertise en la matière est reconnue dans le monde entier. Le service de santé des armées et l'Institut de recherche biomédicale des armées (IRBA), basé à Brétigny-sur-Orge, font notre fierté.
Quand nous avons constaté que les solutions proposées pour accéder - par étapes - à une capacité « drones » durable nécessitaient plus de 2,4 milliards d'euros et ne permettaient pas d'espérer des livraisons du système final avant 2020, il aurait été absurde de s'y lancer à la seule fin de contenter des grands groupes européens. Par ailleurs, sur un drone, la charge utile compte plus que le vecteur. Or, en ce qui concerne les charges utiles, nous avons de véritables atouts. Le meilleur exemple est le système de reconnaissance de nouvelle génération Reco-NG du Rafale. Ses capacités d'imagerie exceptionnelles ont permis d'assurer 40 % des photos de la coalition au-dessus de la Libye. En 2008, j'aurais bien évidement aimé disposer de 2,4 milliards pour acquérir le Talarion d'EADS, même si ce projet avait surtout axé l'effort technologique sur le vecteur plutôt que sur les charges utiles. Or, sur un drone, je le répète l'effort principal doit être consenti au profit des charges utiles, du C2 et de la station de contrôle déployable.
Monsieur Marty, le dossier des ressources exceptionnelles immobilières est géré par le secrétaire général pour l'administration. Nous ne prévoyons que 200 millions pour 2013. Si les prévisions pour la LPM se montaient, en euros constants, à 1,9 milliard, les surestimations et les ventes pour un euro symbolique ont réduit cette somme à moins de 1,4 milliard. Les nouvelles conditions de cession diminueront encore les ressources exceptionnelles. Je n'ai pas malheureusement entendu parler de compensation.
Pour le programme MRTT, le rythme prévu est d'un appareil en 2017, puis de deux par an. J'espère que l'Airbus A330 sera retenu car je ne vois aucune raison d'aller chez Boeing. Nous avons choisi le patrimonial, le seul PPP existant en la matière mettant l'heure de vol à 50 000 euros quand nous visons un coût de 17 500. Certes, le MRTT est simultanément cargo et avion de passagers mais il n'a pas paru opportun de conclure un PPP, même lorsqu'on nous a proposé de réduire le coût de vol à 30 000. Le patrimonial s'impose aussi au regard de la dissuasion.
En Afghanistan, nous avons eu de mauvaises surprises, ce qui est habituel, mais, sur le plan militaire, nous avons été au rendez-vous. On ne peut dire que nous ayons utilisé un mauvais matériel ou que celui-ci soit à améliorer. Compte tenu des rapports de la Direction générale de l'armement, non seulement avec l'état-major mais avec les armées, nous n'avons pas eu besoin, contrairement aux Britanniques, de procéder à beaucoup d'achats en urgence opérationnelle, preuve que le matériel correspondait en nombre et en qualité à nos besoins. Les urgences opérationnelles représentent cette année moins de 30 millions d'euros, contre un milliard de livres pour les Britanniques. Au cours de la dernière décennie, le maximum annuel que nous ayons dépensé pour ce poste a été de 230 millions.
Pour la tactique, nous nous sommes adaptés à l'asymétrie du combat et à la difficulté de s'intégrer à une coalition de 52 participants, où des pays qui n'ont engagé que cinq hommes voudraient avoir le même poids politique que les autres. C'est d'ailleurs non pas le plan militaire mais le plan politique qui a le moins bien fonctionné. Je pense aux efforts pour une bonne gouvernance ou à l'aide au développement, qui aurait pu être plus rapides et plus puissants, du moins au début. Aux yeux des militaires français et d'une grande partie de ceux de la coalition, il s'agissait des prérequis puisque, si l'on n'envisage pas l'amont et l'aval, une opération militaire peut tourner à la catastrophe, ce qui s'est produit en Irak.
L'idée des bases de défense revient à l'armée de terre. Elle a ensuite été validée par l'état-major des armées, avant que j'en hérite, et que j'en assume totalement la responsabilité. Quoi qu'on en dise, il s'agit globalement d'une réussite. Il existe soixante bases. Quel serait le nombre idéal ? Certainement pas 20, comme l'affirme la Cour des comptes, mais peut-être moins qu'aujourd'hui. Le dossier doit être examiné de près.
Lundi, le ministre a visité à Orléans une base de défense armée de terre et armée de l'air, qui fonctionne. Auparavant, on ne lui avait montré – intentionnellement – que celles qui connaissent des difficultés. Celles-ci peuvent s'expliquer par la qualité de leurs patrons, par des contraintes locales ou géographiques, voire par des différences de culture. Brest, quasiment monocolore, Toulon, plus bariolée, marchent bien, comme Angers, Saumur, Orléans, Nancy, qui est bicolore, ou Valence, qui est monocolore. Les difficultés liées à l'ajustement des financements ont été prises en compte. D'autres, non anticipées, ont été résolues, comme la responsabilité légale en matière d'hygiène et de sécurité des conditions de travail. C'est pour l'armée de terre que la réforme, qui a remis en cause le modèle régimentaire cinq fois séculaire, a représenté la plus grande révolution. Il a été plus facile aux aviateurs ou aux marins de se couler dans le moule, même si s'occuper des autres armées a réclamé une évolution des mentalités.
Peut-être y avait-il d'autres solutions que la création des bases de défense, mais nous n'avons plus les moyens de faire marche arrière. Distinguons en tout cas ce phénomène des difficultés exogènes que posent les logiciels Chorus ou Louvois, la formation ou l'acquisition des données. Les 60 bases de défense sont opérationnelles depuis le 1er juillet 2011. Gardons-nous de jeter le bébé avec l'eau du bain. D'ailleurs, nous continuons à apporter des améliorations. Depuis le 1er octobre, de nouvelles expérimentations sont à l'oeuvre, en particulier dans le mode de commandement. Il faut tenir compte des spécificités locales. Pour commander la base de défense de Pau où chacun des trois régiments de parachutistes est commandé par un colonel très brillant, il faut une personne à poigne. À Brest et à Toulon, regroupant 22 000 et 30 000 hommes, on a nommé deux très hauts potentiels, sans leur laisser d'autre choix que de relever le défi. Ils y sont parvenus. En somme, nous avons fait preuve de volontarisme et nous nous sommes donné des moyens.