Intervention de Thomas Diemer

Réunion du 27 novembre 2013 à 9h30
Commission des affaires économiques

Thomas Diemer, administrateur national et trésorier de Jeunes Agriculteurs :

Les Jeunes Agriculteurs avaient fait des propositions pour la mise en place de ce fonds. L'exploitation agricole doit en effet être considérée comme une entité économique. Malheureusement, il ne fonctionne pas bien, notamment en raison de son caractère facultatif, sans doute aussi parce que les centres de gestion ne s'en sont pas emparés et parce que nous n'avons pas assez communiqué sur le sujet. Néanmoins, je crois que nous pouvons progresser. Compte tenu des problèmes que nous constatons en matière de transmissions, ce dispositif a du sens. Pour prendre l'exemple de mon département du Bas-Rhin, le coût moyen de l'investissement pour une installation est passé de 200 000 euros au début des années 2000 à 400 000 euros dix ans plus tard. Ce phénomène nous inquiète : quel jeune pourra demain investir une telle somme dans son projet ? Le fonds agricole devrait permettre de proposer des solutions et de développer le portage, le foncier représentant une lourde charge pour un jeune qui s'installe. Nous sommes donc très attentifs aux initiatives qui peuvent être prises en la matière. La Fédération nationale ovine (FNO) a par exemple mis en place il y a peu un produit financier ouvert à des investisseurs non agricoles, Labelliance Agri, qui permet à des jeunes de disposer d'un apport en capital pour financer leur installation et est remboursable au bout de dix ans.

J'en viens au bail environnemental. Nous tenons à redire que les Jeunes Agriculteurs ne sont pas favorables au développement de clauses environnementales dans les baux hors des zonages concernés. Les exploitants qui le souhaitent ont déjà la possibilité de souscrire – selon leurs opportunités de marché et leurs disponibilités en main-d'oeuvre – à des mesures agro-environnementales (MAE) pour évoluer dans leurs pratiques. Nous devons conforter ce dispositif et inciter les jeunes agriculteurs à y souscrire, plutôt que d'ajouter une nouvelle contrainte avec un bail environnemental qui serait généralisé à tous les zonages.

Outre l'accessibilité, nous sommes très attentifs à la préservation du foncier agricole, qui est un véritable enjeu pour notre génération. Notre pays perd aujourd'hui 26 mètres carrés de foncier agricole par seconde, et le phénomène s'accélère. Plusieurs outils peuvent être mobilisés pour tenter de l'enrayer. Je pense d'abord à l'Observatoire national de la consommation des espaces agricoles (ONCEA), dont nous nous félicitons de voir étendre le champ de compétence. C'est en effet un outil pertinent pour procéder à une analyse fine et concrète du phénomène de consommation du foncier agricole, ne serait-ce que pour savoir si les politiques mises en oeuvre pour préserver ce dernier portent leurs fruits.

Nous souhaitons que cet Observatoire soit aussi un lieu de concertation, qui permette de recenser tous les textes et les taxes applicables au foncier. Nous avons pris connaissance avec intérêt du référé que la Cour des comptes a adressé récemment au Premier ministre sur les terres agricoles et les conflits d'usage, qui met en évidence les contradictions entre les différents textes en vigueur sur cet enjeu de la préservation du foncier. Nous souhaiterions donc que l'Observatoire puisse procéder aux clarifications qui s'imposent et mettre en cohérence les différents dispositifs.

Je profite de cette occasion pour évoquer la taxe sur le changement de destination des terres agricoles, qui a été instaurée en 2010. Si nous souhaitons enrayer le phénomène de spéculation foncière qui touche le foncier agricole, nous constatons que le niveau de la taxe ne lui permet pas d'être vraiment dissuasive : il s'établit à 5 % à 10 % de la plus-value réalisée suivant le niveau de celle-ci. Sachant que cette plus-value est toujours très importante, il faudrait au minimum doubler le niveau de la taxe.

Je m'interroge également sur l'usage qui est fait de son produit. Nous avions de vraies attentes, qui concernaient notamment la création d'un observatoire sur l'installation et la transmission, les mesures concrètes d'accompagnement des cédants, l'animation et la communication sur l'installation dans nos territoires. Nous devons donc être ambitieux sur l'usage du produit de cette taxe : il faut faire quelque chose d'utile pour soutenir les installations. Nous avons des propositions fortes sur ce point.

Il nous semblerait d'ailleurs pertinent de mettre en place des déclinaisons régionales de l'ONCEA, notamment pour alimenter les commissions départementales de la consommation des espaces agricoles (CDCEA). Ces dernières restent un outil pertinent pour traiter de toutes les questions de préservation du foncier. Elles permettent aux acteurs du territoire de formuler un avis sur l'impact des documents d'urbanisme sur le foncier agricole. Afin qu'elles aient une réelle utilité, il faudrait prévoir un avis conforme.

Les boisements compensateurs entrent en contradiction avec l'ambition de réduire le gaspillage du foncier agricole. Lorsqu'une terre est défrichée, le boisement compensateur peut aller jusqu'à cinq fois la superficie défrichée, ce qui se fait inévitablement au détriment du foncier agricole. Ce n'est donc pas une mesure cohérente. N'oublions pas que les terres agricoles sont des zones environnementales, qui captent du carbone et concourent à préserver la biodiversité.

La possibilité offerte aux collectivités d'imposer un objectif d'espaces verts dans les zones économiques ne nous semble pas davantage une mesure cohérente : cela se fait aussi au détriment des espaces productifs et des espaces agricoles.

Vous avez parlé du lien avec le consommateur. C'est un aspect auquel les Jeunes Agriculteurs sont très attentifs. J'évoquerai ici toutes nos activités de communication autour de notre métier. Les évènements organisés par les Jeunes Agriculteurs dans nos cantons, nos départements et nos régions rassemblent chaque année plus de 600 000 visiteurs. C'est pour nous une occasion d'expliquer l'évolution de nos pratiques, comment nous nous inscrivons dans la durabilité et comment nous nous formons aux nouveaux enjeux de l'agriculture.

La distribution des produits agricoles doit constituer un autre champ de réflexion. La grande distribution occupe aujourd'hui une place prépondérante dans la distribution des produits agricoles. Il faut savoir que sur 100 euros dépensés en produits alimentaires dans les grandes et moyennes surfaces (GMS), seuls 6,80 euros reviennent à la production agricole. Il y a là une captation de la valeur ajoutée au détriment de notre profession. Celle-ci doit donc se réinvestir dans la distribution : elle doit devenir acteur plutôt que de subir la vente de ses produits. Il y a des solutions concrètes à trouver, y compris avec les collectivités locales – je pense aux cantines scolaires et à la restauration hors domicile. Nous attendons donc que les pouvoirs publics privilégient la production agricole locale dans le cadre des marchés publics.

Je n'ai pas besoin de rappeler le poids de l'activité agricole dans notre économie et la contribution de l'agriculture et de l'industrie agro-alimentaire au commerce extérieur de la France. Mais son rôle va bien au-delà : elle crée du lien social et joue un rôle irremplaçable dans l'aménagement du territoire. S'il n'y a plus d'agriculture dans certaines zones intermédiaires ou zones de montagne, qu'y ferons-nous demain ?

Les Jeunes Agriculteurs sont à même de proposer des solutions pour répondre à tous les nouveaux défis, que ce soit en matière d'énergie ou en matière de gestion des déchets, par exemple. Nos attentes sont donc fortes : comment les pouvoirs publics entendent-ils agir pour permettre à la nouvelle génération de saisir toutes ces opportunités ? Il faut continuer à assurer l'accompagnement des jeunes qui s'installent, avec des aides adaptées au contexte, et leur faire confiance. L'argent que les pouvoirs publics consacrent à cet accompagnement – dotation jeunes agriculteurs (DJA), prêts bonifiés – est réinvesti dans les territoires, auprès du concessionnaire automobile ou de l'entrepreneur en bâtiment local. Aider les jeunes agriculteurs, c'est donc soutenir les territoires !

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