Tout dépend si vous incluez dans ce champ les prestations sous conditions de ressources de la branche famille ? M. Christian Saint-Étienne. Non, je les place plutôt dans la politique familiale. En tout état de cause, si l'on tient compte des aides accordées par les conseils généraux, les dépenses ne dépassent pas 40 milliards d'euros, soit plutôt deux points de PIB. Dans ces conditions, une mesure emblématique, de gauche, consisterait à financer par les cotisations la protection sociale personnelle – parce que le montant de la prestation dépend de celui de la cotisation –, et par un impôt proportionnel la protection sociale universelle. Dans un tel système, chacun financerait en proportion de son revenu les prestations de santé, qui sont d'un accès égal. Et de toute façon, si elles ne le sont pas, la solution ne viendra pas de la fiscalité mais de l'éducation et de la transparence du fonctionnement du système de santé. Quant à la famille, elle bénéficierait d'une politique redistributrice.
C'est d'ailleurs une autre raison de s'opposer à la CSG progressive : il ne faut pas confondre redistribution horizontale et verticale. La politique familiale relève de la redistribution horizontale, laquelle va des gens sans enfants vers les gens qui ont la charge d'enfants, et doit donc être financée par un prélèvement proportionnel.
Quant aux prestations familiales sous conditions de ressources, leur financement par la CSG aurait également un caractère extrêmement progressiste, au sens qu'il serait très redistributif.
Il résulte de tout cela que la branche famille ne peut être financée que par la contribution sociale généralisée ou par la taxe sur la valeur ajoutée. La mobilisation de toute autre forme d'impôt ne serait en effet pas justifiée.
Une fois ce principe admis, le débat devient plus technique pour choisir entre la CSG, qui ne s'applique qu'aux revenus nationaux, et la TVA, qui a l'avantage de toucher les importations. Même si on a fait un épouvantail de la TVA sociale – que d'aucuns appellent « TVA emplois » –, elle reste une mécanique très efficace. Sa mise en place en Allemagne au 1er janvier 2007 a d'ailleurs bien aidé le pays à traverser la crise survenue à partir de 2008, en permettant aux entreprises d'augmenter leurs fonds propres. Sur les trois points de hausse, un point a été consacré à la baisse des cotisations sociales et deux à la réduction de l'impôt sur les sociétés : on peut donc parler aussi bien de « TVA compétitivité » que de « TVA sociale ». Or l'économie allemande s'est fort bien portée de sa création. L'idée selon laquelle la TVA est un mauvais impôt est donc extrêmement dangereuse.
Quand, en Allemagne, le taux de TVA a été relevé de trois points, l'augmentation des prix qui s'en est suivie n'a pas dépassé 0,4 %. La tentative d'instaurer en France une TVA sociale a souffert d'un manque de pédagogie : on a laissé les gens croire qu'une augmentation de trois points du taux de la taxe équivalait à une hausse des prix de même grandeur. C'est oublier que la mesure pourrait permettre de financer la suppression des 5,4 % de cotisations familiales payées par les entreprises sur les salaires, et donc de réduire les coûts de production de 3 % – sachant qu'en comptabilité nationale, la part des rémunérations dans la valeur ajoutée productive représente 60 %. Cela revient donc à une dévaluation de 3 %. Un tel résultat peut paraître minime, mais dans un contexte où le secteur productif est extrêmement affaibli, il constituerait un message important.
En outre, une telle mesure serait cohérente compte tenu de ce que nous apprennent les statistiques de l'Union européenne : le poids des prélèvements obligatoires sur la consommation, contrairement à ce que pensent les Français, est plutôt plus faible que la moyenne, tandis que leur poids sur la production est nettement supérieur.
Dès lors, un basculement sur la TVA du financement de la branche famille aurait plusieurs avantages. Il permettrait tout d'abord de faire porter sur la consommation une partie du poids de la protection sociale, sans effet négatif sur les consommateurs, sinon une augmentation des prix de l'ordre de 0,3 % – j'y reviendrai. Une telle opération pourrait être dangereuse en période d'inflation, mais aujourd'hui, alors que l'on craint que le pays n'entre dans une période déflationniste, le moment est idéal.
L'effet net de la mesure est donc facile à calculer. Sur un prix de 100, l'application d'un taux de TVA de 20 % à partir du 1er janvier – si du moins cette décision n'est pas remise en cause – donne un prix toutes taxes comprises de 120. Dans la mesure où la suppression de la part de 5,4 % de la part de cotisation familiale patronale permet de réduire le prix hors taxes à 97, le prix toutes taxes comprises, compte tenu de l'application de la TVA à un taux de 23 %, serait inférieur à 120. L'augmentation du taux de TVA n'aurait donc en réalité pas d'effet sur les prix.
Malgré tout, on peut s'attendre à un effet résiduel consistant en une augmentation générale des prix d'au plus 0,3 %. Mais si l'on considère le panier moyen de la ménagère, cette augmentation, seul effet négatif de la mesure, représenterait un surcoût annuel d'environ 150 euros. Il est donc possible de la compenser en versant aux 10 millions de ménages les plus affectés une prestation d'environ 10 euros par mois, qui coûterait en tout 1 milliard d'euros par an.
L'affectation à la branche famille de l'augmentation de 7 à 10 % du taux réduit de TVA et une augmentation de 3 % du taux normal permettraient donc de compenser la suppression de la part patronale des cotisations sociales familiales, qui représente 34 milliards d'euros. Le surplus éventuellement nécessaire pourrait être apporté par la CSG.